Jean-Sébastien BACH (1685-1750)
JS Bach au luth
Suite en sol mineur BWV 995
Partita en do mineur BWV 997
Prélude, Fugue et Allegro BWV 998
1 CD digipack, enr. en février 2023 à la chapelle des Soeurs Noires, Seulétoile, 70’09 (parution le 29 novembre 2024)
Après son excellent opus consacré à Weiss (Seulétoile, Muse d’Or), revoici Diego Salamanca dans un second enregistrement solo. Le musicien rappelle à juste titre que les compositions de Bach pour luth n’étaient pas forcément destinées à cet instrument mais à un Lautenwerk (comme la BWV 998 et 999), un étrange instrument à clavier, peu répandu, même à l’époque, et qui utilise totalement ou partiellement des cordes en boyau et non métalliques, et dont l’inventaire après de Bach montre qu’il en posséda deux. Le débat n’est toutefois pas clôt parmi les musicologues et musiciens : d’aucuns estiment que les pièces étaient bien destinées au luth, mais que Bach n’en avait qu’une connaissance superficielle puisqu’il ne pratiquait pas cet instrument et n’a visiblement pas daigné consulter un luthiste. D’autres encore prétendent qu’il faisait tout simplement fi des difficultés et obstacles techniques (après tout, les parties pour trompettes de ses cantates posent également de considérables problèmes d’exécution). Certains enfin pensent qu’il y avait une diversité des luths utilisés du temps de Bach mal connue, et qu’un modèle répandu dans la musique de chambre et monté de cordes simples, l‘angélique (instrument doté de 15 à 17 cordes, un manche étendu avec un deuxième cheviller pour 8 à 10 graves), réaccordé d’une certaine façon –permettrait de jouer l’ensemble des œuvres pour luth de Bach en suivant parfaitement les partitions. C’est là une piste qu’à titre personnel nous jugeons fort convaincante.
Quoiqu’il en soit, que ce soit en usant d’accords particuliers, de quelques adaptations, ou encore d’un théorbe, on ne compte désormais plus les versions de référence de l’œuvre de luth de Bach. Face à ses nombreux confrères, et même par rapport à son disque consacré à Weiss, l’approche de Diego Salamanca en surprendra plus d’un : c’est un Bach d’une pureté très abstraite, tout en ligne et en pointillé, d’une clarté douce mais évanescente, assez lointaine. Les tempi sont ambitieux dans leur étendue, le contrepoint réduit pour exposer, que dis-je, égrener la ligne mélodique mais qui se fait si articulée qu’elle en devient presque une lecture note à note.
Le Prélude de la Suite en sol mineur est magnifique, vibrant sur la corde raide, en mettant en avant les silences, avançant à tâtons, presque en zigzag, laissant s’épanouir ci-une note, là-une autre, passant cursivement sur d’autres, les groupant de manière presque improvisées, comme lors d’un processus de composition. La section centrale, plus vive, souffre d’un traitement cependant plus terne, peu joueur, d’une vivacité sans enthousiasme, comme un passage contrasté obligé. Diego Salamanca n’aime pas se mettre trop en avant, et attend un retour à l’élégance d’une Allemande un peu raide. La Partita en do mineur BWV 997 déçoit : où est-il ce Prélude à la Berchem nimbé d’une nostalgique et mordorée lumière romaine. A force de dissection, l’autopsie du luthiste aboutit à un cadavre quasi livide, d’une rigor mortis imposante mais glaciale, là où Pascal Monteilhet laissait entrevoir un Bach enjoué presque baladin (Virgin). La Fugue est davantage réussie, d’une construction complexe, aventureuse, intellectualisée mais à la musicalité pudique. De même la Sarabande dissimule des tragédies et des blessures sous quelques accords miroitants, en une démonstration de la capacité de l’artiste à insuffler à demi mots des émotions fanées. La BWV 998 ne veut pas couler, et son prélude est dessiné avec une netteté où chaque grain de raison est arraché au scalpel. On y remarque aussi cette manière de grouper les notes deux à deux, en microcellules un peu décalées, qui donnent un balancement sensuel à une phrase qui serait sinon trop haletante.
En définitive, pour cette incursion chez Bach, chez Diego Salamanca, il y a du Gould (mais tellement plus posé) ; il y a du Seurat (en moins coloré). Ce luthiste à la concentration extrême, amateur de ligne claire nous livre un Bach absolu mais inégal. Ce dernier en perd son caractère aimable voire dansant, les influences liées à Weiss sont mises sous le boisseau (à l’inverse de la lecture galante de Pascal Monteilhet) ; la prééminence de la mélodie, quoique fragmentée et étirée, n’atteint pas la profondeur métaphysique d’un Lutz Kirchhof (Deutsche Harmonia Mundi) au Bach sombre et méditatif insurpassé.
Viet-Linh NGUYEN
Technique : captation neutre et claire, un peu lointaine, sans réverbération.
Étiquettes : Jean-Sébastien Bach, luth, Muse : argent, Salamanca Diego, Seulétoile Dernière modification: 22 novembre 2024