Rédigé par 7 h 09 min Histoire, Vagabondages, Voyages

Le crépuscule des lieux (2/3) : les tremblements de terre de Calabre en 1783 par de Dolomieu & Hamilton

Bruzzano Zeffirio, cote ionienne de la Calabre. Arc d’architecture baroque de la famille Carafa ayant servi de porte sud à ce village détruit par le tremblement de terre de 1783 et abandonné. En haut de la colline se trouve le site de l’acropole de cette ancienne cité grecque © Musebaroque mai 2023

Derrière leur postérité, géologique ou de gazette, n’oublions pas nos deux auteurs et leur récit respectif des séismes calabrais de l’année 1783. Déodat de Dolomieu n’est pas le premier à débarquer sur les côtes de Calabre, son voyage ayant demandé plusieurs mois de préparation, les autorisations et les financements nécessaires à ce type d’expéditions. Les formalités établies, il appareille de Naples après avoir consulté les témoignages en italien sur la catastrophe, débarque à Messine, ville elle aussi en partie ravagée et de là passe en Calabre, commençant à remonter toute la côté tyrrhénienne. Il précise dès l’avant-propos de sa relation avoir séjourné sur les lieux en février et mars 1784, soit assez exactement un an après les principales secousses. Il prend le temps de citer en exergue de son ouvrage quelques relations en italien, consultables à Naples (notamment celle du Docteur Vivenzio), mais, la communion des intérêts n’empêchant pas les coups de pique, il égratigne d’emblée le récit de William Hamilton, publié en français quelques mois plus tôt, le qualifiant de « bon observateur, qui n’a eu qu’un instant à donner à son voyage en Calabre ».

Déodat de Dolomieu, s’il s’extrait des pures spéculations divines ou apocalyptiques sur l’origine des séismes, reste encore quelque peu entravé dans une vision globalisante des catastrophes naturelles, parlant de « fléaux » auxquels il rattache un peu rapidement pour nos esprits, la foudre et le tonnerre, englobant le tout en un paquet de phénomènes dont les causes sont encore à scientifiquement expliquer.

Cela mis à part, il s’attache à aborder l’étude des tremblements de terre avec une rationalité scientifique qui honore son époque, prenant soin de souligner que la première secousse ressentie, celle du 5 février 1783 au matin, fut soudaine, sans signe avant-coureur, si ce n’est le pressentiment ressenti par certains animaux.  Dolomieu relate ainsi que préalablement à la secousse, les hurlements des chiens dans les rues de Messine étaient si forts et incontrôlables, que plusieurs personnes tentèrent de tuer les animaux récalcitrants. Un phénomène de panique animale qui se retrouve auprès des animaux de basse-cour et qui avait déjà été observé au moment de l’éclipse solaire de 1764.

Pour autant, un tremblement de terre n’est pas un phénomène inconnu dans la région, et au-delà des secousses mineures qui ponctuent la vie dans la région, Dolomieu relate que les habitants vivent encore dans le souvenir des énormes secousses de 1693, quatre-vingt dix ans auparavant, et moins dans la peur des destructions que dans cette de mourir enseveli, lentement étouffé sous les gravats après des heures d’agonie. Il mentionne au passage que suite à l’évènement traumatique de la fin du siècle précédent, nombre de bâtiments ont été reconstruits, avec des assises plus solides, à l’exemple du couvent bénédictin de Soriano, entièrement détruit en 1693 malgré une construction récente (1659). Couvent de nouveau détruit en 1783 et dont les ruines sont toujours visibles à Soriano Calabro.

Gravure des ruines de la cathédrale de Mileto, par Antonio Zaballi, d’après des dessins de Pompeo Schiantarelli. L’une des nombreuses planches illustrant l’ouvrage Istoria de’fenomeni del tremoto avvenuto nelle Calabrie e nel Valdemone nell’anno 1783, publié par Accademia delle scienze e delle belle lettere di Napoli, 1784.

