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Ils l’ont dit : « Il faudrait un 747 pour le ramener », Scott Ross à propos de Glenn Gould

« Quand j’entend Glenn Gould, je dis : il n’a rien compris à Bach. Un artiste qui ne se présente pas en public, il a un problème. Il est tellement à côté de la plaque, qu’il faudrait un 747 pour le ramener. » (Scott Ross)

Scott Ross, capture d’écran extraite du documentaire Arte, La sept, Radio France, Com’ Unimage « Une Leçon de Musique à la Villa Médicis », 6 avril 1989 – Droits réservés

« Ils l’ont dit », c’est une rubrique irrégulière, sans prétention aucune, de celle qu’on lit entre deux mots croisés. Ce sont des citations pêle-mêle, tantôt extraites de documents historiques, de propos d’interprètes…  Elles sont parfois doctes, parfois lapidaires, tantôt fameuses, tantôt obscures, souvent provocatrices et par là même réductrices.  C’est un monde plein de bons mots, de boutades, de saillies, d’ironie mordante, d’éclairs géniaux. Car quand on s’appelle Bach, Haendel, Scott Ross ou Nikolaus Harnoncourt, on peut tout se permettre. Au lecteur d’en faire sa pelote.

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Pour cette nouvelle année, nous écoutions l’intégrale Rameau du Ross (d’ailleurs jouée sur une honnête copie, et non encore sur le mythique clavecin du Château d’Assas de celle consacrée à Couperin lors des été 77 et 78) : un Rameau aux antipodes de celui que nous apprécions ordinairement, la version énergique et virtuose de Christophe Rousset (L’Oiseau-Lyre). Car si on se souvient de l’extraordinaire ductilité de Ross chez Scarlatti, parfois poussée jusqu’à l’ivresse (en intégrale Erato, plus mesurée dans les 30 Essercisi de chez Stil), l’on a souvent oublié son Rameau très articulé, à la fois libre et profond, d’une droiture mélancolique. Un Rameau introspectif aux tempi lents, d’une élégance blasée, moins métronomique que son Couperin, plus égaré, plus personnel encore. Et au détour de ses notes dont on attend encore une hypothétique réédition qu’Alain Villain se refuse à accorder aux mélomanes, l’on se souvient de cette remarquable triple leçon de musique filmée à la Villa Médicis, quelques semaines avant son décès. Le musicien, fatigué, usé par la maladie, s’y livre sans filtre, et décoche une flèche à Gould (on a souvent superficiellement comparé les deux enfants terribles du clavier), dont on n’a retenu que la vexation mordante sans chercher à comprendre davantage le sens profond de sa remarque. Revoici l’extrait en question précédé d’un autre passage qui l’éclaire davantage, et qui ne vous dispenseront pas de regarder de bout en bout l’ultime Leçon du Maître [V-L.N.] :

« La seule chose qui compte, c’est connaître le matériau sonore du compositeur. On ne peut pas comprendre la musique de Mozart si on ne connaît pas l’instrument sur lequel il jouait. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille les exécuter dessus. Parce qu’il faut bien avouer que les premiers pianos sonnent comme des casseroles. Les violonistes qui veulent jouer Bach doivent connaître le violon baroque. Après, s’ils veulent jouer sur un ocarina, sur un violon moderne, sur une mandoline, très bien, mais ils auront compris ce qu’ils n’auraient pas compris sinon. Glenn Gould n’a jamais su ce qu’est un clavecin. Landowska n’a jamais su ce qu’est un clavecin. Horowitz n’a jamais su ce qu’est un  clavecin. Je sais que je profère une hérésie après l’autre, mais il faut dire les choses comme elles sont.

(…)

La dernière chose que j’ai entendu de lui [Glenn Gould], j’ai cru que je tenais enfin l’argument pour ouvrir les yeux à ceux qui disent encore que Gould est un génie, alors que j’ai toujours trouvé son Bach scandaleusement vide de la moindre musicalité, rempli d’inventions fantastiques et dénuées de sens. Mais lorsque j’ai entendu son enregistrement de l’art de la fugue, j’ai parlé avec un ami défenseur de Gould. Il était d’accord avec moi pour dire que ça n’avait pas de sens du point de vue de la fugue, mais qu’il aimait les fugues jouées de cette façon là parce qu’il les comprenait. J’ai renoncé. Et je ne parle pas de l’articulation et du phrasé. ».

Scott Ross, entretien  non daté avec son élève Catherine Perrin op. cit. in Michel-E. Proulx, Scott Ross, un destin inachevé

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« Quand j’entend Glenn Gould, je dis : il n’a rien compris à Bach. Un artiste qui ne se présente pas en public, il a un problème. Il est tellement à côté de la plaque, qu’il faudrait un 747 pour le ramener. »

Scott Ross, propos extrait du documentaire Arte, La sept, Radio France, Com’ Unimage « Une Leçon de Musique à la Villa Médicis », 6 avril 1989.

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