
Camille Delaforge © Emilie Brouchon
Fondatrice de l’Ensemble Il Caravaggio, Camille Delaforge multiplie ces derniers mois projets et parutions, marquant de son empreinte le paysage de la musique baroque actuelle. Alors qu’elle vient de terminer une tournée aux Pays-Bas et avant qu’elle ne soit en représentation lors du prochain Festival de Saint-Denis, la jeune cheffe et claveciniste a accepté de nous consacrer un peu de temps pour exposer son actualité, ses choix et ses envies musicales. Volubile et enjouée, Camille Delaforge s’est confiée, révélant un parcours où il est autant question de passion que de curiosité.
Muse Baroque : Camille Delaforge, bonjour, et merci de nous accorder cet entretien. Avec votre ensemble Il Caravaggio, vous revenez d’une récente tournée aux Pays-Bas pour y donner plusieurs représentations du Didon & Enée de Purcell en collaboration avec le Dutch National Opera & Ballet. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Camille Delaforge : Oui, c’est un projet qui a fait suite à la grande tournée effectuée avec Le Carnaval de Venise d’André Campra en début d’année. Le Dutch National Opera d’Amsterdam a récemment décidé de produire une série d’opéra en collaboration avec des ensembles extérieurs et des chanteurs invités et c’est dans ce cadre que nous avons été contactés. Ce fut un projet très exaltant, avec énormément de jeunesse parmi les musiciens et des chanteurs incroyables. Il s’agit essentiellement de jeunes qui sont au début de leur carrière et pour lesquels c’était la première occasion de collaborer avec une maison d’opéra prestigieuse, de monter sur la scène principale pour chanter des rôles du grand répertoire comme Didon & Enée.
Un tel projet est toujours pour chacun des musiciens une expérience très enrichissante et ce fut aussi pour moi l’occasion de rencontrer l’orchestre de cette grande maison et de constater qu’il y a auprès de ces maisons d’opéra majeures une réelle envie d’aborder le répertoire baroque, avec une exigence de grande qualité artistique, une volonté de proposer des interprétations vraiment personnelles avec les ensembles invités et pas seulement de lancer une générale de Didon & Enée en se disant que cela sonnera comme ça sonne.
Nous avons eu sur ce projet beaucoup de temps pour travailler, faire des répétitions avec l’orchestre. C’est une collaboration qui a été très généreuse dans la manière de monter cette œuvre et de travailler ce type de répertoire pour qu’il entre pleinement dans les œuvres jouées par les grandes maisons. Cette exigence artistique et cette liberté de travail en firent une expérience assez folle et ce fut aussi l’occasion de mélanger les musiciens du Dutch National Opera avec ceux d’Il Caravaggio, en intégrant notamment les musiciens du continuo, les percussionnistes, qui sont des artistes emblématiques de l’ensemble, qui ont ainsi pu se fondre dans cet orchestre moderne et former un tout vivant et convainquant.
Ce fut donc une très belle expérience, avec six dates au total aux Pays-Bas. Didon & Enée est une œuvre que j’ai de nombreuse fois jouée en tant que claveciniste mais il s’agissait là d’une première en tant que cheffe portant cet opéra. Tout comme il est toujours extrêmement émouvant et exaltant en ce début de carrière que de monter son premier Mozart, son premier Purcell…
M.B. : En effet, tout semble s’accélérer pour vous ces dernières années…
C.D. : Oui, c’est une sensation assez enivrante, mais disons que ce qui apparaît là est surtout le fruit d’un travail très long, entamé il y a des années. Je travaille avec des musiciens que je connais souvent depuis dix, voire quinze ans. Souvent des musiciens dont j’ai fait la connaissance dans mes activités de claveciniste, parmi les ensembles avec lesquels j’ai joué. J’ai au fond de moi l’impression d’être d’une grande continuité dans ma vie d’artiste, même si j’entrevois bien ce qui est absolument nouveau aux yeux de tous. Personnellement j’ai juste l’impression de continuer mon chemin…patiemment ! C’est en fait assez drôle comme sensation que de ressentir cela et de voir à quel point les choses de l’extérieur semblent s’être accélérées.
