Rédigé par 22 h 19 min Concerts, Critiques

Egyptomanie (Haendel, Tolomeo, Fagioli, Dumaux, Il Giardino Armonico, Antonini – Théâtre des Champs Elysées, 31 mai 2024)

Giovanni Antonini © Marco Borggreve

Georg Frederic HAENDEL
Tolomeo, re di Egitto
opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel sur un livret de Nicola Francesco Haym (1728)

Franco Fagioli | Tolomeo
Giulia Semenzato | Seleuce 
Riccardo Novaro | Araspe
Giuseppina Bridelli | Elisa
Christophe Dumaux | Alessandro

Kammerorchester Basel & Il Giardino Armonico
Giovanni Antonini | direction

Opéra en version de concert, Théâtre des Champs-Elysées, Paris, 31 mai 2024

Après Berenice la semaine dernière, le TCE nous gratifie d’un doublé gagnant égyptien avec son prequel Tolomeo, qu’il avait également programmé l’an dernier avec Il Pomo d’Oro avec une distribution moins flamboyante. Toutefois, les querelles dynastiques ne sont qu’un prétexte pour le librettiste pour un chassé croisé amoureux, bourré de travestissements et de quiproquos. Le livret est byzantin plus qu’égyptien, si l’on nous excusera ce jeu de mots bien facile : Haym s’est fortement inspiré d’un ancien livret de Carlo Sigismondo Capece écrit pour l’opéra de Domenico Scarlatti, Tolomeo e Alessandro ovvero la Corona disprezzata. Ce dernier encore nimbé de l’ère post-cavallienne abonde en rebondissements et saynètes très segmentées, comprend des ruptures de tons (quoique l’élément comique ne soit qu’effleuré), frise le patchwork.

Créé au King’s Theatre au printemps 1728 (avant Berenice donc) la distribution réunissait plusieurs de grandes divas de l’époque : Faustina Bordoni, Francesca Cuzzoni et Il Senesino. Haendel étonnamment a décidé de sous-employer les ressources qu’il avait à sa disposition, tant orchestrales que vocales, et sa discrétion scellera le destin de cette œuvre mal aimée : des airs brefs, presque pas d’instruments obligés, des ritournelles ou interventions instrumentales restreintes. L’œuvre est un concentré, se révèle presque archaïsante dans ses da capos ramassés, refuse volontairement toute luxuriance. Les duos sont magnifiques, certains airs poignants. Mais pour une approche aussi intimiste, il fallait une intrigue à l’avenant, digne d’un Ariodante. Or, ce livret en zigzag aux protagonistes falots (le couple de « méchants » n’est guère convaincant) ne permet pas au compositeur d’en combler les lacunes par une caractérisation psychologique forte des personnages passant par sa musique. Reste une succession plus ou moins inspirée d’un Haendel « de routine », toujours charmant et appréciable, mais sans sève vitale, ni dramatisme, même si la seconde partie du concert fut nettement plus impliquée. Le chef Giovanni Antonini s’en rend vite compte, et malgré une approche équilibrée et poétique, les effectifs du Kammerorchester Basel & d’Il Giardino Armonico précis et enjoués, l’ensemble ne manque certes pas de vivacité mais de couleurs avec des bois trop discrets, et malgré quelques brèves interventions de cors, cette impression d’opéra de chambre, ou de grande cantate perdure tout au long de la soirée.

Pourtant, comme à l’époque, le plateau vocal était tout bonnement splendide : si l’on excepte l’Elisa un peu nymphomane puis vengeresse d’une Giuseppina Bridelli bien timbrée, mais à l’émission trop fragmentée et verticale nuisant à la musicalité des lignes, si l’on passe sur l’Araspe manquant de présence et de graves de Riccardo Novaro, le trio Fagioli, Dumaux et Semenzato resplendit de mille feux. A tout seigneur, tout honneur, le Tolomeo berger fuyard de Fagioli est à contre-emploi : comment imaginer cet héritier de la couronne en planqué quand tout respire l’héroïsme et la noblesse dans le chant du contre-ténor argentin ? Le voilà nettement plus crédible quand il ose braver les foudres du duo Araspe / Elisa par fidélité de sa bien-aimé, ne reculant pas devant les menaces. Le frérot généreux (Alessandro) de Christophe Dumaux (ironie pour un chanteur qui marqua le portrait d’un autre Tolomeo, l’âme damné de Giulio Cesare) souffre d’un rôle faiblard, puisque qu’on ne saisit guère pourquoi l’usurpateur se révèle si généreux : il compense ce handicap par un chant délicat et très ciselé, à l’élégance joueuse. Enfin, l’épouse de Tolomeo est campée avec un aplomb impérial par Giulia Semenzato, au chant moiré et à la belle projection. 

Parsemé de jolies vignettes et de quelques airs mémorables, ce Tolomeo, s’il ne s’avère pas indispensable, n’en constitue pas moins une friandise qu’on aurait tort de bouder. Mais tout de même, quand on dispose d’une telle Rolls, on ne l’emmène pas sur des chemins de campagne ! Si le maestro Antonini nous entends, même sans lui demander un Orlando, Alcina ou Giulio Cesare, un Ottone, Riccardo Primo ou une Deidemia auraient été d’un autre calibre !

 

 Viet-Linh Nguyen

Étiquettes : , , , , , , , , , , Dernière modification: 17 juin 2024
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