Joseph HAYDN (1732-1809)
Symphonie n°43 Mercury (1771)
Symphonie n° 49 La Passione (1768)
Tafelmusik :
Violons I : Rachel Podger, Patricia Ahern, Valerie Gordon, Julia Wedman, Cristina Zacharias
Violons II : Johanna Novom, Louella Alatiit, Geneviène Gilardeau, Elizabeth Loewen Andrews, Christopher Verrette
Altos : Brandon Chui, Patrick G. Jordan, Shannon Knights
Violoncelles : Keiran Campbell, Margaret gay, Michael Unterman
Contrebasse : Pippa Macmillan
Hautbois : John Abberger, Marco Cera
Basson : Dominic Teresi
Cors : Pierre-Antoine Tremblay, Micajah Sturgess
Clavecin : Charlotte Nediger
Rachel Podger, direction
1 CD digipack, Tafelmusik Media, 2024, 52′
Joseph Haydn, Symphonies n° 43 & 49 ! Pourquoi Joseph Haydn ? Et pourquoi ces symphonies, non pas œuvres de jeunesses aux sonorités baroques encore sensibles, mais bien partitions matures, du milieu des quelques cent-huit symphonies que le classique viennois nous laissa en héritage, consacrant le genre à défaut de l’inventer (souvenons-nous avant lui de Georg Matthias Monn, 1717-1750, ou des nombreuses ouvertures symphoniques ayant précédées Joseph Haydn) ? Comme les lecteurs s’en sont aperçus, franchissant le pas des Harnoncourt, Rousset, Hogwood, Niquet ou encore les passionnantes réalisations du Palazetto Bru Zane, nous avons peu à peu élargi nos frontières pour accompagner les incursions post-baroques et classiques des orchestres sur instruments d’époque. De Papa Haydn, l’on avait il y a peu commenté l’extrêmement recommandable intégrale des Trios avec flûte, par Les Curiosités Esthétiques et Jean-Pierre Pinet (En Phases, 2024).
Avouons-le, si nous nous penchons avec intérêt sur cet enregistrement ci, au-delà d’un goût nous l’espérons pardonnable pour la musique de Joseph Haydn, c’est bien parce que la violoniste Rachel Podger en tant que cheffe invitée de Tafelmusik, livre une lecture à la fois équilibrée et renouvelée de ses symphonies, dans le presque respect des effectifs d’origine de la création de l’œuvre. Si en cela la Symphonie n° 49 respecte scrupuleusement la consigne (2 hautbois, 1 basson, 2 cors), l’on déplorera la petite incartade pour la n°43, initialement composée pour 2 bassons et qui sera jouée avec un seul sur le présent enregistrement. Qu’importe ! Sous sa férule vive et animée, la violiste redonne à ces deux œuvres leur vocation d’origine, de symphonies « de chambre », de divertissements. Un aspect particulièrement sensible pour la Symphonie n°43, en cela très typique de la production de Haydn au tournant des années 1760.
Car si les symphonies de Joseph Haydn peuvent être prises dans leur ensemble, pour le monument qu’elles représentent[1], elles ne sont pas à considérer comme des œuvres produites à la chaîne sur le même moule et au sein du genre, styles et périodes sont chez Haydn facilement reconnaissables.

Rachel Podger © Jonas Sacks
Ecrite en 1771, soit trois ans après la Symphonie n°49, la Symphonie n°43, avec ses quatre mouvements caractéristiques (Allegro/Adagio/Menuetto Trio/Allegro) s’avère très révélatrice du style de Joseph Haydn. De son archet, Rachel Podger impose aux cordes des attaques franches, précises, un rythme clair et structuré qui offre à l’ensemble un son d’une belle densité, et le long thème de ce premier mouvement relève d’un élan vital, d’une nervosité un peu ferme – sans être démonstrative – qui sert très bien cette composition. De ce mouvement initial se dégage un lyrisme certain, où l’intervention des cors se fait discrète, en soutien aux thèmes essentiellement portés par les cordes.
C’est à contrario un Adagio plus sage par nature, mais aussi d’où se dégage une idée d’espérance, un optimisme comme en quête en devenir que nous invite Haydn dans ce deuxième mouvement, ample, où là encore les cors rivalisent de mesure, laissant aux cordes le soin de soutenir le thème dans un bel équilibre. Et si le troisième mouvement s’entonne plus vif et solennel et met harmonieusement en parallèle hautbois et cors à plusieurs reprises, Haydn révèle sa pleine mesure dans le mouvement final, un Allegro tout en ambition et en dynamisme, extrêmement construit, et où le compositeur joue du contraste entre les instruments. C’est cette 43ème symphonie est souvent rattachée à la période Sturm und Drang du compositeur, notamment du fait de sa proximité de composition avec la Symphonie n°44 Trauer (funèbre), cette dénomination apparaît quelque peu abusive à l’écoute des trois premiers mouvements et ce n’est que dans le mouvement final que le compositeur déploie une énergie justifiant un tel rattachement au mouvement.
L’appellation semble aller comme un gant en revanche pour la Symphonie n°49 constituant la deuxième partie du programme, qui dès l’Adagio initial, ambitieux, révèle une intensité et même une excentricité aux intonations parfois lugubres, aux accents sombres remarquablement rendues. Haydn insuffle dès son premier mouvement une dimension quasi religieuse à sa musique dont les accents se retrouvent sans mal dans ses compositions de musique sacrée. Chez Haydn, la Passion est bien à entendre comme une souffrance, ce qu’exprime fort bien l’Allegro di molto du second mouvement, l’un des plus intéressants de ces deux œuvres, avec ses contrastes parfois sauvages. Tout est nervosité dans ce mouvement, jusqu’aux trilles bondissantes des cordes, rythmique entêtante accentuant une impression de quasi chao, avant que, là encore jouant habilement des contrastes, Joseph Haydn n’offre un troisième mouvement en Menuetto & Trio assagi, triste et lent, sur lequel le Tafelmusik se montre d’une belle homogénéité, sans rien concéder à la qualité du relief. Comme un dernier soubresaut. La pièce se conclut par un Presto final énergique, exaltant l’intensité que peuvent prendre les violoncelles (et auxquels pour être juste il nous faut souligner une très belle présence de la contrebasse) pour un mouvement au final haletant, déferlement très expressif qui termine de faire de cette Symphonie n°49 à la fois l’une des plus réussies et des plus caractéristiques de toutes celles composées par Haydn.
Cette incursion dans un répertoire plus classique pour le Tafelmusik qui s’avère une véritable réussite, proposant avec ces deux symphonies particulièrement représentatives de la maitrise de composition de Joseph Haydn, une interprétation très respectueuse du contexte de création des œuvres et d’une densité expressive soulignant toute la modernité du compositeur.
Pierre-Damien HOUVILLE
Technique : enregistrement incisif, très clair et étagé.
[1] Notons à ce titre que le chef Giovanni Antonini, dont nous parlions récemment au sujet de sa représentation des Noces de Figaro au Théâtre des Champs Elysées, s’est lancé depuis 2014 avec le Kammerorchester Basel dans un projet d’enregistrement de l’intégrale des symphonies du compositeur sur instruments d’époque. Un projet nommé Haydn 2032, du nom de l’année qui devrait le voir terminer cette prouesse, dont les précédents se comptent sur les doigts d’une main. Le 18ème volume est sorti en octobre 2024, chez Alpha.
Étiquettes : Haydn, Muse : argent, musique pour orchestre, Pierre-Damien Houville, Podger Rachel, Tafelmusik, Tafelmusik Media Dernière modification: 4 avril 2025