M.B. : Pour revenir sur ce récent Didon & Enée, pourriez vous nous expliciter un peu plus en détails comme s’est opéré le choix de l’œuvre et cette collaboration avec des musiciens qui pour partie n’étaient pas les musiciens de votre ensemble habituel ?
C.D. : Le choix de l’œuvre, c’est vraiment le Dutch National Opéra. Ils voulaient monter cet opéra et ils m’ont contactée, il y a finalement assez longtemps. Ce fut donc une proposition de leur part et ils avaient vraiment cette volonté de mélanger les musiciens des deux ensembles. C’est aussi ce qui était professionnellement intéressant dans ce projet ; créer une rencontre et rechercher une cohésion entre les deux orchestres en pariant sur le fait que ça allait fonctionner, que des personnalités venues d’univers musicaux différents pourraient fusionner. J’ai accepté le projet avec une grande joie. C’est en effet toujours un questionnement de savoir si on accepte ou pas, si l’on vient ou non avec son propre ensemble. Car si une maison d’opéra estime que l’on peut faire Verdi et Mozart, comme elles sont nombreuses à le faire, je ne vois pas pourquoi l’on ne pourrait pas faire Verdi et Rameau, Verdi et Purcell.
Chaque esthétique est tellement puissante que tout cela n’est autre qu’une question de travail, et si je puis dire ainsi, de savoir-faire. Il faut juste s’accorder ce temps-là, du temps de répétition. C’était la seule condition pour que ça fonctionne, et c’est ce qui a été fait. Le fruit de ce travail est aussi abouti que cohérent quand on rencontre des orchestres qui ont ce niveau de savoir-faire. Quand on part avec cette exigence, c’est très vertueux. Il faut que chaque artiste, chaque soutien de l’orchestre s’informe du savoir des musiciens de l’ensemble, et puis bien sûr pour les musiciens de Il Caravaggio, cela nécessite de se plonger dans les habitudes de travail, et de réactivité d’un orchestre moderne, où les musiciens sont habitués à être tout de suite opérationnels. Dans les répertoires baroques on a souvent beaucoup plus de temps de répétition, beaucoup plus de temps de recherche avec le continuo. Chacun a appris de l’autre.

Camille Delaforge et l’Ensembe Il Caravaggio © Charles Plumey
M.B. : Vous avez commencé par évoquer Le Carnaval de Venise d’André Campra. Pouvez-vous nous dire comment vous en êtes arrivée à monter cette œuvre-ci, qui n’est en fait pas si souvent jouée ?
C.D. : C’est la Co[opéra]tive[1] qui m’a invitée à les rejoindre sur ce projet et qui m’ont demandé de choisir un ouvrage. J’en ai proposé plusieurs mais j’avoue que j’avais un énorme coup de cœur pour ce Carnaval de Venise de Campra. Il est vrai qu’il avait été créé il y a fort longtemps à Aix-en-Provence[2]…et puis ensuite plus rien. Alors que c’est pourtant une partition fabuleuse, avec un savoir-faire de compositeur qui est dingue, un grand sens du rythme de l’orchestre, une partition qui souligne l’importance de chaque mot. Le traitement du texte, celui de la voix, tout cela est assez fascinant. Et puis cet opéra a quelque chose d’extrêmement savoureux de par sa forme extrêmement originale dans l’histoire du genre, mêlant divertissements, danses, cassant les codes de la tragédie lyrique de l’époque avec cette idée qui semble imprégner Campra « qu’est-ce qu’on pourrait faire à l’opéra pour que l’on s’ennuie un peu moins ? ».
