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Chronique Concert

Rameau, Zoroastre

Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset

mise en scène Pierre Audi

 © Elisabeth Carecchio

 

Jean-Philippe RAMEAU (1683 - 1764)

 

Zoroastre

Tragédie lyrique en cinq actes, sur un livret de Louis de Cahusac (version de 1756)

Anders J. Dahlin (Zoroastre — haute-contre), Evgueniy Alexiev (Abramane — baryton-basse), Sine Bundgaard (Amélite — dessus), Anna Maria Panzarella (Erinice — dessus), Lars Arvidson (Zopire et la Vengeance — baryton-basse), Jakob Högström (Narbanor — basse), Gérard Théruel (Oromasès et une Voix souterraine — baryton-basse) et Ditte Andersen (Céphie — dessus).

Chœur et danseurs du Drottningholms Slottsteater

Les Talens Lyriques

Direction Christophe Rousset

 

Mise en scène de Pierre Audi, décor et costumes de Patrick Kinmonth, lumières de Peter Van Praet, chorégraphie d’Amir Hosseinpour

 

27 mars 2009, Opéra Comique, Paris

 

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Le sacre d’Anna Maria

Unique tragédie lyrique marquant la fructueuse collaboration entre Rameau et Cahusac, Zoroastre est houleusement créé en 1749 à l’Académie Royale de Musique. 25 représentations, mais un échec complet. Rameau et son librettiste reprennent donc l’œuvre dans sa quasi-totalité, pour en livrer une toute nouvelle version (seuls les actes I et IV ne sont presque pas altérés) en 1756, qui, elle, sera un franc succès. Seule version complète de l’opéra dont nous disposons aujourd’hui, sans doute la plus fidèle aux dernières volontés du compositeur, c’est naturellement cette dernière qui nous est donnée salle Favart.

L'action se situe à Bactre, il y a très longtemps. Abramane, sorcier, grand prêtre du dieu des Ténèbres Ariman, veut récupérer le trône vacant depuis peu. Deux obstacles: Amélite, l'une des héritières du trône, et Zoroastre, aimé du peuple, qui voue un culte au Soleil, l’Etre Suprême. Abramane décide donc de s’unir avec Erinice, autre candidate au trône, amoureuse éconduite de Zoroastre (qui aime Amélite) pour éliminer leurs rivaux.

Tout l’opéra constitue ensuite une lutte entre Lumière et Ténèbres, Bien et Mal, Zoroastre et Abramane, Amélite et Eurinice, que les magnifiques lumières de Peter Van Praet et la mise en scène épurée de Pierre Audi soulignent fortement, parfois même avec excès — et nous nous prenons à penser à la raillerie de Melchior Grimm lors de la création : “Dans Zoroastre, il fait jour et nuit alternativement ; mais comme le poète lyrique […] ne sait pas compter jusqu’à cinq, il s’est si fort embrouillé dans ses calculs, que, dans chaque acte, il a été obligé de faire faire nuit et jour deux ou trois fois pour qu’il fît jour à la fin de la pièce”. Dès le premier mouvement de l’ouverture, le rideau se lève sur deux hommes, l’un tout de noir vêtu, l’autre tout de blanc (on découvrira bientôt qu’il s’agit d’Abramane et de Zoroastre), qui se battent en duel. L’image est belle, saisissante (les sublimes costumes et décors de Patrick Kinmonth, que nous ne louerons jamais assez, y sont pour beaucoup), nous plonge immédiatement dans une ambiance sombre et menaçante, s’accordant harmonieusement avec la musique. Mais très-vite, l’énergie de la mise en scène se concentre trop sur la mise en place d’images — toutes aussi magnifiques —, et en oublie parfois le drame. Il y a indéniablement des moments puissants, comme toute la première partie de l’acte IV qui s’ouvre avec les choristes grouillants sur scène, glauques et grotesques, avant qu’ils ne s’adonnent à une furieuse et bestiale cérémonie.

Mais tout est généralement un peu trop équilibré et raisonnable dans ce Zoroastre, sans l’enchantement qui caractérise la Tragédie lyrique française d’après l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert : la Vengeance y est trop sage (et peu identifiable), de même que la Voix souterraine d’Ariman, déclamée sur la scène même par un chanteur présent dès le début de l’acte, d’une façon trop anodine pour qu’on puisse trembler pour les deux lumineux héros. A la fin du même acte, moment de tension extrême, une statue de Zoroastre devant laquelle le Désespoir, la Vengeance et la Haine font des conjurations doit se mettre brusquement à s’enflammer, avant que la Vengeance ne s’écrie ‘La flamme le consume !’. Mais, alors que  rien ne nous le laisse présager sur scène, on peine à saisir la substance du livret…

 © Elisabeth Carecchio

Notons tout de même que la simplicité et sobriété de la mise en scène porte parfois vraiment l’œuvre, comme dans l’acte III, scène 6, au ton très juste et émouvant sans verser dans un sentimentalisme niais (notamment l’air de Zoroastre, ‘O Lumière’). La scène finale de l’acte, où Amélite est sur le point de périr tandis que Zoroastre est déchiré par sa perte, était sans aucun doute d’un égal pathos si hélas une brusque sonnerie de téléphone portable (décroché par sa propriétaire pour insulter son interlocuteur) n’avait légèrement déconcentré votre fidèle serviteur qui regrette fort ce moment émouvant.

