Capricci,
Oeuvres de Castaldi & Pellegrini
Bellerofonte Castaldi (1581-1649)
Capricci a due stromenti cioè tiorba e tiorbino (Modena, 1622)
Domenico Pellegrini (vers 1617-après 1682)
Armoniosi concerti sopra la chitarra spagnuola (Bologna, 1650)
Belleforonte Castaldi
Caprioccio detto Svegliatoio
Laurina Corrente
Domenico Pellegrini
Balleto Primo
Corrente detta la Grimalda
Bellerofonte Castaldi
Capriccio detto Bishizzoso
Sonata 13a
Domenico Pellegrini
Alemanda Quarta
Corrente detta Savellina
Bellerofonte Castaldi
Arpesca Gagliarda
Capriccetto Galante
Arpeggiata a moi modo
Ferita d’Amore Gagliarda
Domenico Pellegrini
Alemanda Seconda
Bellerofonte Castaldi
Capriccio detto Spagnolino
Farfanicchia Corrente
Domenico Pellegrini
Toccata Prima
Bellerofonte Castaldi
Cecchina Corrente
Ritornello Primo
Capriccio detto Hermafrodito
Furiosa Corrente
Sonata 10a
Grilla Gagliarda
Domenico Pellegrini
Toccata Seconda
Bellerofonte Castaldi
Capriccio detto Cerimonioso
Domenico Pellegrini
Corrente Decima
Bellerofonte Castaldi
Fantastica Gagliarda
Perfidiosa Corrente
Lusinghevole Passeggio
Albane Imbs, théorbe, tiorbino, guitare baroque
Rolf Lislevand, théorbe
1 CD digipack, Alpha / Outhere, 2024, 53′
Albane Imbs musarde avec talent ! Car si son portrait orne la pochette de ce disque, premier enregistrement en solo de la musicienne, n’oublions pas qu’elle est aussi l’un des quatre visages se cachant derrière les petits moutons du second album des Kapsber’girls, consacré aux brunettes (Vous avez dit brunettes ? Alpha, 2021). Et alors que le collectif fête ses dix ans d’existence par un nouvel album Vox Feminae sorti ces jours-ci (Alpha toujours), saluons la parution de ce premier envol soliste, paru à la fin de l’année dernière.
Soliste, soliste…voici un bien grand mot. Car si Albane Imbs est bien à l’origine du projet et conduit la ligne haute de l’ensemble des morceaux présents sur ce disque, soulignons qu’elle sait se faire accompagner, aussi discrètement que majestueusement, par un mentor de choix en la personne de Rolf Lislevand, luthiste et théorbiste incontournable, ayant notamment œuvré, il y a maintenant plus de trente ans, aux enregistrements des partitions sur Tous les Matins du Monde. Une proposition comme un hommage, une acceptation comme une filiation. Et comme le chantre a beaucoup fait pour la redécouverte de Kapsberger (1580-1651) dont Albane Imbs assume limpidement la filiation dans le nom de l’ensemble dont elle assure la direction artistique, disons que la boucle est bouclée.
Et comme pour éviter toute redite et privilégier de nouveaux envols, Kapsberger sera complètement absent du programme du présent enregistrement, tout entier consacré à la redécouverte de deux autres figures du luth et de la guitare baroque au tournant de la musique de la Renaissance et de la période baroque. Le modénois Bellerofonte Castaldi (1581-1649) et le bolonais Domenico Pellegrini, ce dernier étant si discret dans l’histoire de la musique que ses dates mêmes de naissance et de décès sont soumises à caution (vers 1617-après 1682).
Un rapprochement entre les deux compositeurs qui n’est pas que fortuit tant les partitions des deux musiciens s’entremêlent avec finesse et grâce tout au long de ce programme, Albane Imbs prenant soin de savamment alterner les morceaux des deux maîtres, comme pour mieux en révéler, bien entendu les différences, mais surtout les rapprochements, les rencontres, particulièrement perceptibles dans un commun sens du rebond des notes, de l’accentuation lumineuse et de la clarté de la ligne que le jeu, avouons-le assez incandescent d’Albane Imbs met en majesté.