Source Gallica / BNF. le sarcophage de Roger Ier de Hauteville a depuis été déplacé au Musée Archéologique de Naples. Aubin-Louis Millin le décrit encore sur place lors de sa traversée de la Calabre sous Napoléon.

Il n’empêche que la secousse du 5 février 1783 surpris par sa violence et avant toute considération scientifique objective, Dolomieu s’attache à la force du témoignage, comme ceux, nombreux, concordants, narrant que des paysans ont disparu alors qu’ils travaillaient dans leurs champs, happés par les failles s’ouvrant sous leurs pieds, et parfois se refermant sur eux au bout de quelques secondes, au gré des glissements de terrain.  Pour les zones urbanisées, et recherchant en cela un pragmatisme nécessaire dans de telles situations, Dolomieu prend soin de noter qu’environ un quart des personnes ensevelies sous les décombres des habitations ont pu être ressorties vivantes, ou bien que les corps montraient des signes de survie postérieure à l’ensevelissement, indiquant donc l’intensité des efforts à entreprendre dans la recherche de survivants dans les premières heures succédant aux destructions.

Pragmatique dans ses conclusions, cherchant avant tout à dispenser les priorités à mettre en œuvre en cas de catastrophe similaire, Déodat de Dolomieu se montre aussi débordé par la narration des plus bas instincts humains qui se font jour aussi à l’occasion de tels évènements. Arrivé à Polistena, il raconte qu’en gentilhomme, enseveli sous les décombres de sa maison, mais vivant, se fit détrousser par l’un de ses domestiques, qui ne prit pas même la peine de le sauver, s’accaparant juste les biens récupérables dans les ruines de la maison, ainsi que les boucles d’argent de ses chaussures, émergeant des décombres. Au-delà de ce cas particulier, Dolomieu relate l’ampleur des pillages et le peu d’humanité de nombreuses personnes dans ces moments tragiques, aspects régulièrement relevés dans les tremblements de terre contemporains.

Le hasard des destinées individuelles prises dans les aléas d’une telle catastrophe touche Dolomieu, qui prend soin de conter quelques cas marquants. A l’exemple, à Oppido, de cette jeune femme de dix-neuf ans, que Dolomieu décrit « au terme de sa grossesse », ensevelie trente heures sous les décombres de sa maison et finalement dégagée, qui accouche sans dommage quelques heures plus tard. Moins heureux, le dénouement de cet autre cas, cette fois sur la commune de Cinquefrondi, d’une jeune femme retrouvée vivante sept jours après le séisme, avec deux enfants auprès d’elle, morts et en état de putréfaction, dont l’un « appuyé sur la cuisse de sa mère, y avait occasionné une putréfaction semblable ». Il est à noter que l’archéologue François Lenormant, passant dans la région plus de quatre-vingt ans après, au moment des recherches préalables à la rédaction de La Grande Grèce (volume III, Calabre), ouvrage essentiel sur l’histoire et l’archéologie de l’Italie du sud, entend parler de la même histoire dans le même village, avec quelques variantes. Dans sa relation, la jeune fille a seize ans, est restée ensevelie avec un seul enfant dont elle n’est pas la mère mais dont elle avait la garde, qui, vivant au moment de l’ensevelissement, meurt le quatrième jour. La nécrose du fait d’un début de décomposition du corps de l’enfant est bien mentionnée. François Lenormant précise que la jeune fille décédera quelques années plus tard, à l’âge de vingt-cinq ans, s’étant murée dans un mutisme et une dépression sévère conséquence directe d’une expérience aussi traumatique.

