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20 janvier 2014

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Sélection rentrée 2009
L'Ile Baroque :
s'il n'en fallait qu'un, ce
serait celui-là

Détail d'une
porte d'un hôtel particulier strasbourgeois du XVIIème
siècle ©
Muse Baroque 2008.
Choix immensément
cornélien, d'un sadisme non dissimulé, d'une violence inouïe. L'île de la
tentation en quelque sorte. Et si nos
rédacteurs devaient fuir les ravages des dragonnades ou les lansquenets
allemands, et n'emporter qu'un unique enregistrement ? Un enregistrement emporté
rapidement, à brûle-pourpoint, excluant les intégrales et gros coffrets,
excluant les disques faisant déjà l'objet d'une critique détaillée dans notre
discothèque idéale. Voici le résultat de ses consciences malmenées, le résultat
parfois surprenant de ces décisions hâtives, presque instinctives, de ceux qui
ont bien voulu se prêter au jeu plutôt que de défendre leurs disques jusqu'à la
dernière hallebarde...

Isaure d'Audeville
Contrairement
aux représentations de l’opéra de Stefano Landi qui firent grand bruit dans
le microcosme baroque au mois de février dernier, la sortie du DVD d’Il
Sant’Alessio de Stefano Landi (Virgin) a, quant à elle, fait très
peu de vagues. Profitons donc de ce début d’année pour découvrir ou revivre
un spectacle de toute beauté. L’éclairage à la bougie et le petit nombre de
musiciens qui compose l’orchestre confère à cet enregistrement une
atmosphère intimiste et chaleureuse, retranscrivant avec une certaine
fidélité l’ambiance du spectacle. Cette intimité, cette proximité avec les
musiciens – par de très beaux plans rapprochés faisant palette des divers
instrumentistes et chanteurs – convient tout particulièrement au temps de
l’Avent et de Noël, rappelant les farandoles de santons, petits ou grands,
se pressant autour de la crèche, le tout nimbé d’une douce et chaleureuse
lumière. Comme les enfants restent ébahis devant ces personnages de terre,
l’on ne peut que s’émerveiller de la douceur des couleurs, de l’harmonie des
tons dont sont parés les somptueux costumes. Délice visuel, c’est également
à une découverte sonore que laquelle William Christie nous convie ;
la distribution entièrement masculine participe grandement à ce sentiment
"d’être ailleurs", de se trouver dans une nouvelle dimension où le temps
suspend son cours, comme dans la nuit de Noël. Acceptons d’abandonner pour
quelques heures nos occupations quotidiennes, parfois monotones, de prendre
le temps de "faire une pause" dans ce monde au tout va trop vite et de
recouvrer notre âme et nos yeux d’enfant afin de savourer pleinement ce DVD
remarquable.
Alexandre Barrère :
L'on
sait que les haendéliens attendent le Messie. Les delleriens, quant à eux,
rêvaient à cette petite boîte cartonnée verdâtre depuis bien longtemps. Les
10 LPs originaux ont été recombinés dans ces 7 CDs (Vanguard Classics), dont
certaines pièces avaient déjà fait l'objet de rééditions confidentielles
vite épuisées. On retrouvera ici le timbre fragile et poétique d'Alfred
Deller, parfois à la limite de ses possibilités techniques mais toujours
conteur irremplaçable, truculent ou rêveur, d'une simplicité touchante. Se
côtoient des chansons de taverne et autres pièces populaires quelquefois a
capella, et de magnifiques pièces accompagnée au luth. Atmosphère, il avait
une gueule d'atmosphère, un talent inné à croquer l'ambiance nostalgique de
ces chants d'amour malheureux, de ces pintes d'étain qui s'entrechoquent, de
ces malicieuses grivoiseries. A l'écoute de cet ensemble se dégage une
saveur, un parfum d'ailleurs et d'on ne sais où. Esswood, Lesne, Scholl et
bien d'autres ont écumé ce répertoire, sans atteindre les vapeurs
insidieuses d'une Albion que l'on imagine embrumée et mélancolique d'Alfred.
Amandine Blanchet :
Depuis le phénoménal et inattendu succès de Tous les Matins du Monde,
la viole de gambe a conquis le grand public. Elle l'a conquis par sa
déchirante plainte, par ses arpèges virtuoses, ses graves profonds, cette
voix si humaine dans son timbre et ses inflexions. Jordi Savall et la
fine fleur des musiciens baroques (Pierre Hantaï, Philippe Pierlot, Rolf
Lislevand...) reviennent à leurs premières amours, et offrent ici une
évocation libre et colorée, d'une incroyable opulence de la Suite d'un
Goût étranger et de grands "tubes" du IVème Livre de Marin
Marais (Alia Vox). Et dans la complicité chaleureuse de grands
interprètes qui se font plaisir, on retrouve une éblouissante "Marche
Tartare", un "Tourbillon" tourbillonnant, une "Rêveuse" suicidaire, un
"Badinage" abandonné. Les timbres multicolores sont magnifiés par une
sublime prise de son, les coups d'archet grisants, l'invention constante.
Oui, mon île déserte le sera moins en si bonne compagnie.
Loïc
Chahine

