« Da Pacem »
Johann Hermann Schein (1586 – 1630)
Intrada à 5 (Venus Kräntzlein, 1609)
Heinrich Schütz (1685-1672)
Da pacem, Domine SWV 465 (Mühlhausen, 1627)
Was betrübst du dich SWV 3531
Die mit Tränen säen SWV 3782
Herr, nun lässest Du Deinen Diener SWV 352a Basso solo con 2 overo 5 viole
Der 6. Psalm Domine, ne in furore tuo arguas me SWV 853
Johann Hermann Schein
Corollarium: Canzon à 5 (Cymbalum Sionium, 1615)
Heinrich Schütz
Erbarm dich mein, o Herre Gott SWV 447 Canto con 5 viole
9. So fahr ich hin SWV 3792
Der 133. Psalm Siehe, wie fein und lieblich ists SWV 48 (1619)
Teutoniam dudum belli SWV 338
Verley uns Frieden genädiglich SWV 3722
Der 8. Psalm Herr, unser Herrscher SWV 449
Ricercar Consort :
Hanna Bayodi-Hirt, soprano
Yetzabel Arias, soprano
Olivier Coiffet, ténor
Hugo Hymas, ténor
Matthias Vieweg, basse
Sophie Gent, violon et viole de gambe (dans le « Erbarm dich »)
Louis Crea’ch, violon
Clémence Schiltz, viole de gambe
Mathias Ferré, viole de gambe
Isaline Leloup, violone
Daniel Zapico, théorbe
Paul Goussot, orgue
Philippe Pierlot, viole de gambe et direction
1 CD digipack, enr. en octobre 2023 à l’Abbaye de la Lucerne, Mirare MIR 736, 57.
Dehors, les armes tonnent, la guerre gronde. Avec elle, son cortège de mot et de destruction. C’est autour de l’espoir de paix, en pleine Guerre de Trente Ans, avec des œuvres datées des années 1620 à 1640, que nous retrouvons Philippe Pierlot et le Ricercar Consort pour un enregistrement toute en exhortation, d’une beauté sculpturale, d’une rigueur enveloppée de douceur. La familiarité du chef avec ce répertoire germanique qu’il exhume depuis bien des années est perceptible, son toucher de velours irremplaçable : chacun se souvient de l’extraordinaire magie de l’enregistrement paru en 1998 avec du même compositeur Die sieben Worte Jesu Christi am Kreuz et l’Historia der Auferstehung Jesu Christi (Ricercar, réédité mais encore épuisé) sans mentionner les incursions chez Buxtehude, Schein, ou Scheide. L’on on se glisse dans ce monde avec confiance : l’Intrada instrumentale de Schein, riche en texture de cordes, au balancement sautillant incisif, carrée, dense, à l’arrière-plan un brin sombre, sert de pont entre le monde extérieur, son bruit et sa fureur, et un océan fervent et lumineux qui bientôt s’ouvre sous nos yeux ébahis (et nos oreilles charmées) avec des violes alanguies et un positif qui fait presque songer au souffle tremblant d’une flûte. La jaquette, extrêmement bien choisie, pourtant antérieure à l’époque (elle provient de la Biblia germanica regis Wenceslai V Bohemiae jussu scripta, du XVème siècle, conservée à Vienne), correspond parfaitement à la vision du chef et gambiste : une lecture colorée, très lisible, apparemment simple, d’une immédiateté alliée à une profondeur remarquable. Chacune des pièces, à la brièveté de motet, est une capsule où la joie comme la force percent, quelle que soit la langue (latin ou allemand).
Le « Da Pacem Domine », antienne votive, bellement façonnée et donnant son titre à cet enregistrement, n’en constitue pas la pièce la plus touchante loin de là : le texte latin, de circonstance, et en dépit du talent de Schütz, demeure convenu et roboratif. On goûte toutefois l’extrême sensualité, la chaleur ronde , les exhortations naturelles et pressantes, les contrastes entre les voix masculines et féminines. Mais ce concert de Vivat (à l’archevêque prince-électeur de Mayence, à celui de Cologne, à son confrère de Trêves, à l’Empereur Ferdinand, aux Electeurs de Saxe, Bavière et Brandebourg) finit en dépit de toute l’application des chanteurs par lasser… Cette abondance de remerciements, de révérence, de saluts à l’invincible – pardon – au « très invincible » empereur, nous plonge dans une opulence apaisée.