Et si comme elle le rappelle fort justement dans le livret, la vie de Bellerofonte Castaldi mériterait d’être portée à l’écran, ne serait-ce que pour sa portée épique et romanesque, sa musique, complexe dans sa structure, évidente dans son écoute, mérite hautement cette salutaire remise en lumière[1]. Et pour les plus curieux de nos lecteurs, mentionnons simplement que cet esprit libre et bien né eu le privilège de pouvoir s’affranchir des conventions de son temps et des nécessités du mécénat. Son verbe, souvent enlevé, lui valut un bannissement de Rome prononcé par le Pape Paul V, et au rang des chroniques judiciaires, notons qu’il boîta une grande partie de sa vie, des suites d’une balle reçue à la jambe alors qu’il semblait vouloir venger l’assassinat de son frère. Et si son nom reste attaché aux très nombreuses chansons qu’il composa, Albane Imbs se consacre exclusivement aux œuvres contenues dans le recueil des Capricci a due stromenti cioè tiorba e tiorbino (publié à Modène en 1622), unique exemple de pièces écrites pour théorbe et tiorbino, instrument dont Bellerofonte est selon toute probabilité l’inventeur, théorbe miniature une octave plus aigüe que le théorbe classique, preuve s’il en est de sa volonté de faire fi des codes et habitudes musicales en vigueur. Et si la musique de Castaldi fait une part belle aux Capricci, courtes pièces à la forme assez libre, on apprécie particulièrement la mélancolie aérienne que lui confère le jeu d’Albane Imbs, comme sur l’introductif Capriccio detto Svegliato, où à l’expression de l’atermoiement sentimental succède une conclusion plus vive et enlevée, alors que la seconde pièce, la Laurina Corrente offre des accents champêtres, de subtiles envolées. Une pièce où, comme sur d’autres du programme signées cette fois de Pellegrini, Albane Imbs insuffle quelques arrangements pour palier aux transcriptions qu’elle qualifie d’elliptiques de la partition originale. Les pièces signées Bellerofonte pour beaucoup émerveillent par la variété de leurs intonations, la richesse de leur structure et la palette de sentiments qu’elles révèlent, à l’exemple, criant mais loin d’être unique des envolées de notes du Capriccio detto Bischizzoso, qui dans sa rythmique soupesée et ses attentes n’est pas sans rappeler assez étonnement le bien plus tardif Albinoni des concertos pour hautbois.
A cette musique toute en délicatesse, Albane Imbs offre un jeu conjuguant ductilité, sens de la mesure et du rythme, posant chaque note avec une attention continue au relief, offrant une interprétation d’une grande clarté. Si la prise de son, très en avant sur le disque, aurait pu desservir un tel propos, reconnaissons qu’il n’en est rien et que l’enregistrement s’avère un plaisir d’écoute absolument constant et que, pour rester sur les pièces de Castaldi, son Capricetto Galante, au titre aussi limpide que l’interprétation, ou son Arpeggiata a moi modo, sentimentale, évocatrice et d’un naturel confondant, tout comme la complexité virtuose de la Farfanicchia Corente subjuguera et que la souplesse de jeu de la théorbiste magnifiera la Sonata 10a ou le Capriccio detto Cerimoniosio, d’une profondeur de structure et de rythme en faisant l’un des (nombreux) moments de grâce de cet enregistrement.
Est-ce à dire que les œuvres de Domenico Pellegrini nous ont paru en deçà ? Pas du tout, et si elles sont moins nombreuses, on retrouve chez le guitariste bolonais auteur de l’Armoniosi concerti sopra la chitarra spagnuola (Bologne, 1650) un même sens des couleurs et de la structure, dans des partitions où se révèlent une musique homogène, réfléchie, jamais illustrative, à l’exemple de cette Alemanda Seconda, à la très belle rythmique et là aussi densifiée par Albane Imbs, ou encore du parfait rythme de ce Balleto Primo, profond et homogène, démontrant que Domenico Pellegrini, compositeur à bien des égards mystérieux malgré son appartenance avérée à l’Accademia dei Filomusi, où il a forcément croisé Tarquinio Merula et Claudio Monteverdi, est bien à ranger parmi les musiciens de son temps ayant acquis un art de la composition le rangeant parmi les plus grands.
Avec ce double hommage en forme de révérence à Bellerofonte Castaldi et Domenico Pellegrini, Albane Imbs poursuit une salutaire mise en exergue du théorbe (et dans une mesure moindre de la guitare baroque), dans la lignée notamment de Rolf Lislevand, son complice sur ce disque. Un premier disque lumineux aux notes comme des scintillements qui déjà l’impose dans ce domaine comme une artiste à suivre.
Pierre-Damien HOUVILLE
Technique : enregistrement clair et naturel.
[1] Les enregistrements des œuvres de Bellerofonte Castaldi ne sont pas légions, aussi nous permettrons de souligner l’existence de l’interessant Le Musiche di Bellerofonte Castaldi, du Poème Harmonique, avec Vincent Dumestre au théorbe et à la direction, et en compagnie de la mezzo Guillemette Laurens (Alpha-Classics, 1998).
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