A Consort’s Monument
Fantaisies, airs et dances d’Alfonso Ferrabosco, John Ward, William White, Thomas Lupo, Richard Dering, Giovanni Coperario, William Lawes, John Jenkins, Christopher Simpson et Claudio Monteverdi.
Ensemble L’Achéron
direction François Joubert-Caillet
Ricercar/Outhere Music, 2020, 66′.
Il arrive que la plénitude surgisse d’une apparente austérité. En quelques notes l’équilibre se crée, l’harmonie s’installe au sein d’un superbe enregistrement de L’Acheron dirigé par François Joubert-Caillet qui saura ne jamais se départir d’une grâce originelle, glissant d’une œuvre à l’autre en conservant ce qui fait son essence, une clarté absolue du son, d’extatiques vibrations boisées des instruments. Mais aussi et peut-être avant tout le miracle du relief et de l’équilibre entre les instruments, jouant de concert sans la moindre rivalité, déployant une palette de nuances aussi subtiles que graciles, créant un ensemble vivant, enthousiasmant et rendant des œuvres pour le moins anciennes, évidentes, familières, et restant en l’esprit bien après leur écoute.
Certes, face à un XVIIIème souvent virevoltant, ce recueil de pièces pour violes, virginal et orgue venu tout droit des froides îles britanniques aurait pu ternir nos ardeurs mélomanes et pourtant il n’en fut rien, tant l’ensemble L’Achéron, dirigé par François Joubert-Caillet excelle à rendre les œuvres présentées dépouillées de tout artifice, effet ostentatoire de style et autres humeurs, pour nous les livrer dans une chaleureuse nudité originelle d’où ne se dégage que sagesse et harmonie, pour un bonheur tout droit hérité de compositeurs pour la plupart biens oubliés du premier dix-septième siècle.
Au commencement pourtant était un livre, de l’érudit anglais Thomas Mace (1613-1709), intitulé Musicks Monument (1676) dans lequel le musicologue, et à ses heures luthiste et compositeur, disserte dans le sens le plus noble du terme sur le luth, la musique religieuse et la viole, en particulier dans la troisième partie de l’ouvrage. Concernant la pratique des violes, très répandues dans la musique anglaise du milieu du dix-septième siècle, il expose et détaille les proportions qu’elles doivent avoir entre elles, privilégiant notamment les formations à six instruments, avec deux basses, deux ténors et deux sopranos, tout en précisant la place et le rôle de l’orgue ou du virginal, encore assez populaire dans la musique anglaise de ce siècle, avant son inexorable déclin. Il s’en trouve donc un véritable traité sur tout un pan de la musique anglaise dont les sonorités comme les tonalités apparaissent ou étrangères ou déformées à nos oreilles contemporaines.
D’où l’idée, à la fois modeste et ambitieuse, des musiciens de L’Achéron de repartir des fondamentaux et de récréer par des facteurs et luthiers contemporains un ensemble d’instruments au plus proche des sonorités des instruments anglais de l’époque, en prenant notamment pour sources premières les nombreuses indications disséminées dans son ouvrage par Thomas Mace. En résulte un merveilleux ensemble de six violes, réalisées par Arnaud Giral entre 2011 et 2017, un virginal de Jean-François Brun terminé en 2018 et un orgue ancien, signé Dominic Gwyn en 2019.
Restait à composer le programme, à partir des œuvres disponibles des compositeurs dont le nom est égrené au fil des pages, souvent obscurs et dont les compositions furent dans la plupart des cas peu perméables aux influences étrangères, Thomas Mace se montrant au fil de ses pages assez conservateurs, et peu ouvert aux influences françaises et italiennes qui commencent à pénétrer la musique des îles britanniques.
C’est pourtant par un beau contre-exemple que s’ouvre cet enregistrement, laissant admirer une très belle Fantaisie II de Giovanni Coperario (vers 1570-1626), patronyme italien derrière lequel se cache le très anglais Johnn Cooper, qui succomba à la vogue de la musique italienne, et dont les exégètes discutent encore la question de savoir si il mis ou non au cours de sa vie les pieds dans la péninsule. Il n’en reste pas moins que d’emblée se révèle dans l’exécution de cette dernière toute la maîtrise de l’ensemble L’Achéron, exécutant une œuvre pleine sa sagesse et où transperce la parfaite maîtrise des instrumentistes, habiles à conserver l’équilibre entre les instruments, dont la tessiture, harmonieusement répartie, s’avère d’une harmonie plus que séduisante. Des qualités de composition et d’exécution que nous retrouverons un peu plus tard en suite de programme lors de l’air O voi che sospirate.
C’est un élève de Coperario que nous retrouvons en suite de programme, William Lawes (1602-1645), musicien ayant fait toute sa carrière auprès de Charles Ier, bien que celle-ci fût courte, sa position de musicien reconnu ne l’empêchant pas de trouver la mort lors de la première révolution anglaise, le Roi lui décernant alors le titre honorifique de Father of Musik. Son Almaine d’une souveraine allégresse et laissant entendre un beau dialogue entre la viole et l’orgue, à la fois solennel et mutin, ravira, révélant des qualités de composition assez complexes pour cette période et plaçant William Lawes parmi les plus belles révélations de cet enregistrement, qualités de compositions que nous retrouvons ensuite, dans son Ayre à 6, même si nous nous permettons de déplorer dans l’exécution de cette dernière un orgue trop en avant.
Peut-être certains mélomanes seront-ils surpris de trouver au milieu de ce concert de compositeurs anglais une pièce de Claudio Monteverdi (1567-1643), décrit par Thomas Mace comme « a famous italien author ». Le Maître italien était en effet connu sur la rive nord de la Manche, et est illustré dans le présent enregistrement par un madrigal composé en 1592, les ensembles anglais étant alors habitués à adapter des madrigaux en transposant les parties vocales en respectant les tessitures, selon la pratique Renaissance usuelle.
Au sein d’un programme riche en belles découvertes, nous noterons également le May à 3 de Christopher Simpson (1610-1669), tiré de sa série The Monthes, où les violes nous éblouissent par leurs dialogues, leur suavité, tout en se montrant sautillantes et joyeuses. La pièce est là encore magnifiées par une qualité d’exécution sans faille et un parfait respect entre les différents instrumentistes.
L’ensemble Achéron nous livre avec cet enregistrement un témoignage précieux sur les ensembles de violes anglaises du dix-septième siècle, sublimant quelques compositions qui d’un coup, au travers des siècles, nous apparaissent d’une familière proximité, et François Joubert-Caillet, dont on ne sait comment il trouve le temps de mener à bien son intégrale Marais de front avec ses autres projets, ne finit pas de nous étonner.
Pierre-Damien HOUVILLE
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