Rédigé par 17 h 18 min CDs & DVDs, Critiques

Une victoire oubliée (Henri Madin, Te Deum, Stradivaria , Cuiller – Alpha)

Voici une œuvre à succès, qui apparaît comme la plus longue composition de ce style sous l’Ancien-Régime et dont le brio correspond parfaitement aux goûts du temps. L’ouverture, toute en pompe et en majesté, en sons de cuivres rutilants rehaussés de hautbois pourra sembler d’une grandiloquence un peu désuète et manquant de relief, aspérités que nous retrouvons dans les deux chants finaux (In te domine, speravi et Domine, salvum fac regem).

 

Henry MADIN (1698-1748)
Te Deum (HM 28)

Diligam Te, Domine (HM 22)

Stradivaria, ensemble Baroque de Nantes
Les Cris de Paris, dir. Geoffroy Jourdain
Direction Daniel Cuiller

Alpha-Classics, coll. Château de Versailles, 2016, 69’09.

La musique baroque, et cela n’est pas le moindre de ses attraits, peut aussi se vivre comme un champ d’exploration, une archéologie réservant en permanence d’enthousiasmantes découvertes, où les fils unissant hommes et œuvres tissent des liens, des correspondances dont les coïncidences nous surprennent autant qu’elles nous mettent en joie.

L’écrin actuel dédié à la musique que constitue la Chapelle Royale au sein de l’œuvre palatiale de Versailles ne fut bâtie qu’après l’emménagement de 1682, sous l’égide de Jules Hardoin-Mansart, architecte qui prouva, certes après Callicrates et son grand-oncle François, mais avant Ledoux, Nouvel et autre Ricciotti, que la notoriété pouvait aussi s’édifier. C’est toutefois après la mort de son concepteur en 1708 que Robert de Cotte termina l’édifice, finalement consacré en 1710. Celui-ci devait quelques années après édifier le Palais épiscopal de Verdun, jouxtant l’austère cathédrale Notre-Dame.

C’est dans cet édifice que Henry Madin fut jeune page, chantant dans la maîtrise de la cathédrale, étayant sa culture musicale naissante au sein du collège des jésuites. Orphelin dès 1699 d’un soldat irlandais en garnison à Dun-sur-Meuse, Henry Madin s’extrait d’un dénuement certain, devenant clerc tonsuré, puis ordonné prêtre. Sa carrière sera ensuite celle de nombre de compositeurs provinciaux, enchaînant les diverses charges pour tenter de se rapprocher de Paris, au sein d’un paysage musical encore très marqué par le centralisme de cour. Nous le retrouvons ainsi successivement à Meaux en 1719, où il côtoie Sébastien de Brossard, puis à Bourges, après un retour à Verdun, et enfin à Tours et Rouen, le plus souvent comme titulaire des maîtrises des cathédrales de ces villes. C’est notamment au succès rencontré par ses motets et plus particulièrement à son Diligam Te qu’il doit d’avoir été sollicité en 1736 par la Chapelle Royale de Versailles, épaulant puis succédant à un Campra vieillissant.

Son Diligam Te, œuvre phare de sa reconnaissance fut composée en 1737 et dédiée à Louis de Noailles, Maréchal de France et courtisan patenté. Elle s’inscrit dans la tradition assez classique du motet à grand chœur imposée par Lully, Du Mont ou encore Lalande. Belle composition, elle se distingue par son chant d’entrée, très belle récitation pour voix de dessus, ainsi que par le chant Laudans invocabo dominum, où le chœur apparaît délicatement porté par une flûte, toute en légèreté, dont la prédominance est une caractéristique notable des compositions de Henry Madin. Le In tribulatione mea réserve lui un beau récit pour voix de basse taille, alors que le inclinavit caelos ravit par son duo haute-contre et basse-taille.

Son Te Deum est quant à lui intimement lié à la musique de cour du milieu du XVIIIème siècle. Achevé en 1744, il est donné pour la première fois le 17 novembre en l’église Sainte-Geneviève pour saluer la prise de Fribourg-en-Brisgau lors de la guerre de Succession d’Autriche, siège auquel participe personnellement Louis XV. L’hymne est ensuite rechanté le 2 décembre suivant à Versailles, pour les mêmes raisons. Apprécié, celui-ci est encore donné sur ordre du Roi le 21 juin 1745 pour célébrer la chute de Tournai, survenue deux jours plus tôt. C’est encore lui qui salue le 20 janvier 1757 la première sortie publique du Roi après la tentative de régicide de Damiens.

Une œuvre à succès donc, qui apparaît comme la plus longue composition de ce style sous l’Ancien-Régime (trois-quart d’heure) et dont le brio correspond parfaitement aux goûts du temps. L’ouverture, toute en pompe et en majesté, en sons de cuivres rutilants rehaussés de hautbois pourra sembler d’une grandiloquence un peu désuète et manquant de relief, aspérités que nous retrouvons dans les deux chants finaux (In te domine, speravi et Domine, salvum fac regem). Il est des compositions flatteuses pour leur commanditaire mais passant mal les âges, apparaissant au final assez impersonnelles. Nous préférons retenir de Henry Madin l’art parfaitement maîtrisé des morceaux plus intimistes, à l’exemple du Tibi omnes angeli pour petit chœur, une composition presque champêtre soutenue à la flûte, instrument encore parfaitement mis à l’honneur dans le aeterna fac cum sanctis pour voix de dessus. Notons également chez Madin l’art de mettre en exergue les solistes avec de très belles récitations, à l’exemple de la voix de basse-taille dans le très beau pleni sunt caeli et terra ou le sens du rythme dont il fait preuve pour voix de haute-contre dans le tu ad liberandum. Le tu ad dexteram dei, pour basse-taille laissant là aussi une belle partition au hautbois ravira par l’intensité de son crescendo dramatique.

L’ensemble Stradivaria et les Cris de Paris offrent une interprétation jouissive et colorée, d’une belle intensité, hommage immédiatement digne au genre contraint et conquérant du grand motet, mais qui sait de moment en moment souligner le recueillement ou accentuer l’expressivité de la plainte. Malgré des effectifs somme toute réduits (8 cordes pour la riche écriture des cinq parties de violons à la française), l’orchestre parvient à une admirable osmose des timbres, et parvient à l’opulent tapis du mélange versaillais si caractéristique des cordes et bois.

Côté voix, Daniel Cuiller a rassemblé un plateau rompu à ce répertoire, d’où l’on distinguera la douce élégance d’Anne Magouët, le haute-contre noble et stable de Robert Getchell ou la généreuse basse à la ligne un peu large d’Alain Buet. Les tempi sont vifs, la dynamique soutenue, et dès l’ouverture les timbres cuivrés des trompettes participent à un édifice sonore d’une réjouissante spontanéité, qui allie la pompe à l’enthousiasme. La captation étant intervenue en concert (avec des raccords ultérieurs), l’on admirera en particulier l’homogénéité majestueuse de l’ensemble, et un certain équilibre fragile entre vivacité, théâtralité déclamatoire et rutilance chorale, hélas absent du disque suivant de La Guerre des Te Deum (avec ceux de Colin de Blamont et Blanchard, Château de Versailles) expédiés avec une énergie expéditive.

 

Pierre-Damien HOUVILLE

Étiquettes : , Dernière modification: 21 septembre 2020
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