Rédigé par 7 h 19 min CDs & DVDs, Critiques

Miroir Vénitien (Reali, Vivaldi, Specchio veneziano, Le Consort – Alpha)

“Car maintenant nous voyons dans un miroir, obscurément, mais alors nous verrons face à face ; maintenant je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme j’ai été aussi connu.” (Saint-Paul, Épitres aux Corinthiens, 13-12)

Giovanni Battista Reali (1681-1751)
Sinfonia XII (Folia)
Sinfonia II (capricio) in D minor (premier enregistrement mondial)
Sinfonia IV (capricio) in D major (premier enregistrement mondial)
Sinfonia I (sonata) un D minor (premier enregistrement mondial)
Sinfonia X (capricio) in A major (premier enregistrement mondial)
Sinfonia IX (sonata) in D minor (premier enregistrement mondial)

Antonio Vivaldi (1678-1741)
Sonata prima I in G minor, opera I, RV 73
Sonata a violoncello in E minor, RV 40 (largo)
Sonata terza per due violini e basso opzionale in F major, RV68
Folia, opera I, RV 63

Johann Sebastien Bach (1685-1750)
Concerto in D major BWV 972
After Violin Concerto in D major (op.3 n°9, RV 230) by Antonio Vivaldi

Le Consort :
Théotime Langlois de Swarte, violon baroque (Jacob Stainer, 1665)
Sophie de Bardonnèche, violon baroque (Antonius & Hieronymus Amati, 1596)
Hanna Salzenstein, violoncelle baroque (Renaudin, début dix-huitième)
Justin Taylor, orgue et clavecin

Avec la participation de
Victor Julien-Laferrière, violoncelle baroque

Alpha-Classic, 2021, 68′.

Du Consort nous attendions forcement beaucoup tant le jeune ensemble a déjà su se faire une renommée en quelques disques remarquables et remarqués (que l’on se souvienne de son Opus 1 consacré à Dandrieu et Corelli en 2019). Avouons d’emblée que nous n’avons pas été déçus à l’écoute de ce nouvel enregistrement entremêlant savamment quelques-unes des plus belles pages de la musique vénitienne. Car au-delà des œuvres, c’est la perpétuelle incandescence de l’interprétation qu’il nous faut saluer. S’appropriant les partitions de Reali et Vivaldi le Consort démontre une nouvelle fois sa maitrise, son sens du rythme et de l’incise, allié à une complicité et une virtuosité rendant cet enregistrement passionnant de bout en bout. L’archer, aussi léger que précis de Sophie de Bardonnèche et Théotime Langlois de Swarte offre un grain boisé, une solennelle émotion, une vibration intense, épousant à merveille toutes les possibilités offertes par leurs deux prestigieux instruments que le continuo attentif et rythmé d’Hanna Salzenstein au violoncelle élancé, et le clavecin ou positif dynamique de Justin Taylor soutient avec une fermeté mouvante. Un crescendo émotionnel qui ne cessera de s’amplifier pour rendre proprement époustouflante une Follia de Vivaldi pourtant si souvent enregistrée, mais qui arrive encore à nous subjuguer.

En plus de son évident plaisir d’écoute, l’ambition de cet enregistrement est aussi de mettre en lumière l’œuvre de Giovanni Battista Reali, compositeur vénitien contemporain de Vivaldi dont le moins que l’on puisse dire est qu’il ne jouit pas de la même renommée, au point que cinq des six pièces présentées sont enregistrées pour la première fois. Seule sa Follia bénéficie d’une maigre renommée ayant évité à son auteur de tomber dans un complet oubli que prolonge le peu d’éléments biographiques en notre possession. Vénitien de naissance, ayant publié en 1709 un opus de sonates en trio dédiées à Corelli, suivi peu après d’un second, il est mentionné une dernière fois comme maitre de chapelle du duc de Guastella (Emilie-Romagne) en 1727, ville où l’on perd ensuite sa trace. Vivaldi et Reali publient chacun avant la trentaine leur premier recueil de sonates en trio, genre en majesté depuis Corelli et y insufflent tous deux la même volonté d’y retranscrire la fougue de leur jeunesse et la maturité de leur talent. Regrouper ces œuvres au sein d’un même programme ne s’assimile donc pas à une comparaison, joute un peu vaine, mais permet au contraire d’embrasser un style et de confondre deux talents qui portent haut la musique vénitienne de ce début de dix-huitième siècle.

La Follia est alors un genre en vogue, dont on relèvera les prémices dans la musique ibérique, et qui s’émancipe de son origine de danse populaire pour se structurer et offrir, à partir d’un thème initial, folie de variations le plus souvent aussi virtuoses qu’ébouriffantes. Reali, dans ce qui reste son œuvre de loin la plus connue, y démontre l’étendue de son talent et son originalité, distillant là quelques accords que n’auraient pas désavoué Haendel, et une partie de violoncelle concertant rehaussant le brio du duo de violons. L’œuvre émerveille par sa prestance, son inventivité, obligeant les interprètes à une virtuosité maîtrisée à laquelle ils se prêtent avec extase (variations 3-7, puis 9-16).

Maître de son style, Reali émeut encore, notamment dans sa Sinfonia II, capriccio émouvant alternant gravité et impétuosité en démontrant quelques caractéristiques de son style, à savoir offrir une musique ciselée, où la structure n’entache jamais l’émotion, séduisant par une belle variété de sentiments.

Vivaldi, tout en s’appropriant le style de la sonate en trio ose encore plus que Reali en dépasser les règles et émerveille dès sa première sonate en un mélange de variations novateur, introduisant une Allemande et une Gavotte en sus d’une structuration plus traditionnelle (da chiesa) (prélude, grave, adagio). Et le Consort aborde avec une gourmandise décomplexée ces pièces, faisant montre de son sens du rythme, démontrant l’ingéniosité de sa composition, développant une palette émotionnelle subtile, nichée sous l’apparente simplicité de partition. Avouons-le, le Consort ne rend pas la même justice à Reali car le compositeur demeure tout de même au second plan, la solidité de son art n’arrivant pas toujours à être autant transcendée. Toutefois, les musiciens livre une épanouie et spectaculaire Follia, donnée en guise de final, véritable apothéose depuis les premières variations toutes en retenue suivies d’un déferlement de virtuosité (variations 5 et 6). Un enregistrement audacieux qui s’affirme déjà comme un classique.

 

                                                           Pierre-Damien HOUVILLE

Étiquettes : , , , , , , , Dernière modification: 25 mars 2024
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