Pour Campra, toutes ces grandes histoires, souvent mythologiques, c’est absolument fabuleux, c’est sublime, mais il a envie d’inventer quelque chose d’autre pour le public. J’ai trouvé qu’il y avait là une question tellement intemporelle, qu’il était génial de voir qu’à cette époque-là on a cherché à casser les codes de l’opéra. Cela s’est fait par énormément de danses, énormément d’humour dans la musique, car on a en fait un opéra dans l’opéra avec ce pastiche d’Orfeo qui arrive pour le mariage, une intervention aussi simple que détonante. L’intrigue convoque le genre italien, qui ne fait pas intervenir de héros fabuleux, mais se rapproche presque d’une histoire de série télévisée avec machin qui aime machine et machine qui aime machin… Tout ce chassé-croisé s’avère juste un combo pour pouvoir convoquer des tonnes de rôles sur la place Saint-Marc à Venise, des tonnes de gondoliers, de vénitiennes, de bohémiens et bohémiennes. Il y a quelque chose d’éminemment joyeux que j’avais envie d’explorer, car s’il y a un fond de drame avec bien sur de grands airs fabuleux, il y a aussi toutes ces petites choses où l’on pouvait faire un travail énorme avec l’orchestre, en particulier sur les couleurs. Cela m’a énormément intéressée de chercher comment on pouvait caractériser ces danses du Carnaval à Venise, qui se veulent italiennes et qui tout à coup twistent sur un grand air de tragédie lyrique à la française. Et ça, c’était super pour l’orchestre.
Ce projet a aussi été l’occasion de travailler sur la palette sonore de l’ensemble et de chercher à développer ce que nous pouvions proposer sur ce type d’œuvres. J’ai pris énormément de plaisir sur ce projet qui fut aussi l’occasion de rencontrer Ivan Kleda et Coco Petitpierre[3] pour qui c’était leur premier travail sur un opéra et je suis tombée en complète adéquation avec ce qu’ils ont cherché à faire. Ce sont des artistes qui ont un rapport aux arts plastiques très qualitatif, ce qui a donné de magnifiques costumes et une envie de garder la poésie, la drôlerie de cet art-là, en évitant de tomber dans des détournements un peu violents, comme cela arrive parfois. Ils ont voulu conserver cet esprit joyeux et baroque de l’œuvre initiale. Ils se sont aussi montrés extrêmement inventifs dans leur approche de la liberté du continuo et très ouverts dans la manière dont nous avons pu discuter de ces aspects. Ce fut une très belle rencontre.
C’est une œuvre que nous avons joué au total vingt-deux fois et donc ce fut aussi un énorme challenge rythmique et technique. En tant qu’artistes à l’opéra, cela n’arrive quasiment jamais d’avoir autant de représentations et cela nous a permis d’expérimenter ce que cela pouvait faire d’être dans cette répétition de l’art, de voir ce que nous arrivions à chaque fois à retravailler, comment rester passionnés par cela. Et je crois que cela a été le cas à chaque reprise. Nous n’avons jamais fait une reprise lambda qui semblait être un travail. A chaque fois c’était nouveau et inspirant et c’est aussi l’idée que je recherche en tant qu’artiste, savoir se replonger dans la même œuvre pour l’améliorer.
M.B. : Et en est-il prévu un enregistrement de ce Carnaval de Venise ?
C.D. : Pas pour le moment, mais à l’occasion d’une reprise, peut-être. Ce n’est pas encore décidé car nous avons d’autres enregistrements de prévus, mais peut-être…, d’autant qu’il y a une discographie assez restreinte de cette œuvre. Ce serait une belle occasion.
M.B. : Justement, en parlant d’enregistrements, vous venez de publier un double Pygmalion avec les œuvres de Jean-Philippe Rameau et d’Antoine de Bailleux chez Château de Versailles Spectacles. Voudriez-vous nous en dire un peu plus et en particulier de cette œuvre rarissime d’Antoine de Bailleux ?
C.D. : Ce disque est en effet comme une nouveauté qui débarque dans la vie et faire son premier Rameau était une envie que j’avais depuis longtemps. Et de Rameau, j’ai toujours eu envie de commencer par cet œuvre ci, parce que je la trouve ahurissante de savoir-faire et d’écriture. On a tout dans Pygmalion. L’œuvre ne dure que quarante-cinq minutes mais il y a tout ; c’est incroyable. C’est une œuvre qui est remplie de tant de joie et de couleurs différentes, qui demande aussi un immense travail sur la texture et la palette chromatique de l’orchestre.