Oppido Vecchia. Porte sud de la ville. Toute la partie Ouest du rempart a versé dans le ravin au glissement de terrain provoqué par la secousse du 5 février 1783, rasant cette ville proche de l’épicentre © Musebaroque mai 2023

L’incapacité à sauver des personnes ensevelies vivantes et qui meurent dans les heures ou les jours suivant la catastrophe est une expérience on le comprend traumatisante, dont Dolomieu recueille plusieurs témoignages émouvants, à l’exemple de ces quatre moines de l’ordre des Augustins de Terranova, qui se trouvèrent bloqués sous la sacristie et qui firent entendre leurs cris durant quatre jours après le sinistre, avant de s’éteindre et d’être retrouvés, morts, enlacés dans une dernière communion. Dolomieu précise que la ville de Terranova fut presque entièrement rasée par le séisme et que plus de la moitié des corps des disparus ne purent être extraits des décombres. Passant sur les lieux un an après les faits, les ruines exhalaient encore de l’odeur pestilentielle de la décomposition des corps. Sur près de 2000 habitants avant le tremblement de terre dans cette localité, Dolomieu estime le nombre de morts à 1600 personnes.

Dolomieu s’attache dans les villages où il passe à recenser le nombre de victimes, qu’il estime au total à environ 40 000 pour l’ensemble des cinq secousses principales du printemps 1783 (5 février, 6 février, 7 février, 1er et 28 mars), en adéquation avec les autres estimations, les chiffres oscillants entre 32 000 et 50 000 victimes. Dolomieu, s’il n’est le premier à décrire de tels phénomènes, s’attache également à préciser la souffrance des victimes due à la soif, de même que les ravages des incendies qui se déclenchent dans les ruines suite à l’écroulement des maisons sur les foyers domestiques.

Mais au-delà des conséquences directes du séisme sur les personnes, des mesures immédiates à prendre pour tenter d’en sauver le plus grand nombre, et du rôle, si essentiel des premières heures d’intervention, Dolomieu va faire œuvre de géologue, cherchant à comprendre les mécanismes de propagation des ondes telluriques et décrivant les différents phénomènes engendrés par les secousses sismiques.

Remontant vers le nord à partir de Reggio, le long des contreforts ouest de l’Aspromonte, Dolomieu confesse ne pas s’être rendu côté ionien, encore largement inaccessible à cette époque, même s’il précise que de nombreux villages furent aussi rasés du fait des secousses dans cette région. Il remonte ainsi jusqu’au nord de l’Aspromonte, dans l’étroite plaine constituée entre le golfe de Squilace et celui de Lamezia. Pour Dolomieu, aucun dommage sévère n’est à relever au nord d’une ligne partant de Amenthéa (côté tyrrhénien) pour se terminer au Cap Colonne (Côté ionien), soit en gros la délimitation méridionale du massif du Pollino. Géologiquement, les séismes qui secouèrent l’ensemble du massif de l’Aspromonte et les plaines côtières furent entravées dans leur propagation par l’imposant massif granitique orienté Est-Ouest du Pollino. De même, au sud, seule Messine fut ravagée sur l’île de Sicile, le massif de l’Etna bloquant la propagation des ondes.

