Rédigé par 18 h 12 min CDs & DVDs, Critiques

De là l’arc embrasse les airs d’un cercle imparfait…

Après un premier enregistrement remarqué consacré à la Cour des Habsbourg, Stravaganza à contresens de son nom se tourne non vers le stylus phantasticus mais vers la plénitude corellienne. Un Capriccio d’une raideur nerveuse, avec ses traits violinistiques qui déchirent le silence, impulsant des accents para-vivaldiens qui s’épanouissent en arabesque.

Arcangelo CORELLI (1653-1713)

Sonates en trio

[TG name =”Liste des morceaux”]

Sonate n° 8, op. 3
Sonate n° 3, op. 4
Sonate n° 4, op. 2
Sonate n° 10, op. 4
Sonate n° 2, op. 3
Sonate n° 2, op. 4
Sonate n° 5, op. 3

Giovanni Battista Reali (1681-1751)
Capriccio Primo
Folia, op. 1

[/TG]

Ensemble Stravaganza :
Domitille Gilon, violon I – Rie Kimura, violon II – Damien Pouvreau, guitare & théorbe – Robert Smith, violoncelle – Olivier Salandini, orgue – Thomas Soltani, clavecin & direction 

61’12, Aparté, 2013.[clear]

De là l’arc embrasse les airs d’un cercle imparfait; coloré de faibles nuances, il boit l’océan, apporte aux nuages les flots qu’il ravit et rend au ciel cette mer qui en tombe sans cesse. Lucain, La Pharsale, IV, 79-82 

Après un premier enregistrement remarqué consacré à la Cour des Habsbourg, Stravaganza à contresens de son nom se tourne non vers le stylus phantasticus mais vers la plénitude corellienne. Un Capriccio d’une raideur nerveuse, avec ses traits violinistiques qui déchirent le silence, impulsant des accents para-vivaldiens qui s’épanouissent en arabesque. On regrette la dureté des attaques, la verdeur brute, cette écorce qui se complaît dans les tirés, et dont le souffle est haletant. Cela ne dure heureusement guère, et après se prologue, soudain, un océan de plénitude envahit l’auditeur dans les premières mesures du Grave avant un souple Allegro très corellien, à la virtuosité maîtrisée, aux lignes claires.

Cette mise en bouche achevée, on retrouve avec le même bonheur les rivages corelliens, alanguis et solaires, nimbés de cette douceur à la fois sensuelle et nostalgique dans laquelle on aime se lover. A la manière d’un Enrico Gatti (Arcana) – et cela n’est pas un mince compliment que d’avancer une telle comparaison – l’Ensemble Stravaganza progresse avec la certitude de l’écume, ce bouillonnement doux et inéluctable. Pourtant Corelli est un compositeur difficile. Non de par la technicité de son écriture, mais par son équilibre qui peut parfois virer à la froideur lisse. Le Purcell Quartet (Chandos) avait buté sur cet écueil dans son intégrale inégale des opus 3 et 4.

On goûte sans réserve aucune la beauté des timbres, le grain des cordes souples et chaudes de Domitille Gilon et Rie Kimura que la prise de son superlative de Nicolas Bartholomée soigne à petit feu. L’usage assez fréquent du positif même dans les sonates da chiesa renforce cette atmosphère d’intimité que les mouvements vifs, au contrepoint complexe et lisible ne rompent pas. Car la virtuosité sait ici se faire sens et s’intégrer dans le discours, faisant de chaque sonate un tout cohérent. L’Allegro de la Sonate 8 opus III démontre ainsi cette gourmandise avide mais éloquente, tandis que l’on se répetera en signalant à quelle point nous apprécions la pause ample et veloutée des Largos. Il y a aussi cette mouvement initial de la sonate n°3 opus IV, notre favorite (mais cela n’est guère original), avec sa suspension souriante et sensuelle, espiègle jeu de regards, échange à fleurets mouchetés, interminable réveil d’alcôve. Pouvoir de l’évocation, du trille qui se fait soubresaut et murmure. La Sarabande du même avec son balancement un peu geignard, ses cordes poussées jusqu’à la trame rend compte d’une sorte de mélancolie usée, des mornes regards des lendemains désabusés qu’un Tempo di Gavotta efface d’un bond un peu vain. 

Et avant de s’effacer derrière le mouvement de l’archet, de se laisser emporter dans ce sillage d’une franchise remarquable où l’hédonisme sonore et le lyrisme sensible marchent sur le fil du rasoir, on citera le Grave initial de la Sonate n°2 opus III, ses quatre temps fermement marqués sous le couple de violons qui s’épanche avec poésie jouant des chromatismes, sculptant par petites nuances leurs crescendos. Et notre plume ne sachant pas rendre de ses contours typographique cette noblesse richesse s’en retourne à son encrier, et vous laisse en compagnie de ce Corelli à livre ouvert.

Viet-Linh Nguyen

Technique : belle prise de son, ample et chaleureuse, avec des cordes bien mises en valeur.

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 25 novembre 2020
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