Effectivement, l’idée était d’aller explorer sur la thématique de Pygmalion, au-delà de Rameau, de voir ce qui pouvait exister ailleurs. Une thématique qui n’avait pas tant que cela été explorée et sur Antoine de Bailleux, on ne trouve pas grand-chose. Il a fait quelques cantatilles dont cette fameuse Pygmalion, qui est très différente de cette de Rameau. Simple dans l’écriture, mais très efficace.
C’était donc l’occasion de rechercher cet ouvrage-là et j’aime toujours ouvrir la porte d’une nouvelle œuvre pour la faire revivre. Pas seulement par goût de l’originalité mais parce que cela permet de révéler de nouveaux contextes, de nouveaux éclairages aussi sur les œuvres que l’on connaît très bien. Cela contextualise ce qui pouvait se passer dans une certaine époque. On se défocalise ainsi des compositeurs majeurs pour comprendre que chacun a mis sa petite pierre à l’édifice dans l’histoire de la musique, et ça c’est très important pour mettre en relief les influences, y compris dans les aspects un peu plus cachés. Je trouve cela primordial. Ce regard est aussi important sur les grands ouvrages et si je pense au Mozart que nous avons récemment enregistré[4], il est central de se dire que même chez un compositeur très connu on peut continuer d’aller comprendre comme est faite son écriture, parce que l’on n’a pas encore tout donné, tout enregistré, tout simplement pas tout en tête. Dans ce Devoir du Premier Commandement, voir comment le jeune Mozart, à onze ans seulement, fait déjà une œuvre sacrée qui est presque un opéra, un oratorio qu’il compose dans une version très opératique, où l’on perçoit déjà comment il va traiter plus tard les voix de soprano, les voix de ténor de ses grandes œuvres ultérieures, c’est passionnant. Cela montre chez Mozart ce qui est de l’ordre de l’instinct dans sa composition, et ce qui au fur et à mesure va grandir, va être retravaillé, va changer. Mais quand on ouvre cette porte là on découvre quelque chose de très instinctif qui s’avère exaltant.
M.B. : Oui, et c’est justement l’une des marques de votre travail depuis ces dernières années que d’aller rechercher ou des compositeurs oubliés, délaissés, ou des œuvres méconnues. Cela a notamment été le cas avec Les Génies de Mademoiselle Duval qui était une charmante curiosité. Est-ce qu’il y a là de votre part une volonté que vous souhaitez poursuivre, celle de remettre en lumières des œuvres oubliées ?
C.D. : Je pense que c’est vraiment quelque chose qui fait partie de moi, parce que j’aime envisager les choses comme un tout. J’aime aller chercher ce qui va faire une œuvre, une époque. Comme pour l’éducation d’un enfant, on n’est jamais tout seul, et en musique j’aime rechercher la rareté mais aussi la légèreté des compositions oubliées. Pour autant l’année prochaine nous allons faire des pièces du grand répertoire, notamment une Passion selon Saint-Jean, et c’est aussi extrêmement important de garder cet équilibre entre les répertoires, de conserver cette curiosité. C’est aussi cela aimer la musique baroque, c’est avoir en soit une part de curiosité et aimer chercher à rendre l’envie autonome, chercher les œuvres ou les répertoires et puis ce que l’on a envie d’en faire. C’est la recherche d’une identité, qui nous allons mélanger pour recréer l’œuvre, qui nous prenons pour la construire. Tout cela est au final de la curiosité et je trouve qu’il est très important en tant qu’artiste que de conserver cette dimension.
MB : Vous avez fait le choix assez tôt dans votre carrière de créer votre propre ensemble. Etait-ce une volonté d’autonomie, d’indépendance dans votre parcours musical, au-delà des contraintes inerrantes à la nécessité de faire fonctionner un ensemble actuellement ?
