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Diane, Actéon et les lycéens scandalisés

-“Cependant ses compagnons, ignorant son triste destin, excitent la meute par leurs cris accoutumés; ils cherchent Actéon, et le croyant éloigné de ces lieux, ils l’appellent à l’envi, et les bois retentissent de son nom. L’infortuné retourne la tête. On se plaignait de son absence; on regrettait qu’il ne pût jouir du spectacle du cerf à ses derniers abois. Il n’est que trop présent; il voudrait ne pas l’être; il voudrait être témoin, et non victime. Mais ses chiens l’environnent; ils enfoncent leurs dents cruelles dans tout son corps, et déchirent leur maître caché sous la forme d’un cerf. Diane enfin ne se crut vengée que lorsque, par tant de blessures, l’affreux trépas eut terminé ses jours.” (Ovide, Métamorphoses, Livre III, trad. de Villenave, Paris, 1806)

Le Cavalier d’Arpin (Giuseppe Cesari, dit Il Cavalier d’Arpino), Diane & Actéon, huile sur toile vers 1600-1625 – Musée du Louvre, cliché Wikimedia Commons

Loin de nous l’idée de sortir de nos douillets bosquets artistiques et musicaux pour nous aventurer sur le terrain de la politique ou des politiques éducatives. Toutefois, en ce lundi 11 décembre, droit de retrait des enseignants et visite ministérielle obligent, les médias se sont emparés d’un incident survenu le 7, lors duquel des lycéens auraient été scandalisés par un cours où l’enseignante, évoquant les Métamorphoses d’Ovide, aurait présenté le célèbre et admirable tableau de Diane & Actéon conservé au département des peintures du Louvre. Etrangement, la plupart des journalistes ont simplement cité une œuvre d´un “peintre maniériste italien Guiseppe Cesari”, sans prendre la peine de préciser qu’il s’agit du fameux Cavalier d’Arpin (1568-1640), artiste romain prospère et reconnu auprès duquel le jeune Caravage fit ses armes. Notons que le Royaume des Lys l’apprécia : il fit le voyage en France entre le 26 septembre 1600 et le 29 mars 1601 dans la suite du cardinal Aldobrandini qui assista au mariage d’Henri IV avec Marie de Médicis et Louis XIII décerna le collier de l’Ordre de Saint Michel en 1630. Peintre maniériste s’en tenant à une esthétique sophistiquée encore très teintée de la Renaissance, ses compositions complexes et raffinées, très construites, ne recherchant absolument pas le naturel, dénotent un style souvent hiératique ou sculptural. Elles furent très appréciées par les commanditaires jusqu’aux années 1610 où cette manière – à laquelle il resta fidèle toute sa carrière quoiqu’en l’épurant et en privilégiant des teintes plus froides – tomba en désuétude. Sa période faste fut celle de la fin du XVIème siècle, et des années 1600. Il réalisa en 1600 la grande fresque de l’Ascension du transept de Saint-Jean-de-Latran.

Mais ce n’est guère du fait de son style maniériste, de cet Actéon évocateur et coloré, pris sur le vif, la cape écarlate dans le vent, que les lycéens furent choqués, mais par la seule nudité de la déesse et de ses suivantes. N’importe quel tableau mythologique, sans même mentionner l’érotisme orientalisant du XIXème ou le nu triomphant aurait donc provoqué le même émoi, et, tel un Caravage contraint de recouvrir sa Judith d’un corsage sur le point d’imploser, voilà nos lycéens priant Diane et ses nymphes de se rhabiller. Ironie qui aurait sauvé Actéon d’un destin si cruel… [V-L.N]

 

Étiquettes : Dernière modification: 12 décembre 2023
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