Le motet « Was betrübst du dich » à deux voix nous réveille par sa grâce italianisante, son style extraverti, son duo de violons souples et généreux. Issu des fameuses et étonnantes Symphoniae sacreae de 1747, il dément de manière éclatante l’image d’Epinal d’un Schütz monolithique, archaïque et austère. A l’inverse le « Die mit Tränen säen » (dans sa version révisée de 1648), aux parties chorales complexes, très fervent est moins fleuri et davantage ancré dans la tradition germanique. Là encore, les chanteurs du Ricercar Consort font merveille par leur cohésion fine, la vivacité des entrées, le liant de l’ensemble en dépit du faible effectif (SS, TT, B), l’absence d’alto, la présence d’une seule basse tire l’équilibre sonore vers les aigus diaphanes des deux excellentes sopranes (Hanna Bayodi-Hirt et Yetzabel Arias), et les ténors tempérés et nobles d’Olivier Coiffet et Hugo Hymas. Le soin apporté aux affect du texte, à la prosodie allemande (et aux accents) doit être loué, même si ce niveau d’exigence est tellement usuel pour cette phalange, que moins serait intolérable. Le « Herr, nun lässet du deiner Diener », permet à la basse stable, grainée, d’une humanité sensible de Matthias Vieweg de rivaliser avec un tissu de cordes aux entrelacs délicats, aux ciselures millimétrées. L’adéquation aux affects du texte (issu de Luc 2:29), les nuances dans l’imploration (magnifique « allen Völkern ») en font un noble moment de rhétorique.
L’un des sommets d’expressivité du disque est atteint – après l’entracte matérialisée par la Canzon a 5 de Schein, déliée, à ‘l’élégante gravité – avec l’ « Erbarm dich, o Herre Gott », où l’aérienne mélopée de la soprano, très déclamatoire, est entremêlée par les effusions tendres de cinq violes (4 et un violon remplaçant le pardessus de viole en fait ?). Le discours, hypnotique, doloriste dans sa pénitence, traduit une sincérité et intensité de sentiments absolument superbes, prolongée par le « So fahr ich ihn » suivant. On observe ainsi que Philippe Pierlot aime à jouer des contrastes entre des motets solistes et une écriture plus moderne et plus mélodique, et ceux issus de la Geistliche Chormusik à la polyphonie plus datée, où l’originalité d’écriture de Schütz, son attrait pour l’Italie montéverdienne, transparaît moins. Justement le vaste « Siehe, wie fein and lieblich ists », œuvre ancienne de 1619, à l’occasion du mariage de son cadet, s’inscrit dans cette veine de profonde religiosité, de pudeur recueillie avec des accents réminiscents de Roland de Lassus, mais les parties instrumentales des violons trahissent le XVIIème siècle par leur dentelle de miniaturiste, parfaitement rendues comme autant de guirlandes d’espoir.
Le « Teutoniam dudum belli » aux effusions très démonstratives, aux mélismes virtuoses des deux ténors qui se laissent aller à une émission un peu large, très répétitif dans sa jubilation, aux effets d’échos théâtraux, n’est pas sans rappeler la Selva Morale de Monteverdi et constitue un témoignage de ce Schütz ultramontain. Enfin, le « Herr, unser Herscher » implorant et concentré, aux récits animés et spontanés, à la souplesse velouté, se finissant sur une antienne grégorienne qui s’évanouit doucement, conclut en beauté un enregistrement superlatif, d’une cohérence tranquille, d’une intériorité sereine, à l’intensité émotionnelle intacte. Alors que les marches de l’Europe continuent de charrier leur funèbre cortège, Philippe Pierlot et ses musiciens nous lancent un cri d’espoir, d’une sincérité puissante, face à la folie dévastatrice des hommes.
Viet-Linh Nguyen
Technique : captation à la fois précise, chaleureuse et légèrement réverbérée, très respirante.
Étiquettes : Arias Yetzabel, Bayodi-Hirt Hanna, Coiffet Olivier, Crea’ch Louis, Hymas Hugo, Johann Hermann Schein, Mirare, Muse : or, Pierlot Philippe, Ricercar Consort, Schütz, Vieweg Matthias Dernière modification: 3 mai 2024