C.D. : C’est avant tout une volonté de narration. Parce que l’on a l’envie de porter des œuvres et un type de répertoire et que l’on a souvent aucun orchestre moderne qui veut nous accompagner. Par exemple personne n’aurait créé avec moi Les Génies de Mademoiselle Duval. Il fallait être un peu fou pour ce lancer dans ce projet ! Ce sont les défis permis par un orchestre de qualité qui fonctionne comme un ensemble et qui construit ses projets. Cela permet d’avoir cette part de liberté dans le choix des œuvres et aussi d’envisager des effectifs extrêmement différents selon les œuvres. C’est une manière de faire où l’on peut connaître bien entendu des contraintes, mais qui procure avant tout une immense liberté. Quand j’arrive avec mon ensemble, je vis une immense liberté !

Camille Delaforge © Emilie Brouchon
M.B. : Si nous remontons encore plus loin dans votre discographie, dès Madonna della Grazia, on constate que vous faites une place relativement importante aux compositrices dans vos choix artistiques. Faut-il y avoir uniquement les hasards de la rencontre avec l’œuvre ou aussi une volonté de revenir vers un répertoire de compositrices souvent oubliées. D’autres ensembles y viennent ces dernières années et par exemple Antonia Bembo aura les honneurs d’une recréation de l’une de ses œuvres dans la prochaine saison de l’Opéra Bastille[5].
C.D. : Avouons qu’il y avait un effort à faire ! Choisir des femmes compositrices, il ne faut pas juste faire cela par mode. Il faut aller à la découverte des talents féminins et voir ce que cela apporte et construit dans la vision globale d’une époque. Mademoiselle Duval, Les Génies, contemporain des Indes Galantes de Rameau, a été joué à l’opéra, c’est l’une des rares œuvres de cette envergure composée par une femme, et c’est impossible d’omettre cela dans le cadre de la musique de l’époque. Il y a quelque chose de l’ordre de la responsabilité à jouer ces partitions, et puis ce sont avant tout des œuvres magnifiques. J’ai toujours conçu mes programmes parce que je trouvais les œuvres intéressantes et non parce qu’il fallait faire ceci ou cela. C’est surtout la qualité de l’œuvre qui me guide dans mes choix. Quand j’ai découvert Les Génies, on m’avait donné une vingtaine de manuscrits, de plein de compositeurs et de compositrices différents. C’est une œuvre que j’ai montée parce qu’elle me plaisait, pour ce que j’ai pu en explorer et non parce que Mademoiselle Duval était une femme. Elle a été choisie parmi plein de partitions différentes, et je crois que c’est ce qui est important. Et dans Madonna della Grazia, le Leonarda est absolument sublime, je ne me suis pas posé la question. C’était un beau premier disque sur lequel j’ai pris un plaisir fou. Nous l’avions fait durant la période du Covid et c’était un peu un acte impensé que d’aller faire ce disque durant cette période-là, mais c’était génial.
M.B. : L’une des marques de votre travail est aussi d’aimer retravailler avec les mêmes musiciens, les mêmes interprètes. Est-ce que le fait de connaître les gens avec lesquels vous travaillez est aussi une dimension importante pour vous ?
C.D. : Cela rejoint la forme de liberté dont je parlais précédemment et qui est extrêmement importante pour moi. C’est ce qui a aussi été moteur notamment lors de la création du Carnaval de Venise que nous avons joué une vingtaine de fois. Quand on se retrouve avec des musiciens que l’on connaît, on ne se dit pas que l’on va refaire la même chose, on se dit que l’on va aller encore plus loin. Et c’est cela que je trouve tellement motivant. Je ne travaille pas avec les mêmes musiciens car je trouve cela rassurant, mais parce que cela nous permet collectivement d’aller plus loin. Comme ils me connaissent par cœur, ils ont déjà appris les mécanismes de ce que je désire et du coup nous pouvons passer de suite à une autre étape, et ça c’est vraiment fabuleux. Et puis il y a bien sur cette dimension humaine qui permet de garder après le travail cette famille musicale. Cela fait quelque chose d’extrêmement construit dans le travail artistique et permet d’avoir des points de repère, notamment lors des tournées.
