Rédigé par 8 h 02 min CDs & DVDs, Critiques

Bagatelle (Mouret, La Française – Musica Ficta)

« J’en avons de nouvelles / Que vous trouverez des plus belles »
(Lucas, Thibault, Colin dans Les Amours de Ragonde)

« Jean-Joseph Mouret: Musicien Des Grâces »
Motet I “Usquequo Domine”
Airs à danser, Première Suite
Motet VIII “Laudate Nomen Domini”»
Concert de chambre
Motet V “Cantate Domino”
Motet X “Venite exultemus Domino” (extrait): Venite, adoremus Deum

Ensemble La Française :
Marie Remandet, soprano
Janina Scheuren, traverso
Maria Raffaele, hautbois
Shiho Ono, Rafael Núñez Velázquez, violons
Lukas Schneider, viole de gambe
Jean-Baptiste Valfré, violoncelle
Kazuya Gunji, clavecin
Aude Lestienne, traverso et directrice artistique

1 CD, MF8038, enr. en septembre 2023 lors de la Cité de la Voix à Vézelay, Musica Ficta, 63’05. 

Voilà un enregistrement qu’il faut apprivoiser, sans arrière-pensée. Il faut le goûter comme un nectar quotidien et non une rare ambroisie, comme un rayon de soleil, le temps d’une sieste post prandiale. Le jeune ensemble La Française a choisi de célébrer Jean-Joseph Mouret, ordinaire de la Musique du Roi. En dépit de ses succès lors des fêtes de la Duchesse du Maine et de sa carrière brillante à la fin tragique (il mourut fou et ruiné, à l’asile de Charenton), celui qui dirigea le Concert Spirituel à compter de 1728, fameux pour les Amours de Ragonde et autres vétilles (enregistrement des Musiciens du Louvre d’une drôlerie burlesque irrésistible chez Erato) illumina certes les Nuits de Sceaux, mais est – justement – un peu tombé dans l’oubli. La faute à son positionnement de petit maître, sans connotation péjorative aucune, mais dont le style sensible, charmant et gracieux, si cher à nos interprètes, n’a ni l’inventivité d’un Boismortier (dont les Ballet de Village sont bien plus audacieux et avec une écriture fuguée plus compelxe derrière les dehors bonhomme), ni la tendresse d’un Campra qui sait davantage laisser se déployer le discours. Pour défendre ce « second best », il fallait avoir le courage de la jeunesse, l’excitation de la découverte, et la complicité d’un ensemble dont le plaisir de jouer éclate à chaque mesure, dans un halo d’optimisme lumineux, avec un naturel et une spontanéité remarquables. 

C’est sans doute dans la sélection de petits motets que l’entreprise de défense de Mouret se révèle la plus convaincante : le dessus droit et pur de Marie Remandet, ses aigus un peu aplatis mais tendus, son art des ornements et son émission précise et délicate (qui nous rappellent un peu Jacqueline Nicolas) rendent justice à une écriture ciselée, assez proche des petits motets italianisants de Campra.  L’ « Usquequo Domine » avec sa belle introduction de duo de traversos (Aude Lestienne et Janina Scheuren) malgré un continuo un peu sec et appliqué (notamment le violoncelle de Jean-Baptiste Valfré et le clavecin trop en retrait de Kazuya Gunji), se révèle comme un des temps forts de l’enregistrement grâce au récit souple lumineusement délivré par Marie Remandet. Le motet interpelle par sa diversité d’affects : après un beau verset introductif, le compositeur ne peut s’empêcher d’empiler les jolis mélismes et les couleurs d’instruments obligés (cordes et flûtes) à partir de « l’Usquequo exultabitur », et le très beau « Respice, et exaudi me » prouve qu’avec plus de dépouillement et de constance, il eut pu rivaliser avec un Campra ou un Fiocco… Le Laudate Nomen Domini, dont l’introduction violonistique manque de liant, un peu trop carrée, fait souvent penser à une cantate de chambre de Clérambault. Le motet est abordé avec une souplesse délicate, et le passage du « simulacra gentium » plus incisif aurait gagné à être plus nerveux, même si la fluidité souriante des interprètes établit un climat chaleureux et détendu de liesse plus que de ferveur, tel qu’il sied au Concert Spirituel de ce XVIIIème siècle aimable du Bien-Aimé. Le « Laudet nomen ejus in choro » avec son hautbois festif, ses pizzicatis imitant les cithares (in tympano et psalterio), son irrésistible allant mélodique démontre les talents d’écriture d’une section hélas trop brève. Enfin, le « Venite, adoremus Deum » conclusif, poétique et rêveur fait regretter de n’avoir enregistré intégralement le motet Venite exultemus Domino ddont il est extrait.

L’on reste toutefois plus dubitatif sur la plus-value des pièces instrumentales. Voilà une première suite d’Airs à danser, fort brefs, agréables mais peu mémorables. Il faut dire que le prolifique compositeur commit plus de cent cinquante divertissements. Le Concert de chambre est plus ambitieux, notamment son Menuet sublimé par le hautbois de Maria Raffaele, sa Loure inventive, et surtout son élégante Chaconne conclusive, qui malgré l’affadissement du goût des Lumières garde quelque chose de la grandeur noble du siècle précédent (mais François Francoeur a fait mieux), avec des rythmes bien marqués et une alternance contrastée les deux traversos sensibles et le bloc hautbois-cordes majestueux et pincé. Malgré la modestie de la phalange (et l’absence d’un violone qui les aurait bien aidé à enrichir les graves), on louera la cohésion et les couleurs orchestrales de l’Ensemble La Française, de même que des tempi bien sentis, d’une évidence souple. 

Jean-Joseph Mouret fut à l’époque surnommé « le musicien des Grâces ». On le comprend après avoir entendu l’éloquente plaidoirie de la Française qui a su avec vivacité capturer sa facilité mélodique, son optimisme lumineux, ce velouté d’un lavis de Fragonard fait de petits riens qui donnent le plaisir d’une conversation entre honnêtes gens. On leur objectera que cela manque de profondeur, de contrastes, de génie. Qu’il fallait dédier uniquement leur enregistrement aux motets, du fait du caractère convenu de sa musique instrumentale. Mais de tels petits riens, confessons-le, c’est déjà beaucoup. 

 

Viet-Linh Nguyen

Technique : captation un peu frustre, manquant de naturel, d’homogénéité, et de spatialisation. Voix très en avant, de même que les instruments solistes quand c’est leur tour.

Étiquettes : , , , , , , , , Dernière modification: 6 mai 2024
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