La chorégraphie d’Amir Hosseinpour, d'un modernisme souple mais qui respecte cependant la rythmique des danses, est sans doute en partie responsable de cet enchantement lacunaire. Prenons l'exemple de l'Acte II, scène 3, où une sarabande suivie de deux gavottes est censée évoquer, à travers des invocations du Mage Oromanès, l’avenir radieux de Zoroastre. Ici, il est difficile de discerner quoi que ce soit à moins de connaître le livret sur le bout des ongles, en apercevant trois danseuses bientôt rejointes par quatre cavaliers se livrant à une sorte de combat de corrida, et ces picadors, qui servent de leitmotiv au spectacle deviennent vite agaçants… Tristement, nous nous rappelons les danses réalisées par Jean-Claude Gallotta pour l’Armide de Lully au Théâtre des Champs-Elysées la saison dernière, et notre esprit archaïque (peut-être) aurait souhaité une chorégraphie plus baroque dans une tragédie lyrique où le ballet occupe une place si importante. Les figures d'Hosseinpour, vives mais trop physiques (les danseurs – excellents au demeurant) poussent parfois des cris, ou tiennent lieu de percussions là où ce n’est pas nécessaire en se frappant pour produire des claquements) finissent par lasser, et ne se glissent jamais véritablement dans le climat de l'œuvre, laissant le loisir de se concentrer davantage sur la fosse que sur la scène dans ces moments.

Car il s’en passe des choses, dans la fosse où les Talens lyriques sont menés avec brio par Christophe Rousset qui s'érige en digne héritier de Christie dans le répertoire lyrique français. L’orchestre est harmonieux, bien balancé ; la direction sur le fil, soucieuse de tenir jusqu’au bout la ligne musicale avec finesse et élégance. Dès l'ouverture, nous goûtons un premier mouvement très sobre, suivi par de belles nuances, jamais lourdes ni pompeuses, puis un deuxième mouvement toujours subtil. De belles envolées orchestrales sont parfois plus éloquentes que la mise en scène et la chorégraphie (les deux rigaudons et deux menuets du II, 7, par exemple). Et nous avons parfois été bousculés, passant d'un sentiment des plus aimables à d’effroyables gouffres qui nous font trembler sur nos sièges, comme dans l’air vif de la IV, 6, mesuré mais libre, où l’orchestre, grossi de deux cors, exhale un parfum machiavélique et pervers. Dirigeant de temps à autre depuis son clavecin dans les récitatifs secs, Rousset nous ravit d'un son très rond et charnel. Le continuo (pourtant moins important chez Rameau que dans la tragédie lyrique lulliste ou mariste) est également très riche, parfois imposant, puissant, sombre quand il faut dans les scènes épouvantables. A tel point que le continuo, ainsi que l’orchestre qu’il ponctue, nous surprend souvent plus que les chanteurs qu’il accompagne.

 © Elisabeth Carecchio

La distribution s'est avérée inégale, avec deux rôles titres superlatifs. Tout d'abord, Evgueniy Alexiev ne convainc malheureusement pas en Abramane. Son timbre trop haut le place dès le début au même niveau vocal que ses deux suivants, Zopire (Lars Arvidson, bien mieux en Vengeance qu’en prêtre où il agace par son inarticulation, malgré son physique inquiétant) et Narbanor (écrasant et éblouissant Jakob Högström, belle basse profonde, d’une terrifiante présence), qui le dominent très vite. Où est son pouvoir, sa rage, son danger ? Le phrasé est saccadé, l'incarnation terne. Lorsqu’il invoque tous les esprits des ténèbres acte IV, scène 4, il est peu crédible de les voir répondre à son appel impuissant.