Il y a
des disques qui captivent des les premières secondes : celui-ci, consacré à
Delalande (Alpha), en fait absolument partie. Les premières notes sur
le mot "Miserere" sont magiques. On y entend un continuo exemplaire,
chaud, rond, enveloppant, et une voix qui prend au tripes. Miserere,
aie pitié. Chaque piste vaut presque à elle seule une cérémonie entière. Le
Miserere rythmé par les passages du chœur en faux-bourdon, est
déjà un sommet, mais il n’y a nulle baisse de régime ensuite. Les
Leçons de ténèbres sont très variées, très différentes de celles de
Couperin. Ici, le théâtre, le contraste, le baroque ! Il y a des voix sans
lesquelles on ne s’imagine plus vivre une fois qu’on les a entendues : celle
de Claire Lefilliâtre en fait assurément partie. Ses petites
diminutions, ses ornements fins et rapides font le bonheur des uns et
agacent les autres. La technique est sans doute peu orthodoxe, mais le
résultat est incroyable : une voix de mezzo-soprano pour la tessiture, qui
sonne plutôt comme un soprano ; une voix à la fois claire, mais ronde et
pleine. Ce disque est couplé avec le Sermon sur la mort de Bossuet,
déclamé par Eugène Green. Ce dernier a été fort critiqué, et à juste
titre car ces principes de reconstitution sont souvent un peu trop vagues et
méritent d’être nuancés. Il est cependant convainquant en prêtre en chaire,
et c’est presque une redécouverte d’entendre ici ce Sermon.
Au
final, c’est un disque qu’on a toujours autant de plaisir à réentendre, l’on
ne comprend décidément pas que quelqu’un aie pu dire que "si Lalande
avait su que Claire Lefilliâtre chanterait son Miserere il ne
l’aurait pas écrit". Nous pensons au contraire qu’il lui aurait écrit
plusieurs autres pièces.
Marion Dammerey

