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6 janvier 2014

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La Querelle du Te Deum :

escarmouches entre la Chambre et la Chapelle du Roi à Versailles

© Château de Versailles / Muse Baroque, 2009

Nous avions publié une nodule amusante il y a déjà un certain temps, en guise d'anecdote croustillante, à propos des conflits entre la Chapelle et la Chambre du Roi lors du sacre de Louis XV. Celle-ci a éveillé l'intérêt de plusieurs de nos lecteurs, qui ont désiré en approfondir le propos. C'est désormais chose faite, avec cet article plus circonstancié, qui nous replongera dans les innombrables conflits de préséance, d'étiquette et d'ambition du chausse-trappe prestigieux de Versailles...

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Les institutions musicales versaillaises à l'architecture byzantine engendrent des conflits de compétences potentiellement nombreux. C'est ainsi le cas pour les Te Deum. D'une part, les célébrations religieuses relèvent ordinairement de la Chapelle. Cependant, les fêtes extraordinaires sont du ressort de la Chambre. Que penser alors des fastueuses célébrations de faits d'armes, naissances et guérisons lors desquels on chante le Te Deum ?

 

La querelle n'existait pas réellement avant 1722 puisque de Lalande, à la fois Surintendant et Sous-maître, dirigeait l’exécution des grands motets. Mais à compter de cette date, les âpres duels entre les Surintendants - notamment Collin de Blamont - et les Sous-maîtres de la Chapelle Royale successifs défieront les chroniques de la cour, jusqu'à la victoire finale de Blamont qui dirigea quasiment tous les Te Deum chantés à la Messe du Roi de 1746 à 1758.

 

Revenons donc un instant sur la première passe d'armes, qui intervient lors du Sacre de Louis XV, en 1722. Surintendant et Sous-maître s'affrontent une première fois, puisque chacun estime qu'il est de son ressort de diriger le Te Deum. Un compromis est trouvé puisque Collin de Blamont dirige le Te Deum et de Lalande les motets. Trois ans plus tard, la querelle se reproduit avec le mariage de Louis-le-Bien-Aimé. Le Sous-maître Nicolas Bernier a déjà distribué les partitions de son Te Deum mais doit en céder la direction au Surintendant, toujours Collin de Blamont (qui peu prévoyant n'en avait pas encore composé un de ses propres mains) sur un ordre de dernière minute du Duc de Mortemart, premier Gentilhomme de la Chambre qui défend ses troupes. Ce dernier fit transmettre le billet suivant :

"Il est ordonné au Surintendant de la Musique de la Chambre de faire exécuter à la cérémonie du mariage du Roy, ainsi qu’il s’est pratiqué à la cérémonie du Sacre, et autres antérieures,

 

fait à Fontainebleau le 5 septembre 1725,

 

signé : le Duc de Mortemart."

 

Alors même que :

"La cérémonie étoit prête à commencer. Bernier avoit déjà fait distribuer son Te Deum selon l’usage, lorsqu’on lui notifie cette décision. L’ambition de Blamont lui avoit tourné la tête, au point qu’il étoit hors d’état de remplir la fonction après laquelle il soupiroit. Il n’avoit point de Te Deum, et si, par respect pour le Roy, Bernier ne luy avoit pas prêté son ouvrage, le service du Roy manquoit, et l’imprudence ambitieuse de Blamont compromettoit ses supérieurs, et les exposoit à des reproches." (Mémoires du Duc de Luynes)

Le 18 juillet 1734, Philippsbourg est prise après soixante trois jours de siège. Campra, Sous-maître se prépare à exécuter son Te Deum lorsque le Duc de Gesvres (encore le "PGC"), lui ordonne de laisser place à Collin de Blamont (encore) qui, cette fois-ci, a enfin composé son propre Te Deum édité en 1732. L'affaire débouche comme à l'accoutumée sur un cessez-le-feu bancal de type géorgien que le Duc de Luynes décrivit dans ses Mémoires

"M. de Blamont avoit voulu faire exécuter un Te Deum de sa composition. Campra, Maître de quartier à la Chapelle, étant déjà en place pour faire exécuter le sien n’avoit jamais voulu lui céder la place… Blamont en porta plainte, et M. le Cardinal de Fleury décida que, pour constater le droit du Surintendant, il feroit chanter le même jour le Te Deum à la messe de la Reine."

