Avec tous ces types de ballets bien français, on ne sait plus trop où donner de la cheville comme de la tête. Il n’est donc pas inutile de remettre un peu d’ordre dans ce vocabulaire, et d’en profiter pour glisser ça et là quelques réflexions aussi personnelle que partiales digressives… Amateurs de rigueur musicologique, relisez plutôt Olivier Baumont, Norbert Dufourcq ou rendez-vous sur le très complet expodcast du CMBV pour approfondir la période de la comédie-ballet et en savoir davantage sur les musiques de Molière. Mais si vous regrettez la comédie-ballet, adorez la tragédie-lyrique, et déplorez tous ces entre-deux XVIIIème affadissants, cette page est vôtre.
Ballet de cour
Commençons par le commencement. Au commencement était la danse. Véritable miroir du monde aristocratique, élément clé du système curial et de la civilisation des mœurs de Norbert Elias, le ballet de cour, ballet du Roy, constitue en France à compter d’Henri IV un véritable rouage de l’étiquette monarchique, et est représenté chaque année, au carnaval. L’on ne remontera pas aux fastes de la Renaissance, ou à d’autres danseries princières plus anciennes car ce ballet de cour n’est pas qu’un ballet. Codifié à l’extrême – l’Académie Royale de danse fut fondée avant l’Académie Royale de Musique – ce temps où le Roi danse, entouré de ses gentilshommes mais aussi de danseurs professionnels, symbolise dans ses évolutions réglées et hiérarchisées une vision cosmique, harmonieuse et ordonnée du monde autour de son Prince. La charge symbolique culmine dans le « Grand Ballet » final, apothéose d’une représentation avant tout politico-allégorique alliant poésie, arts visuels, musique et danse. Louis XIV dansa pour la première fois en public à 12 ans, et l’anecdote selon laquelle il cessa de paraître en public après les vers de Britannicus (1669) a tout de l’apocryphe douteux (il s’arrêta après Les Amants Magnifique en 1670)… A compter des années 1640, le ballet de cour s’enrichit en outre de décors et jeux de machineries venus d’Italie, gagnant encore en merveilleux et en magnificence. Le monumental Ballet royal de la Nuit de février 1653, représenté dans la salle du Petit-Bourbon, comportait 43 entrées et marqua l’écrasement la Fronde. Hélas, ce genre finit par se fondre dans la tragédie en musique et la comédie-ballet. Il subsistera ainsi partiellement dans fameux Prologue à la gloire du Roi, et dans certains Divertissements, mais ne constituera plus jamais une œuvre homogène unique.
Louis XIV se produit pour la dernière fois sur scène et en public dans la comédie-ballet Les Amants magnifiques, dernière collaboration de Molière et Lully, en 1670.
Comédie-ballet
Le genre le plus ancien de ce trio : elle fut inventée par le couple Molière & Lully, mêlant la comédie parlée, et des passages chantés et chorégraphiques dans une action unique : Molière & Lully en conçurent de nombreuses et les parties musicales furent parfois ajoutées lors de reprises : Le Dépit amoureux (1656, ouverture musicale de 1679), Les Fâcheux (1661, musique de 1672), L’Amour médecin (1665), La Pastorale comique (1667), Le Sicilien (1667, musique de 1679), George Dandin (1668), Monsieur de Pourceaugnac (1669), Les Amants magnifiques (1670) ou encore le fameux Bourgeois gentilhomme (1670). Après la rupture avec Lully, Molière poursuit l’aventure avec Charpentier, mais le Privilège de Lully lui donnant autorisation d’établir l’Académie Royale de Musique (29 mars 1972) le contraint à recourir à des effectifs réduits. Ainsi, dès le 22 avril 1672, les comédiens de Molière qui avaient sauvé en mars une permission orale d’employer tout de même 6 chanteurs et 12 instrumentistes, voient fondre leurs effectifs à 2 chanteurs et 6 instrumentistes, pas d’orchestre, ni de danseurs. Ainsi Le Malade Imaginaire (1673) ne sera joué même à Versailles en 1674 qu’en version rabougrie « avec les défenses »…
La collaboration de Molière & Charpentier nous livrera tout de même Le dépit amoureux (1656, ouverture ajoutée en 1679), Les Fâcheux (1661, musique de 1672), Le Médecin malgré lui (1666, musique composée lors de sa reprise à une date plus tardive), Le Sicilien (1667), musique de 1679), La Comtesse d’Escarbagnas (1671), Psyché (1671, musique de 1684, à ne pas confondre avec la tragédie lyrique de Lully), Le Malade imaginaire (1673).
Mis à part le Bourgeois ou le Malade Imaginaire, on les interprète hélas la plupart du temps en comédies sèches pour des raisons de coûts et parce que le genre, tombé rapidement en désuétude une fois le triomphe lullyste et sa mainmise sur la tragédie lyrique et son privilège sur l’opéra auront réduit ce genre en moribond.
