Jean-Sébastien BACH (1685-1750)
Concerto pour 3 clavecins BWV 1064 et BWV 1063
Concertos pour 4 clavecins BWV 1065
Concerto Brandebourgeois BWV 1048 (transcription de Bertrand Cuiller)
Violaine Cochard, clavecin (1ère voix BWV 1064, 2ème BWV 1065, 2ème BWV 1048)
Bertrand Cuiller, clavecin (1ère BWV 1063, 3ème BWV 1048, 4ème BWV 1065)
Olivier Fortin, clavecin (4ème BWV 1048)
Pierre Gallon, clavecin (1ère BWV 1065, 2ème BWV 1064, 3ème BWV 1063)
Jean-Luc Ho, clavecin (1ère BWV 1048, 2ème BWV 1063, 3ème BWV 1064)
Davor Krkljus, clavecin (3ème BWV 1065)
Le Caravanserail :
Louis Créa’h, Yoko Kawakubo, violons
Jérôme Van Waerbeke, alto
Bruno Cocset, violoncelle
Richard Myron, contrebasse
Bertrand Cuiller, direction
1 CD digipack, Ramée / Outhere, 49’50.
Voici un CD à croquer à pleines dents. D’une dent féroce et robuste. Avant d’en extraire toute la saveur et d’en lancer nonchalamment le trognon. Même pas 50 minutes pour ce concentré ébouriffant. Plus besoin de montagnes russes, nos musiciens dévalent les pentes avec un enthousiasme jouissif et nerveux, une sécheresse presque féroce. L’on peine presque à reconnaître le toucher sensible et introspectif de Violaine Cochard ou de Jean-Luc Ho, qui d’habitude, en solo, se montrent bien plus tempérés. Mais Bertrand Cuiller, dont la générosité ne monopolise pas les premières voix de chaque concertos, pousse ses comparses dans leurs retranchements, avec une gourmandise effrénée et un sens du théâtre ahurrisant.
Et puisqu’on ne sait où donner de la tête, commençons par le centre, et cette fameuse transcription en la mineur du concerto pour 4 violons de Vivaldi, extrait de l’Estro Armonico. Certes, Bach a enrichi les parties intermédiaires, développé la basse, ripoliner l’élégie solaire en virtuosité clavecinistique. Bertrand Cuiller choisir le retour aux sources italiennes sanguines : Pierre Gallon, Violaine Cochard, Davor Krkljus et Bertrand Cuiller (last but not least), s’escriment avec des instruments aux sonorités bien différenciés : ce n’est pas un dialogue de carmélites, c’est le Pré-aux-Clercs. Le duel est explosif et sans fleurets mouchetés : ductilité virtuose, extraversion crâneuse, trilles mitraillés, basses écrasées comme des champignons de Ferrari écarlate. Qu’ont il mangé avant de se donner corps et âme dans ce mouvement initial sans titre ? Excitation de la ligne, dérangements constants des assauts polyphoniques des confrères. Ca double à droite, ça fonce à gauche. Y’a t-il seulement de la lumière au fond du tunnel ? Derrière, les cordes sont peu audibles. Ce sera l’un des reproches à adresser à l’ingénieur du son : subjugué par les clavecins il a mis le Caravansérail derrière et au fond (métaphoriquement sur le plan sonore), relégué en deuxième division. Le Largo n’est que frémissement inquiétant, transition inquiète. Boum, badaboum, on enfonce l’Allegro à coup de pilotis. Les notes déchirent l’azur, l’espace est saturé, “trop de notes” aurait dit Joseph II (apocryphe). Tant bien que mal, les violons sensibles de Louis Créac’h et Yoko Kawabuko tentent une percée poétique, mais se retrouvent plaqués au sol par les quatre monstres terriens (quelle différence avec l’alternance élégante de bon ton dans l’enregistrement intégral de référence de Leonhardt – Teldec). Ici, la prise de risque confine à l’urgence, il en va de la survie du groupe en apné. On en ressort heureux et épuisé.
Le reste est à l’avenant, avec une vision homogène, cohérente, intense et très rapide, mais non pressée. Cela ne va pas trop vite, cela file très très vite. Critique t-on Ariane V pour ses boosters ? A ce jeu, les concertos BWV 1064 (sans doute une transcription d’un original perdu pour violons) et 1063 se révèlent peu atmosphériques mais d’une netteté de bistouri. L’on regrette un brin qu’à l’excitation extrême, aux accélérations de bolide ne succède pas davantage de répit. On halète, on souffle, on ne respire pas. Trop de vivacité, de mouvement ? A la querelle du coloris, Bertrand Cuiller a choisi la forme plutôt que la couleur, et a mis les clavecins au pinacle. C’est un peu dommage pour Richard Myron et Bruno Cocset (nos lecteurs auront reconnus les musiciens des Basses Réunies), peu présents. Mais quelle netteté dans les articulations – malgré l’emballement des tempi – quelle précision dans le toucher, quelle puissance viscérale dans le geste, quel souffle dans l’épopée !
La transcription à quatre clavecins de la BWV 1048 (Olivier Fortin y tient le 4ème clavecin) la rend plus compacte, plus sombre, plus menaçante dans son premier mouvement, quasi symphonique, d’une délirante grandeur.
Eh bien, après tout, “rouler des mécaniques” quand elles sont aussi superbement huilées, se jeter à corps perdu dans la musique, s’y vautrer, étaler ses 3 ou 4 claviers (si bien qu’on entend parfois d’étranges résonances), cela s’appelle avoir le pinceau tâché de génie.
Viet-Linh NGUYEN
Technique : clavecins captés de près, et très en avant du reste de l’orchestre.
Étiquettes : clavecin, Cochard Violaine, Cocset Bruno, Cuiller Bertrand, Fortin Olivier, Gallon Pierre, Ho Jean-Luc, Jean-Sébastien Bach, Krkljus Davor, Muse : or, musique pour orchestre, Ramée Dernière modification: 16 avril 2025