 

Et ce conflit à jabot plus ou moins moucheté continuera tout au long du siècle, au fur et à mesure des victoires françaises de la Guerre de Succession d'Autriche et des naissances royales. Ainsi, rien que pour les années 1744-1745, plus de vingt victoires furent célébrées. Et en dépit changements de personnes (Blanchard succède à Campra), le Duc de Luynes a encore le loisir de continuer de rapporter des épisodes tout à fait croustillants tels celui de la Bataille de Fontenoy (11 mai 1745), celle du célèbre "Tirez les premiers, Messieurs les Anglais !" concédé par le marquis de Valfons, lieutenant général des armées du roi, à  Lord Hay rapporté en d'autres termes par Voltaire, ("Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers : tirez vous-mêmes !") dans son Précis du Siècle de Louis XV

 

Pour en revenir à nos batailles de cour autrement plus sanglantes que ces galanteries sur le pré, Fontenoy fut l'occasion d'une scène épique qui fera le bonheur de tout metteur en scène, celle de la tentative de substitution de partitions et de la Victoire éphémère de la Chapelle sur la Chambre. De Luynes (toujours lui) écrivit :

"L’abbé Blanchard alla à la chapelle et distribua à la Musique les parties séparées de son Te Deum. Je fus témoin de cet établissement. La Reine était prête d’arriver ; je fus étonné de voir M. de Blamont venir dans la tribune de la Musique vouloir ôter les parties distribuées par M. l’abbé Blanchard et substituer les siennes. Il avait déjà commencé à faire ce changement ; mais le temps était trop court, la Reine arrivait dans sa niche ; il fallut laisser M. Blanchard, et ce fut lui qui fit exécuter."


Le Duc de Richelieu, PGC, et présentement en campagne est aussitôt alerté par une missive de Collin de Blamont. 11 jours plus tard, les glorieuses armées françaises prennent Tournay, ce qui donne lieu de nouveau à un beau manège. Richelieu ordonne illico à Blamont d'exécuter un Te Deum,  et double son courrier d'une seconde lettre dans laquelle il tance vertement le dangereux putchiste Blanchard.

"Au Sieur Blanchard,
Au camp sous Tournay le 22 mai 1745,
J’ay été surpris et indigné, Monsieur, d’apprendre que vous avés voulû abuser de la Protection de la Reine, pour faire revivre des prétentions si souvent condamnées, et toujours jugées en faveur des Maîtres de Musique de la Chambre ; J’ay rendu compte au Roy de ce que vous aviés fait, qui a fort désapprouvé vôtre conduite et je vous défend de sa part de vous ingérer jamais à faire la charge des autres ; Je donne des ordres en conséquence à M. Destouches [NdlR : en réalité à Collin de Blamont] pour faire chanter le Te Deum pour la prise de Tournay.
Le Duc de Richelieu."

 

Là-encore, la Cour se passionne et se divise, & SM la Reine qui soutenait Blanchard trouva encore une fois la solution du dédoublement musical : le Te Deum sera chanté à la Messe du Roi – en campagne – par la Chambre sous la direction de Collin de Blamont, et à la Messe de la Reine sous la direction de Blanchard.

Pour le reste Collin de Blamont vieillissant et respectable parvient à imposer son Te Deum (qu'on entendra décidément fort souvent à Versailles en ce XVIIIème siècle alors même qu'il n'est plus en poste depuis 1744 puisque Francoeur lui succède en tant que survivancier) avec la prise de Mons (14 juillet 1746), la prise de Namur (4 octobre 1746) et la prise de Rocourt (16 octobre 1746). Au début de l'an 1749, un dernier Te Deum célèbre la paix issue du Traité d’Aix-la-Chapelle, signé le 18 octobre 1748. Et puis Blamont triomphe même en temps de paix avec son œuvre encore et toujours chantée pour la naissance du duc de Bourgogne (15 septembre et 2 octobre 1751), la convalescence du Dauphin (20 août 1752), la naissance du duc de Berry (23 août 1754), celle du comte de Provence (17 novembre 1755), du comte d’Artois (10 octobre 1757). François Colin de Blamont s’éteint à Versailles en février 1760 et bientôt avec lui la guerre du Te Deum puisque François Giroust qui reprit à la fois la Chapelle et La Chambre tout comme de Lalande, celui par qui tout avait commencé...
 

 

Viet-Linh Nguyen

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