Quatre à quatre (Charpentier, Messe à quatre chœurs, Pages & Chantres du CMBV, Schneebeli – Radio France)

Marc-Antoine Charpentier
Messe à quatre choeurs H4

Philippe Hersant
Cantique de trois enfants dans la fournaise

Maîtrise de Radio France (dir. Sofi Jeannin)
Les Pages, les Chantres & les Symphonistes du CMBV
Olivier Schneebeli & Sofi Jeannin, direction

1 CD, Radio France, 2021, 64’27.

L’an dernier nous avons posé sous le sapin la très belle parution des Carnets d’Italie de Charpentier de l’Ensemble Correspondances, dirigé par Sébastien Daucé (Harmonia Mundi). Olivier Schneebeli, hélas parti entretemps à la retraite, en livre ici une vision très différente, mais toute aussi admirable. Rappelons rapidement à nos lecteurs étourdis que cette fameuse messe H4 à quatre chœurs (vocaux et instrumentaux, soit en réalité 7 voix réelles) constitue un exemple quasi unique en France d’œuvre sacrée polychorale et spatialisée à la romaine. Sous la baguette du chef, et sans doute à la fois en raison des effectifs des Pages, des Chantres et des Symphonistes du Centre de Musique Baroque de Versailles dont il dispose, et de l’acoustique de l’amphithéâtre de Radio France, le chef ramène la Messe au bercail du grand motet à la française. Là où Daucé choisissait un tactus plus rapide, et des lignes contrapuntiques sensuelles entremêlées, Schneebeli sculpte le matériau différemment, de manière plus verticale, plus dense, moins théâtrale mais plus majestueuse, plus noble, plus sévère ou plus liturgique.  Dès les premiers frottements de viole, plaintifs et grainés, suivis des entrées fuguées du Kyrie eleison au crescendo par palier subtil et pudique le chef donne le ton du recueillement, sculptant la masse chorale d’un ciseau précis et velouté, jouant sur les contrastes entre pupitres mais enveloppant les contours des lignes dans un halo attendri, là où Daucé cherchait une transparence intense et solaire. Ce sfumato d’où émergent les voix de dessus aériennes, couplé à la verticalité hypnotique du geste tire cette Messe vers le stile antico, et fait ressortir d’autant plus les effusions solistes. On louera la beauté des aigus planants des Pages, malgré quelques soucis de stabilité (le Gloria un peu aigu pour eux et aux mélismes pas très nets) et un timbre un peu tendu du haute-contre Clément Debieuvre. Les chromatismes sont absolument magnifiques, notamment dans le Domine Deus à l’atmosphère doloriste subtilement graduée. Mais la cohésion d’équipe et les inflexions subtiles du discours, de même que la sobriété attentive de l’accompagnement des Simphonistes (en particulier de très beaux bois qui apportent une couleur ronde) emportent l’adhésion. Alors, quelle version conseiller sur l’île déserte ?  Malgoire (Erato) est désormais relégué en second plan par la lecture – assez proche dans l’esprit – mais bien plus subtile de Schneebeli, à l’entêtante et fervente rhétorique, aux oppositions entre les quatre chœurs et entre chœurs et solistes bien marquées, tandis que Sébastien Daucé propose une alternative plus proche d’un moyen motet, plus virtuose et incisive, plus italianisante et plus extravertie. Aussi ne pourra t-on que répondre : “Les deux mon capitaine !”

Le cantique de trois enfants dans la fournaise de Philippe Hersant complète ce programme. Nous ne dirons presque rien de cette commande de Radio France, interprétée par sa Maîtrise, puisqu’Hersant ne porte pas de perruque, et dépasse donc allégrement nos limites éditoriales. Toutefois, il n’est pas inutile de signaler à nos aventureux lecteurs, que ce cantique fut expressément conçu pour être joué de conserve avec la Messe H4, et reprend le même effectif choral et instrumental, y compris les instruments anciens, et sur des vers d’Antoine Godeau (1605-1672). Ce n’est donc pas par désintérêt que nous ne commentons pas cette création, mais par humilité devant nos limites à analyser la musique de notre temps.

Viet-Linh Nguyen

Captation : assez naturelle, plus claire et détaillée (notamment les cordes et bois) que dans la video en direct ci-dessous :