La fin du dix-huitième siècle ne connaît pas encore les échelles permettant de mesurer de manière objective la force des séismes (l’échelle de Richter ne date que de 1935, les deux de Mercalli datent de la fin du dix-neuvième siècle, pour ne parler que des plus connues). Pour autant, Dolomieu a soin de manière empirique, de relever la nature et l’intensité des destructions dans les localités qu’il traverse. En cela, il approche de manière assez juste la notion d’épicentre, relevant que la secousse du 5 février cause le plus de destructions dans les territoires de Opido et de Santa Cristina (Oppido Vecchia et Santa Cristina d’Aspromonte, à quelques kilomètres l’une de l’autre). Pour autant, Dolomieu souligne avec fermeté qu’il est trop facile de penser que les destructions seraient de moins en moins importantes à mesure que l’on s’éloignerait de l’épicentre du séisme. Cette théorie ne s’appliquerait qu’en cas de propagation au travers d’une roche granitique assez homogène, sans prise en considération du sol de surface et du relief. Aussi, si les villages construits sur des socles granitiques ont d’autant mieux résistés qu’ils étaient éloignés du centre, il n’en est pas de même pour les villages, hélas fort nombreux, construits sur des sols sablonneux issus de dépôts aluviaires ou de remontées de fond marins, typologie très présente dans la région (particulièrement visible au niveau du village de Pentedatillo, côté ionien, dont les roches sont à ce titre assez similaires à celles des Météores en Thessalie). Ces roches, friables, peu stables, furent en Calabre un facteur aggravant des séismes, car si leur souplesse est un facteur d’absorption des ondes sismiques limitant leur propagation, elles s’éboulent, parfois se détachent en plaque, ce qui corrélé à un relief de petites vallées de fleuves côtiers descendant de l’Aspromonte, s’est traduit par de très nombreux éboulements ou glissements de terrains, emportant des parties entières de villages et leurs habitants. Mileto (actuel Mileto Antica, au sud du village contemporain), Oppido, ou encore Molochio, firent partie de ces villes ravagées par des glissements, dont des pans de muraille sont encore visibles actuellement, à plusieurs centaines de mètres de leur emplacement initial (ainsi ce bout de tour, visible dans le cimetière de Terranova Sappo Minulio, très en contrebas du village). A ces facteurs proprement géologiques, Déodat de Dolomieu n’oublie pas de rajouter le rôle du bâti, de nombreuses maisons étant construites avec un appareil constitué de pierres d’érosion, liées entre elle avec du ciment de mauvaise qualité, voire avec un alliage de terre séchée et de paille (un peu à la manière du torchis de certaines régions françaises), soit des techniques peu résistantes à la mise sous l’effet de secousses prolongées.

Cratères terrestres près de Rosarno, par Antonio Zaballi, d’après des dessins de Pompeo Schiantarelli.  Planche illustrant l’ouvrage Istoria de’fenomeni del tremoto avvenuto nelle Calabrie e nel Valdemone nell’anno 1783, publié par Accademia delle scienze e delle belle lettere di Napoli, 1784.
Source Gallica / BNF.

Car là réside l’un des apports essentiels de Dolomieu. En plus de croiser assez finement ses observations entre la notion d’épicentre et les variations de propagation dues à la géologie et au relief, il aborde la notion assez déterminante de la durée de la secousse. Alors que dans la très grande majorité des cas la secousse sismique ne dépasse pas une trentaine de seconde, les témoignages sont concordants pour affirmer que la secousse initiale de février 1783 a duré au-delà de deux minutes, une oscillation du sol aussi prolongée dans le temps renforçant les effets sur les couches supérieures du sol et donc sur le bâti. La secousse initiale du 5 février, ressentie vers 12h30 entraîna à elle seule environ 50 % des morts recensés en Calabre.  Au-delà des écroulements d’habitations, des éboulements et des glissements de terrains déjà mentionnés, un séisme d’une telle ampleur a aussi donné lieu à des phénomènes caractérisés mais plus rarement observables. L’ouverture de failles dans le sol. Dolomieu relève une faille de plusieurs pieds de larges, ouverte dans le sol entre les localités actuelles de Santa Giorgio Morgeto et Santa Cristina Antica (au sud-ouest de l’emplacement actuel du village). Des geysers d’eau et de sable surgissent quelques minutes à proximité de plusieurs cours d’eau, notamment à proximité de Taurianova, phénomène expliqué depuis par la compression subite des nappes phréatiques proches de la surface, créant une surpression. Phénomène de plus long terme, l’obstruction par un éboulement d’un cours d’eau, créant momentanément un lac artificiel avant que celui ne déborde ou que le bouchon ne finisse par céder, parfois plusieurs jours ou semaines après le séisme, entraînant de nouveau dégâts. Ainsi fût-il au niveau de l’épicentre, à Oppido, la partie ouest de cet important village (qui fut évêché) s’écroulant dans le cours d’eau, bloquant celui-ci. Dolomieu relève aussi un bouleversement complet des sources en rapport avec les différentes secousses, notamment vers Polistena et Casalnovo (bourg ayant été construit après la destruction du village initial dans le tremblement de terre de 1638).