Opéra-Ballet
Le boucle se reboucle, et le da capo revient au thème… Le XVIIIème siècle amolli en avait marre de l’ombre de la Perruque géante du Surintendant florentin. Un chef d’oeuvre comme Médée de Charpentier fur incompris. Heureusement il y eu le grand Rameau, mais lui-même partagea son talent entre tragédies lyriques amoureusement maniées et remaniées (H&A, C&P, Dardanus…) , et multiples opéras-ballets, ou encore ballets à entrées (Les Fêtes d’Hébé, Les Fêtes de Polymnie, Le Temple de la Gloire, Les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour, Les Surprises de l’amour). Le genre naît en 1695 avec les Saisons de Colasse ou bien en 1697, avec la fameuse Europe galante de Campra sur un livret d’Houdar de La Motte. De quoi s’agit-il ? De re-équilibrer/déséquilibrer la tragédie lyrique : on en conserve encore le Prologue et la structure en actes, mais l’objectif est de gonfler les divertissements, de donner la danses et aux intermèdes (dansés sur scène) toute la prépondérance. Les intrigues, loin de tout idéal de grande tragédie à l’antique, se résument à quelques chassés-croisés amoureux, ou des tableaux exotiques. Sans Dieux et sans Enchanteurs, la comédie affleure, voire domine, on marivaude, l’on danse, l’on voyage, l’on sauvage et l’on chinoise. Les titres même annoncent la couleur chatoyante de ces emballements festifs dpt les parties sont lâchement liés par un thème creux : Les Fêtes vénitiennes toujours de Campra, les Fêtes de Thalie de Mouret (1714), les Fêtes de l’Eté (1716) de Montéclair, en croisant les titres l’on pourrait tout aussi bien retomber sur les Fêtes galantes et se retrouver en plein Watteau ou Frago(nanard). Évidemment, la musique en est parfois belle : Les Campra, les Eléments de Destouches (1725), les Indes Galantes bien sûr, sublime chant du cygne (1735) de ce genre stricto sensu. L’on se demande si en croisant deux obscurs (Frago)nanards le Triomphe des sens (1732) de Mouret (auteur des mémorables Amours de Ragonde), et l’Empire de l’Amour de Brassac, n’on obtiendrait-on pas l’Empire des Sens ? Ajoutons que ces opéras-ballets se désignent sous les titres les plus divers de simples « ballets », « ballets héroïques », « pastorales héroïques », ce qui est au final plus franc, vu la charge dramatique de pétard mouillé des livrets. Vous l’aurez compris, c’est de la musique, que de la musique, et… des danseurs, ce qui rend les captations discographiques un peu superficielles.
Acte de ballet
C’est un dérivé du précédent. A partir du moment où l’opéra-ballet à entrées perd toute cohérence dramatique et se contente de juxtaposer les tableaux, rien ne s’oppose plus à ce que des actes de ballet, plus brefs, détachés, rajoutés ou autonomes, volent de leurs propres ailes. Les éditeurs en sont ravis, puisqu’ils peuvent refourguer les partitions d’actes séparés et accroître les ventes. Les directeurs de théâtres en sont ravis car ils peuvent juxtaposer des fragments de compositeurs divers. Enfin, et c’est Sylvie Bouissou qui l’écrit (et non notre médisance), l’attention du spectateur réduite à celle d’un mollusque et préfigurant l’ère du video-clip s’en satisfait (elle le dit avec davantage de distinction que nous). Alors, reprenons l’exemple-type de Rameau que nous portons aux nues pour avoir su faire revivre un second âge d’or à la tragédie lyrique, et aux gémonies pour s’y être mis si tard et avoir su empiler tant de petits riens, dont ces remarquables actes de ballet. Le compositeur expérimenta tout : l’acte de ballet autonome dès l’origine, avec ouverture (Pygmalion, Anacréon, La Naissance d’Osiris), l’acte détaché de son opéra-ballet originel (L’Enlèvement d’Adonis, le Lyre enchantée ou Anacréon sortis des Surprises de l’Amour), l’ajout d’un acte à un opéra-ballet déjà existant (la fameuse Entrée des Sauvages des Indes Galantes).
En savoir plus :
- Site du CMBV, notamment l’article sur le ballet de cour et celui sur la tragédie lyrique. On y retrouvera également un remarquable et très complet « expodcast » en 6 épisodes, qui racontent l’histoire des musiques de Molière avec des entretiens avec des artistes, historiens, musicologues et de l’iconographie en ligne sur www.expodcast.cmbv.fr
- Site de la Comédie Française, note sur La représentation des comédies-ballets de Molière à la Comédie-Française « avec tous leurs ornements »
- Charles Mazouer, «La comédie-ballet : un genre improbable ?», Studi Francesi [Online], 145 (XLIX | I) | 2005, online dal 30 novembre 2015
[…] les 20 minutes environ, en pleine représentation, et de là toutes les pièces de théâtre, comédies-ballets, tragédies lyriques, se plieraient peu ou prou à cette arithmétique du multiple de 20. […]