Sine Bungaard en Amélite est inégale. La chanteuse – dont il ne s'agit pas du répertoire principal - semble se contraindre pendant toute la première partie, se forçant à contenir sa voix, retenant ses éclats, souffrant d'une prononciation française engorgée (mais pratiquement sans accent), rendant le texte malaisé à suivre, comme dans l’air gracieux du I, 3 ‘Non, non, une flamme volage’. Les respirations mêmes nous étonnent, tant elles vont à l’encontre de la prosodie: I, 3: ‘Cher Amant, viens regner sur des peuples…/ soumis’, ‘Hé…/ las !’ (deux fois: I, 5 et II, 6). Mais, à l’acte III, quand nous nous y attendions le moins, Bungaard se libère enfin, et sa voix devient souple tenue, pour, par exemple, l’ariette ‘Sur nos cœurs épuise tes armes’, III, 6. La voilà présente.

Ditte Andersen n’a qu’un second rôle, celui de Céphie, la confidente d’Amélite, dont le personnage est nettement moins conséquent que son équivalent dans une tragédie lulliste (elle n’est sur scène que dans 3 courtes scènes), mais sa voix légère et agile rend sa présence très tendre. Son récit de l’enlèvement d’Amélite, V, 4 réussit fort à nous épouvanter, tandis que son timbre aimable contraste magnifiquement avec la violence de l’orchestre qui l’accompagne.

Mais si nous ne devions enlever que deux interprètes de cette distribution sur une île déserte, ce seraient indubitablement Anders J. Dahlin (Zoroastre) et Anna Maria Panzarella (la méchante mais amoureuse Erinice) dont la beauté et le jeu irradient la scène. Et quelles voix !

Dans les couloirs, sur le perron, dans les loges, des bruits courent au sujet du haute-contre, révélation du spectacle que nous avons hâte de voir paraître à l’acte deux. Un peu couvert par l’orchestre au début (‘A mes tristes regards dans ce riant empire’), Dahlin nous terrasse cependant rapidement d'une voix souple, incroyablement agile, au timbre pur et clair aussi à l’aise dans les notes plus graves que dans les aigüs monstrueux de Rameau. Malgré certaines attaques légèrement brusques et un extrême-aigu un petit peu douloureux, sa voix suave et aérienne, jamais arrogante, apparemment simple, nous gagne avec ses harmoniques parfaites. Citons notamment son duo avec Amélite, ‘Sommeil, fuis ce séjour’ (notamment le virtuose vers final ‘Volons à la voix de l’amour’, bluffant), son ariette ‘Accourez jeunesse brillante (III, 5) où il est on ne peut plus à l’aise dans une succession de vocalises quasi-haendélienne.

 

 © Elisabeth Carecchio

Pour finir, parlons de Mademoiselle Panzarella sans savoir par où commencer. En disant qu’elle nous éblouit plus que jamais (après une terrible Erinice dans l’enregistrement de William Christie de la même œuvre, une tendre Angélique dans Roland de Lully sous la baguette du même Rousset (Ambroisie, 2004) une touchante Aricie dans Hippolyte et Aricie (Erato, 1997) ? En avouant que la moitié des 15 pages de notes prises pendant la représentation la complimentent ? Nous passerons sur ces griffonnages béats tels ‘Elle déchire Erinice’ (plusieurs fois) ou ‘tout simple, mais ultra-émouvant’... Anna Maria Panzarella laisse admirer une voix à la fois puissante et cristalline aux harmoniques à la pureté du diamant, dominant la scène dès son duo ‘Unissons nos fureurs’ (I, 2) avec Abramane. Dans la même scène, son serment ‘Dieux terribles, dieux tout puissants’ nous fait frémir par sa force évocatrice incroyable. La soprano sait se faire déterminée avec Abramane, tendre et enflammée dès qu’elle voit Zoroastre. La technique est impeccable, qu'il s'agisse des ornements des ‘Ministres redoutés du plus puissant empire’ (IV, 5), ou d'un ’Amour, cruel amour’ (V, 1) d’une simplicité déchirante. Les vocalises sont très précises, légères, jamais assénées, la diction d'une lumineuse clarté— point n’est besoin de lire les surtitres.

En définitive, ce Zoroastre venu du Nord, dont le DVD est déjà paru chez Opus Arte, a le mérite de constituer l'une des meilleures mises en scène de tragédie lyrique sur la scène parisienne du moment, en dépit de l’inégalité d’une distribution, hélas, pas toujours assez spécifiquement baroque.

Charles Di Meglio

Site officiel de l'Opéra Comique : www.opera-comique.com

"Il Gioco e la Folia" : la folie amoureuse et les passions dans la musique baroque italienne, La Cappella de’ Turchini, dir. Antonio Florio (Opéra Comique, Paris, 28 mars 2009)  

 

"Jélyotte, l'idole des Lumières" : airs et suites d'orchestre de Rameau, Anders J. Dahlin, Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset (Opéra Comique, Paris, 31 mars 2009)

 

 

 

Affichage recommandé : 1280 x 800

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