Enrico Gatti aime l'ombre tout
autant que la lumière. Et cet enregistrement est à l'image de sa belle
jaquette en clair-obscur, teinté de l'amertume de la condition humaine,
blasé devant la vanité de ce bas monde. Si jamais je dois partir sur un
minuscule cailloux désertique perdu au milieu de l'océan malheureux, alors,
les nobles phrasés plaintifs mais retenus du violoniste reflèteront mon
désespoir. Jamais le contrepoint corellien n'a été aussi clair, étiré
jusqu'à la trame, évanescent et vaporeux. Les tempi doucement balancés, la
résignation souriante, la lente sérénité d'un archet qui coule et coule
encore sculptent les sonates d'église opus 3 de manière suggestive et
douloureuse, tout en conservant un équilibre et un noblesse infinis (Arcana).
Gatti n'est pas toujours des plus convaincants dans ses parti-pris
quelquefois excessifs, mais ce spleen éclairé à la bougie, tremblant comme
une flamme ou un enfants échappé de l'orage a quelque chose de miraculeux et
de fervent qu'on croise trop rarement.
Anne-Lise Delaporte
En
espérant n’avoir jamais à faire un tel choix, l’heureux élu sera l’Orfeo
de Monteverdi par la Venexiana, enregistrement
contenu dans un livre-disque numéroté de belle facture édité par Glossa. Non
que les bonnes versions de l’Orfeo n’abondent pas, mais il y a dans
cette lecture archaïsante et lumineuse, rêche comme le coton des bergers,
soyeuse comme la rosée perlant sur les feuilles frémissantes une indéniable
poésie. Cet Orfeo sur papier glacé, parfois austère et
hiératique, tout en suspension, extrêmement musical et contemplatif, renoue
carrément avec l’univers intimiste du madrigal, sculpte les mots, allonge
les phrasés, adore les sons tenus. Les cuivres pétouillent timidement,
rappellent plus une quelconque foire locale que les ors du palais ducal de
Mantoue, les cordes sensuelles et grainées ont l'innocence de la bergerie,
les chanteurs radieux mais discrets. Dès le Prologue, la Musica d'Emanuela
Galli donne le ton, déclamant chaque mot, frissonnant sur le "più gelate
menti" (les esprits les plus froids). Et l'Orfeo de Mirko Guadagnigni, au
souffle impressionnant, d'une grande noblesse glacée s'insère à merveille
dans cette esthétique miniaturiste et pastel (écoutez ce "Rosa del ciel"
interminable). Alors, on aura connu
des continuo plus foisonnants, des interprétations plus touffues, plus
énergiques. Certains trouveront cet Orfeo maniéré et trop chambriste.
Mais c'est un Orfeo en apesanteur
musicale (qui aurait si bien convenu à Trisha Brown), hyper théâtral, qui a
choisi de se tourner vers le monde finissant de la Renaissance que
j'emporterai sur cet île au trésor.
Armance d'Esparre
Hourrah
! La voici enfin rééditée - certainement par un passionné de chez Warner -
cette Passion selon Saint-Jean qui fut la première sur
instruments d'époque et avec des seules voix masculines, en 1965 (Teldec).
L'histoire en est complexe puisqu'un premier transfert en CD fut rapidement
retiré des bacs devant l'attribution de la direction à Nikolaus
Harnoncourt, alors que le mérite en revient en réalité à Hans
Gillesberger (Harnoncourt dirigeant le seul Concentus Musicus Wien
; comme cela était clairement affirmé sur les notes des cinq 33 tours
d'origine). Quoiqu'il en soit, cette Passion selon Saint-Jean est une
vénérable réussite pourtant bourrée de défauts. On oubliera vite la justesse
approximative des instruments (quoique le luth d'Eugen M. Dombois soit
admirable de même que les bois) et surtout les imprécisions et les décalages
des chœurs d'enfant du Wiener Sängerknaben (chœur d'entrée crié avec
violence) pour ne retenir que des moments d'anthologie dus à l'Evangéliste
si humain de Kurt Equiluz, et au noble Jésus de Max Van Egmond.
L'ensemble, dramatique à souhait, baigne dans un climat de ferveur brute
et lumineuse, le "Betrachte meine Seel" demeure insurpassé, l'alto enfant
anonyme du "Es ist vollbracht" extrêmement touchant. Une version sensible et
pionnière à réécouter sans modération.
Sébastien Holzbauer
J’ai
longtemps hésité, réfléchi, mis en balance le sublime et l’excellent, le
poétique et le vigoureux, le parfait et l’émouvant. Et puis, presque
naturellement, alors que l’analyse critique se trouvait en défaut, mon
regard s’est porté sur le coffret sombre, désormais un peu élimé, d’Atys
de Lully (Harmonia Mundi).
Oui, cela n’a rien d’original, ni d’actualité (quoiqu’on annonce une reprise
de la production mythique de Villégier à l’Opéra Comique en 2010 grâce à la
générosité d’un mécène américain) mais il y a des souvenirs musicaux dont on
ne se défait pas. L'orchestre à 5 parties resplendit d'assurance et de pompe
louis-quatorzienne, les chœurs exultent et déplorent. Toutefois, la plus
grande réussite de cette production a été de parvenir à concilier ce cadre
impressionnant et spectaculaire au jeu intimiste des passions des
protagonistes tourmentés par la vengeance et l'amour. Otés les perruques et
les temples, que d'humanité en ces lieux... Et pour un « Je me défends d’aimer autant qu’il est
possible » lancé avec une fanfaronne ironie par Guy de Mey, un « Atys est
trop heureux » frêle et douloureux d’Agnès Mellon, sans oublier cet
orchestre moiré, tout entier soumis au drame, on livrerait bien au bûcher
un monceau d’autres chefs d’œuvres...
"Le Baroque pour les nuls : 10 CDs
pour découvrir (et apprécier) la musique baroque"
Le Panier de la Muse :
friandises baroques pour Noël 2008
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