Rédigé par 2 h 56 min CDs & DVDs, Critiques

Le Créateur (Pierre Robert, Grands Motets, Concerto Soave, Les Pages et les Chantres du CMBV, Schneebeli – Château de Versailles Spectacles)


Pierre Robert (c. 1622/25 – 1699) :

Grands Motets sur le Cantique des Cantiques :
Veniat dilectus meus, Ego flos campi, Nolite me considerare

Henry Du Mont (1610 – 1684) :
Dum Esset rex

Marine Lafdal-Franc, dessus
Clément Debieuvre, haute-contre
Antonin Rondepierre, taille
David Witczak, basse-taille

Les Pages & les Chantres du CMBV
Concerto Soave (dir. Jean-Marc Aymes)
Direction Olivier Schneebeli

1 CD, enr. public du 31 janvier (et 1er février 2020) à la Chapelle Royale, Château de Versailles Spectacles, collections Grands Motets n°2, 63’56.

Pierre Robert fut choisi en 1663 par Louis XIV comme Sous-maître de la Chapelle Royale pour le quartier d’avril, aux côtés de Henry Du Mont. Le Roi avait l’oreille sûre. Ecclésiastique, maître de musique aux cathédrales de Senlis, Chartres puis Paris, Pierre Robert était un musicien de premier ordre. D’ailleurs, dès 1668, après les démissions de deux autres sous-maitres Gobert et d’Expilly, il partagera avec Du Mont la production intégrale des trois motets quotidiens joués à la messe basse du Roi (un grand, un petit et un Domine salve fac regem), héritant en supplément du quartier d’octobre. C’est donc une figure majeure de la musique sacrée française, l’un des créateurs du grand motet à la française, qui domina la Chapelle Royale pendant 20 ans jusqu’en 1683 à qui Olivier Schneebeli rend justice. Il l’avait déjà mis à l’honneur lors des Grandes Journées Lully de 2008 à l’issue desquelles un superbe enregistrement de quatre grands motets (dont un puissant De Profundis) avait été édité.

Las, il n’est de pire rival que soi-même. Car Olivier Schneebeli avait déjà enregistré un superbe disque d’une inspiration équilibrée et grandiose, complexe et fervente, comprenant les De Profundis, Quare fremunt gentes, Te decet Hymus et Nisi Dominus (K617). Ici, en dépit d’une écriture toujours aussi riche, il est de petits riens qui conjugués retiennent le phénix et cette production n’atteindra pas les cimes précédentes : alors que le chef nous promet des “versets à la sensualité exubérante, orientale, proche de la transe, voisine du vertige” la réalisation est un peu trop retenue, et les passages solistes accusent des faiblesses de dynamique et d’articulation, tandis qu’un montage hachée enlève du naturel aux enchaînements. En outre, les timbres des solistes ne fusionnent pas très heureusement, notamment la haute-contre un peu froide et tendue de Clément Debieuvre et le dessus agile mais tiré de Marine Lafdal-Franc. A l’inverse, on admire la basse stable et tempérée de David Witczak  et la taille à l’émission certes un peu gonflée d’Antonin Rondepierre à la déclamation magistrale. Le Concerto Soave de Jean-Marc Aymes est plus doux et discret que les tchèques de Musica Florea  de 2008, et l’exubérance promise est plutôt un sensible canevas dont on se dit que les pupitres de cordes sont un peu maigrelets, les flûtes coulantes et poétiques comme dans le “Vox dilecti mei pulsantis” du Veniat dilectus meus qui souffre de récits insuffisamment investis (“qomodo induar illa”), malgré une partition absolument splendide et dont on ne perçoit toute la charge émotionnelle et la sourde gradation que lorsque le grand chœur (de choristes) prend la succession du petit chœur (de solistes).

En dépit des réserves sur l’interprétation, la direction d’Olivier Schneebeli révèle comme à l’accoutumée une main sûre, ferme, noblement balancée. Les chœurs des Pages & des Chantres du CMBV, quoique captés de loin, s’avèrent également superlatifs : homogènes, articulés, attentifs à la prosodie.  L‘Ego flos campi souffre du même mal : prélude instrumental introductif coloré mais sans atmosphère, solistes inégaux. Cependant la succession de sections plus brèves, et le sensuel “Laeva ejus sub capite meo” aux chromatismes intenses en font une pièce moins ambitieuse que le précédent motet mais plus vivante, variée et convaincante. Enfin le dernier des trois motets de Pierre Robert, le Nolite me considerare, plus intime, plus recueilli, moins grand parmi les grands motets (sonnant presque un motet de maîtrise) aussi foisonnant d’écriture mais d’une lumineuse fluidité, est une immense réussite qui laisse les regrets que tout l’enregistrement n’ait pas été d’un tel airain.  Nous n’avons rien dit du motet de Du Mont, car l’on aurait préféré une autre pièce de Pierre Robert, même sur un autre texte que le Cantique des Cantiques, mais la mise en regard des deux talentueux sous-maîtres ne tournera ni à l’avantage de l’un ni de l’autre, on notera simplement que le Dum Esset Rex possède une structure et une écriture plus franche, plus claire, aux effusions tout aussi impliquées mais presque didactiques. Un bel ouvrage, qui demeure toutefois un brin inabouti : des conditions de captations moins pressées et un plateau vocal plus soigné auraient incontestablement transformé l’essai. Mais on peut guère faire plus longtemps la fine bouche devant ces remarquables motets si rarement entendus.

 

Viet-Linh NGUYEN

Technique : surprenamment décevante. Solistes trop en avant, chœurs aux contours mal délimités, textures de l’orchestre peu définies, montage saccadé. 

Étiquettes : , , , , , , , , Dernière modification: 8 février 2022
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