Notre scientifique voyageur se doit aussi de traiter du cas assez particulier de plusieurs villes du littoral. Zambrone et Tropea au nord, Palmi et Bagnara un peu plus au sud, malgré leurs constructions sur des escarpements rocheux subirent d’importantes destructions, notamment du fait de la densité initiale de leur habitat. Tout autre se trouve être la situation au sud de la péninsule calabraise de la petite localité de Scylla, connue de nos jours pour ses thoniers, ou aux temps homériques pour son monstre marin à six têtes et douze pieds. Relativement épargnés par la secousse du 5 février en milieu de journée, mais craignant des répliques fatales, la plupart des habitants de la localité décidèrent de passer la nuit sur la plage, espérant ainsi se prémunir de tout danger. Hélas, la secousse du 6 février 1783 (estimée à 6.2 sur l’échelle moderne de Richter) trouve son épicentre dans la région et provoque l’effondrement d’une partie du Monte Paci, de nuit (vers 0h20) qui en s’enfonçant dans les flots provoque un raz de marée déferlant sur la plage et emportant environ 1500 personnes (chiffres actuels, Dolomieu mentionne 1200), dont le Prince de Sinopoli, seigneur du lieu. Déodat de Dolomomieu, soucieux un an après de démêler ce qui relève de la réalité objective et d’une interprétation limite eschatologique, prend soin de mentionner que les témoignages sur le fait que les eaux du tsunami auraient été brulantes ne peuvent être que des affabulations sans fondement rationnel.

Même s’il prend soin de mentionner que les effets du tremblement de terre se font sentir « des deux côtés de la chaîne » (comprendre, sur les deux versants de l’Aspromonte), il ne peut se rendre côté ionien, où de nombreux villages eurent à souffrir des dégâts des secousses de 1783, notamment Amendolea, Brancaleone, ou encore Bruzzano Vecchio qui fut abandonné à cette occasion, le site étant déjà un second emplacement par rapport à l’acropole grecque initiale, située au-dessus des ruines.

Ruines de Oppido Vecchia, de nos jours une belle oliveraie © Musebaroque mai 2023

Déodat de Dolomieu, scientifique accompli, a également raison quand il qualifie William Hamilton d’observateur consciencieux mais un peu pressé. La lecture du mémoire de ce dernier s’avère une relation intéressante, en particulier pour les témoignages de première main qu’il relate, mais n’atteint pas l’ampleur scientifique des écrits de Dolomieu sur le sujet, se contentant d’être plus l’œuvre d’un journaliste, d’un voyageur curieux décrivant les lieux où il se trouve. Aussi, n’en mentionneront nous que les différences notables par rapport aux écrits de Dolomieu.

