Rédigé par 16 h 43 min CDs & DVDs, Critiques

“Alceste ne vient point et nous devons l’attendre” (Acte II scène 1)

Alceste fut représentée pour la première fois à Versailles en 1674. La belle gravure de Jean le Pautre permet d’avoir une assez bonne idée des effectifs engagés pour sa représentation dans la Cour de Marbre deux ans plus tard. On y voit notamment l’agencement stéréophonique avec les tribunes de musiciens placées à la droite et à la gauche du Roi…

Jean-Baptiste LULLY (1632-1687)

Alceste

 

Jean Philippe Lafont (Alcide), Colette Alliot-Lugaz (Alceste), Howard Crook (Admète), Sophie Martin-Degor (Céphise/La Gloire), Gilles Ragon (Lychas), Jean François Gardeil (Straton), François Loup (Lycomède/Pluton)…

Ensemble Vocal Sagittarius, La Grande Ecurie et la Chambre du Roy,
Direction Jean Claude Malgoire.

3 CDs, Astrée, 1994. 

[clear]Alceste fut représentée pour la première fois à Versailles en 1674. La belle gravure de Jean le Pautre permet d’avoir une assez bonne idée des effectifs engagés pour sa représentation dans la Cour de Marbre deux ans plus tard. On y voit notamment l’agencement “stéréophonique” avec les tribunes de musiciens placées à la droite et à la gauche du Roi, les costumes et les décors somptueux. Alceste compte parmi l’une des toutes premières tragédies lyriques de Lully et sa structure manque encore de cohérence et d’unité. On dirait que Lully s’empresse avec jubilation d’empiler les festins, les combats, les interventions de dieux et les scènes de désolation, sans compter le passage aux Enfers, qu’on retrouvera longtemps après lui. Le livret de Quinault, d’après Euripide, est badin et superficiel, rempli de nobles phrases mais aussi de passages comiques. Le duo Quinault/Lully semble ne pas se prendre très au sérieux et c’est cela qui donne à Alceste toute sa saveur de tragi-comédie où les personnages secondaires Céphise/Straton semblent offrir le miroir déformé de leurs homologues grandiloquents Alceste/Admète. 

La réalisation de Malgoire est louable à plus d’un titre : en premier lieu, le chef est depuis longtemps un familier de l’œuvre dont il a déjà enregistré une quasi-intégrale vingt ans auparavant (1975). C’est donc en territoire connu voire conquis que s’aventure La Grande Ecurie et la Chambre du Roy, pourvue d’un effectif impressionnant et conforme à la réalité de l’exécution lullyste. De plus, le “son français”, singulier dosage de bassons et hautbois dominés par les cordes, est parfaitement rendu. Dans la scène infernale, les trompettes se glissent délicatement derrière les violons, loin de leurs excès guerriers du second acte. La diversité de situations appelle celle des climats. Là encore, l’orchestre coloré et énergique excelle à peindre les tableaux. Les danses sont particulièrement bien jouées, souvent accompagnées de percussions qui accentuent leur caractère fonctionnel. 

Le véritable problème vient lorsque la faiblesse du livret, pourtant très drôle, est accentué par celle des chanteurs : Collette Alliot-Lugaz est catastrophique en Alceste et devrait être proscrite d’un répertoire qui visiblement n’est pas le sien. Voix de tête stridente et sifflante, lourdeur du chant, articulations du récitatif lullyste incomprises… Brisons là la litanie de l’échec. Sophie Martin Degor semble également peu à l’aise et manque de naturel et de fluidité. Sa prestation est cependant sauvée par ses talents de comédienne et son incarnation de l’inconstante Céphise est pleine de vie. Gilles Ragon, Howard Crook et François Loup sont parfaits dans leurs rôles respectifs. On pourra leur reprocher une certaine froideur pompeuse très “courtisan versaillais” mais n’est-ce pas là ce que l’on attend d’un héros ou d’un Roi ? Jean François Gardeil est admirable en amant trompé et ses colères de pacotille en feront sourire plus d’un. Les chœurs sont corrects mais la prise de son brouillonne ne permet pas de bien juger des divers pupitres.

En conclusion, cet Alceste, seule “tragi-comédie lyrique” de Lully vaut le détour pour l’indéniable souffle que Jean-Claude Malgoire  insuffle de bout en bout à son équipe. Les situations sont peu vraisemblables, l’action digne d’un mauvais roman feuilleton et certains chanteurs donnent l’impression d’avoir été soudainement “parachutés”. Qu’importe, on trouve un plaisir immense à goûter cette sorte de labyrinthe excentrique et outré. Alceste, c’est cent tragédies lyriques en une, un bouillonnement d’idées d’où l’auditeur ne ressortira pas indifférent.

Viet-Linh Nguyen 

Technique : Enregistrement live de très médiocre qualité. Nuisances sonores nombreuses (spectateurs qui toussent, pas des chanteurs sur la scène, bruitages des machineries pendant les passages instrumentaux)

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 18 juillet 2014
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