M.B. : Justement, pourriez-vous nous parler un peu de vos futurs projets, dans ces prochains mois, au-delà de ce que vous avez pu déjà nous évoquer au cours de cet entretien ?
C.D. : Dans les prochaines semaines nous redonnons au Festival de Saint Denis le Devoir du Premier Commandement de Mozart[6] avec une nouvelle équipe de chanteurs. Ce sera une première collaboration avec chacun d’entre eux et j’ai hâte de les découvrir. Dans les projets phares de la prochaine saison il y a vraiment cette Passion selon Saint-Jean que nous allons donner notamment au Théâtre des Champs-Elysées[7],et aussi en tournée. Ce sera ma première Saint-Jean et même si elle a déjà été énormément donnée, je trouve très exaltant que de pouvoir la diriger. J’y pense déjà souvent, je suis déjà dedans car c’est une œuvre immense et je suis très heureuse que ce soit la Saint-Jean pour une première et pas la Saint-Matthieu, parce que je trouve qu’il y a dans cette œuvre un aspect tellement plus théâtral. Je sais que je vais pouvoir y entrer par une entrée qui va me plaire, qui va être sincère. Donc à court et moyen terme, ce sont vraiment ces deux projets là qui sont les choses les plus importantes.
M.B. : Et pour terminer Camille Delaforge, une dernière question. Vous avez ces dernières années fait énormément d’actions de sensibilisation en faveur des publics éloignés de la musique baroque. Est-ce quelque chose que vous avez toujours le temps de faire maintenant que votre carrière prend de plus en plus d’ampleur ?
C.D. : Oui, complètement, et à part égale dans l’activité de Il Caravaggio. Cette année nous avons fait soixante concerts et aussi une soixantaine d’actions de sensibilisation. C’est quelque chose qui compte beaucoup, pas pour remplir des cases, mais parce que cette pratique ancre aussi les artistes dans une réalité de contact, dans une remise en questionnement de cet art. Quand nous étions en résidence à Pontoise avec l’ensemble, je me suis rendu compte à quel point l’enjeu n’était pas tant de présenter la dimension de la musique classique que de replacer la Culture comme centre d’intérêt. C’est notamment vrai pour nombre de jeunes collégiens et c’est absolument essentiel car si nous ne faisons pas ce travail -là, on perd le sens du métier d’artiste qui a toujours été d’être au contact des gens qui écoutent la musique. C’est vraiment notre job que de conserver ce lien et donc ces actions sont une dimension essentielle de notre travail. Nous faisons énormément de master classes en hôpital de jour ou dans les écoles, et c’est quelque chose qui reste extrêmement présent.
M.B. : Camille Delaforge, merci beaucoup de nous avoir consacré cet entretien.
Propos recueillis par Pierre-Damien HOUVILLE le 30 avril 2025
[1] NdR. Collectif de production regroupant les scènes nationales de Besançon, Quimper, Sénart, ainsi que le Théâtre Impérial-Opéra de Compiègne, l’Opéra de Rennes et l’Atelier Lyrique de Tourcoing.
[2] Ndr. En 1975 précisément, sous la direction de Michel Plasson.
[3] Ndr. Mise en scène, scénographie et costumes.
[4] Die Schuldigkeit des ersten Gebotes, Le Devoir du Premier Commandement, Château de Versailles Spectacles.
[5] Ercole Amante, du 28 mai au 14 juin 2026, sous la direction de Leonardo Garcia Alarcon.
[6] Jeudi 19 juin.
[7] 1er avril 2026, mais aussi le 29 mars à Tourcoing et le 3 avril à Aix-en-Provence.
Étiquettes : Campra, Delaforge Camille, Il Caravaggio, Mozart, Pierre-Damien Houville, Purcell Dernière modification: 9 juin 2025