En poste à Naples, Hamilton a l’avantage de la réactivité et affrète dès le moi de mai 1783 un bateau pour se rendre en Calabre. Il s’embarque ainsi en date du 2 mai sur un Speronare, voilier traditionnel, ce qui rappellera le mode de transport emprunté par Alexandre Dumas pour se rendre en Sicile quelques décennies plus tard et donnant son nom à cette partie de son récit. Hamilton, au contraire de Dolomieu qui se rend directement à Messine, longe les côtes du sud de la Campanie et du nord de la Calabre. La première trace qu’il mentionne du tremblement de terre se trouve être l’écroulement du clocher de Cedraro (actuel Cetraro, au nord de Paola), mais mentionne tout comme Dolomieu que les dégâts sont très limités au nord de la plaine de Lamezia Terme. Hamilton débarque dans la petite cité portuaire de Pizzo, non encore entrée dans l’histoire pour avoir le lieu des dernières heures de Joachim Murat, et décrit le village comme construit sur un promontoire de tuf volcanique, ce qui lui vaudra un démenti sévère de Dolomieu, soulignant ainsi les connaissances géologiques lacunaires de notre voyageur anglais. De Pizzo, Hamilton se rend à cheval à Monteleone (actuelle Vibo Valentia, l’Hipponion de Grande Grèce), précisant que cette cité a eu moins à souffrir de la secousse du 5 février que de celle du 28 mars 1783 (dont l’épicentre se situe non loin, à Vallefiorita). De là Hamilton se rend dans les principaux villages touchés par la catastrophe, soulignant comme Dolomieu l’ampleur des destructions, éboulements et autres glissements de terrain. Tout comme lui, il recueille les témoignages que la secousse initiale du 5 février fut si brutale et si longue que les arbres les plus souples ont tangué au point que leurs cimes touchaient le sol. Il décrit la destruction totale de Mileto, ainsi que celle de Soriano, dont les ruines du couvent des Augustins sont encore remarquables de nos jours dans la cité (cf. photo). Hamilton s’intéresse lui aussi aux cas extrêmes de survie, pas seulement celle des humains, et mentionne par exemple qu’à Soriano, deux cochons furent retrouvés dans les décombres vivants, bien que forts amaigris, quarante-deux jours après le séisme. Arrivé à Oppido, épicentre de la secousse du 5 février, il relate aussi l’histoire de la jeune fille ayant survécu sous les décombres, pour lui onze jours, avec sur elle le cadavre d’un enfant, mort quatre jours après la catastrophe, et mentionne tenir cette histoire de la bouche même de la survivante. Un intérêt pour les témoignages des personnes ayant frôlé la mort dans la catastrophe qui se retrouve un peu plus loin, quand Hamilton mentionne qu’une jeune femme, enceinte de quatre mois, fut repêchée vivante en mer, neuf heures après avoir été emportée par le raz-de-marée déferlant sur Scilla.

Ruines de l’ancien couvent des Dominicains de Soriano Calabro, détruit par le tremblement de terre de 1783 © Musebaroque mai 2023

Mais ce sont aussi les phénomènes géologiques les plus impressionnants qui sont l’objet de remarques mi-affolées, mi-interrogatives de la part du Chevalier de Hamilton. Aux environs de Rosarno, il décrit les cratères des abords de la rivière Mammela (actuelle Mesima) où se sont formés des geysers d’eau et de sable mêlés. A Terranova, il mentionne une population initiale de 2600 personnes, dont il ne resterait que 400 habitants. Descendant la péninsule par Polistena, puis Palmi et Bagnara, suivant en cela dans le sens inverse, un parcours assez similaire à celui de Dolomieu, Hamilton quitte la Calabre à Reggio, le 14 mai 1783, pour franchir le détroit et se rendre à Messine, seule ville de Sicile a avoir grandement souffert du tremblement de terre de Calabre. Notons au passage qu’il en profite pour mentionner son passage dans la région quinze ans auparavant (sans doute lors des observations préalables à son étude sur les monts Vésuve et Etna, parue en 1772), où débarquant au Capo Spartivento (extrême sud de la péninsule italienne, côté ionien), il se rendit à Bova, écrivant que « je trouvai que le Grec étoit le seul langage en usage dans ce district ». Soulignons là un témoignage, pas si courant à cette époque, d’un voyageur s’étant rendu dans ce village, l’un des derniers de Calabre à encore user de nos jours du Griko, vocable d’origine grecque, mâtiné d’italien, apanage des quelques villages en grande partie abandonnés qui bordent le Fiumare d’Amendolea (a noter que le grec est aussi un peu utilisé dans le Salento, actuelle partie des Pouilles, avec quelques particularités musicales que Christina Pluhar a plusieurs fois remis en majesté dans ces derniers albums).

C’est après avoir visité Messine que William Hamilton se rembarque pour Naples, faisant escale notamment à Scilla et Tropéa pour y décrire les ravages du tremblement de terre.

 

à suivre pour le troisième et dernier volet de cette étude

Pierre-Damien HOUVILLE

 

Étiquettes : Dernière modification: 31 mars 2025
Fermer