Rédigé par 23 h 46 min CDs & DVDs, Critiques

Gouttes d’eau sur pierres brûlantes (Bernardina, une vie secrète à la Pietà – Seulétoile)

« Puis Vivaldi est arrivé. Il était maigre, nerveux, asthmatique. Assez laid. Il apportait une musique qui nous parlait du dehors, des arbres et du ciel que nous voyions trop peu, et même de cette Venise que nous connaissions mal. »

« Bernardina, une vie secrète à la Pietà »

Nouvelle originale d’Arièle Butaux, postface historique sur la musique à l’Ospedale della Pietà par Olivier Fourés.
Œuvres pour violon, orgue, clavecin et violoncelle de A. Vivaldi, T. Albinoni, A. Caldara, B. Marcello, G. N. Laurenti, F. Gasparini, D. Scarlatti, B. Galuppi

Alice Julien-Laferrière, violon
Pauline Buet, violoncelle
Jean-Christophe Leclère, clavecin et orgue

Un livre-disque de 44 pages + 1 CD, 2021, Seulétoile, 64′.

C’est un beau projet que celui-là. Il y a d’abord une nouvelle d’Arièle Butaux, dont on ne parlera point trop, de peur d’en éventer les ficelles. Une nouvelle à trois voix, celle de deux jeunes musiciennes violonistes, Bernardina et la célèbre Anna Maria, orphelines de l’Ospedale della Pietà de Venise, idolâtrant le Maestro. Et puis une voix masculine, si attendue, qui survient vers la fin, celle de Vivaldi lui-même. La musique, l’amour, la haine forment le sel de ces confessions. Hélas, la nouvelle, très informée mais au dénouement un peu trop sensationnaliste, progresse comme un Vivace, là où l’on aurait aimé un Allegro, un Largo, puis une noble et lancinante Passacaglia. Par moment, la plume inspirée d’Arèle Butaux dans sa sobre ellipse fait songer à Pascal Quignard, mais l’épure se brouille trop souvent dans des passages plus scolaires, informatifs mais laborieux, et l’on aurait aimé soit une langue moins plate, moins de rappels de contexte. L’auteur ne se donne pas le temps de l’épaisseur psychologique, peut-être les contraintes éditoriales furent trop pesantes. Il en résulte une ébauche ambitieuse et inégale qui aurait fait un bien beau roman. Et le spectre du superbe Stabat Mater de Tiziano Scarpa plane au-dessus de la lagune…

La postface historique du musicologue Olivier Fourès – à qui l’on doit une thèse sur la musique pour violon de Prêtre Roux – constitue une petite merveille de concision. En 3 brefs chapitres, elle fourmille de passionnants détails (on y trouve de tout depuis les habits des chanteuses au rôle intermittent qu’y joua Vivaldi), tant et si bien qu’on aurait aimé poyvoir compulser un ouvrage plus riche, de plusieurs centaines de pages abondement illustrées, traitant de la musique à l’Ospedale della Pietà tout au long du XVIIIème siècle, qui couvrirait la gloire vivaldienne mais également les déboires de Porpora et le présumé déclin de l’institution. 

Nous n’avons encore rien dit de la bande-son qui accompagne ce petit opuscule, qui a elle seule mérite son acquisition. Certes les trois sonates vivaldiennes pour violon (RV12 et RV2) et violoncelle (RV40) ont été maintes fois enregistrées. L’interprétation sensible et vive des musiciens, en particulier le violon grainé et éloquent d’Alice Julien-Laferrière et le violoncelle doucement nostalgique de Pauline Buet n’en sont pas moins très évocateurs. La vision équilibrée de l’ensemble, les articulations nobles, le phrasé très lisible, insistent sur la beauté mélodique des partitions, sans pour autant sombrer dans un lyrisme virtuose. L’autre intérêt de ce récital est de ne pas hésiter à s’éloigner de la nouvelle, et de faire défiler des compositeurs contemporains, vénitiens ou non : Gasparini, Albinoni, Caldara, Marcello, Laurenti ou même Scarlatti (la K208, l’une de nos sonates favorites, que Jean-Christophe Leclère croque avec une gracieuse tendresse, tout comme il sautille dans la sonate pour orgue en ré mineur de Galuppi, d’un optimisme bonhomme). Les enchaînements de tonalités, la variété des styles, la sélection très fine (ne sont retenues que des œuvres de tout premier plan, toutes capables de rivaliser avec l’invention vivaldienne), offrent un panorama à la fois gourmand et solaire, d’une générosité discrète, et qui aurait mérité une diffusion moins confidentielle.  

 

Viet-Linh NGUYEN

Technique : captation chaleureuse et très texturée. Bel équilibre entre le clavecin ou positif et les cordes.

Étiquettes : , , , , , , , , , Dernière modification: 14 février 2022
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