“Quand deux petits chiens vous fêtent au matin, la nuit prend la saveur de l’attente.”
(Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie)

Rembrandt, La Ronde de Nuit (1642), huile sur toile, 363 × 437cm (détail), Rijkmuseum, Amsterdam – Cliché Wikimedia Commons
Depuis le 8 juillet 2019, le Rijksmuseum conduit “l’Operation Night Watch”, sous ce vocable quasi-militaire et digne des planeurs du D-Day se cache l’ambitieux projet de restauration et de recherche sur La Ronde de Nuit de Rembrandt qui continuera d’être visible dans la Galerie d’Honneur du Rijkmuseum d’Amsterdam, où une enceinte vitrée a été installée. On ne sait si les restaurateurs et ingénieurs seront dérangés par ce public, bruissant autour des batteries technologiques imagerie hyperspectrale, cartographie des pigments, macro-XRF, et du savoir-faire ancestral du décrassage au coton-tige…

Le chien de la Ronde de Nuit de Rembrandt : à gauche gros plan du tableau, à droite cliché Rayon X (détail) © Rijkmuseum Amsterdam
La nouvelle qui vient d’être dévoilée est à al fois anecdotique et majeure dans la compréhension de la technique picturale du Maître. Comme les amateurs le savent, une vague silhouette canine blanchâtre, à demi effacée, hante l’angle gauche du tableau. Les analyses ont démontré que cette apparence provenait d’une esquisse riche en craie, posée par Rembrandt en couche préparatoire. Ce procédé, inédit chez le lui à ce jour, à notre connaissance, servait à définir rapidement volumes et contours, en laissant le brun du support transparaître. Mais les siècles et les restaurations ont fragilisé ces zones et l’esquisse crayeuse, usée et abrasée, a refait surface, déséquilibrant les harmonies colorées. Le chien s’est donc transformé en fantôme.
En outre, deuxième coup de théâtre, l’historienne de l’art Anne Lenders a débusqué un dessin d’Adriaen van de Venne (vers 1619) représentant un chien dans une pose étrangement similaire : tête inclinée, gueule entrouverte, collier à anneau, il figurait sur un livre, tandis que la feuille originale est conservée au Rijkmuseum et représentent Joseph en pied (pour un frontispice lié à l’épisode biblique où la femme de Potiphar, officier du Pharaon s’éprend de Joseph qui refuse ses avances. Elle l’accuse alors d’avoir voulu la violer et le fait jeter en prison).

Adriaen Pietersz van de Venne, projet de frontispice pour un ouvrage de Jacob Cats (détail), 1619. Plume et encre © Rijkmuseum Amsterdam
Cela aurait pu être une coïncidence, mais les analyses des sous-couches de La Ronde de Nuit ont révélé que Rembrandt avait d’abord peint son chien plus en avant, de manière très proche de van de Venne. Il pourrait dès lors s’agir d’un hommage, ou encore d’une preuve que Rembrandt ne dédaignait pas ni les crayonnés préparatoires, ni les sources d’inspiration. Placé près du tambour, dans l’ombre, l’apport du chien est non négligeable au milieu de cet arrogant aéropage militaire, bouffi d’orgueil et de rutilance, un peu de vie et de désordre envahit cette parade, peut-être le chien s’amuse t(il à répondre au tambour, peut-être que comme Greenaway aurait pu l’imaginer dans son brillant Cluedo Nightwatch, a t-il été témoin d’un crime…

Rembrandt, La Ronde de Nuit (1642), huile sur toile, 363 × 437cm (mais coupée notamment à gauche par le passé, Rijkmuseum, Amsterdam – Cliché Wikimedia Commons
Enfin, la question zoologique demeure ouverte. Certains y voient un Smoushond hollandais ; d’autres un Griffon fauve de Bretagne. Même Taco Dibbits, directeur du Rijksmuseum, a été interrogé à ce sujet et ne peut se révéler catégorique : “Nous n’aurons sans doute jamais de conclusion sur la race. Mais une chose est sûre : c’est un chien aimé.”. Voilà le mot de la fin.
Viet-Linh Nguyen
En savoir plus :
- Le site officiel du Rijkmuseum et sa passionnante série dédiée à la restauration de la Ronde de Nuit
- Le catalogue du Rijkmuseum et le dessin de projet de frontispice d’Adriaen van de Venne
Étiquettes : Amsterdam, chien, peinture, peinture hollandaise, Rembrandt, Rijkmuseum Dernière modification: 29 septembre 2025
