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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Lully, Armide

Les Arts Florissants, William Christie

 

 

Fin de l'acte II "Enfin il est en ma puissance" © Alvaro Yañez

 

 

Jean-Baptiste LULLY

 

Armide

 

Claire Debono (La Gloire, Phénice, Lucinde)
Isabelle Druet (La Sagesse, Sidonie, Mélisse)
Stéphanie d'Oustrac (Armide)
Nathan Berg (Hidraot)
Paul Agnew (Renaud)
Marc Mauillon (Ubalde, Aronte)
Marc Callahan (Artémidore)
Andrew Tortise (Le Chevalier Danois)
Laurent Naouri (La Haine)
Anders J. Dahlin (un amant fortuné)

 

Chœur et Orchestre Les Arts Florissants

William Christie, direction musicale
Robert Carsen, mise en scène

Jean-Claude Gallotta, chorégraphie
Gideon Davey, décors et costumes 
Robert Carsen et Peter Van Praet, lumières 

 

10 octobre 2008, Théâtre des Champs-Elysées, Paris.

 

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Un songe (me devrais-je inquiéter d’un songe ?)
Entretient dans mon cœur un chagrin qui le ronge.
Je l’évite partout, partout il me poursuit.
C’était pendant l’horreur d’une profonde Nuit.

En un Temple paré s'élevait la Musique

D'un grand Compositeur mais non du plus pudique.

Le lever du rideau consacra son déclin

Et les ombres & l'Enfers prirent le Florentin

Etouffant les soupirs, défaisant son Ouvrage,

Oubliant chaque doute en coupant quelques pages

D'une Armide déchue et qui de Tragédie

Devint une mortelle atteinte de Folie.

Le Monde était bleuté, les compagnons rebelles

Un trop coupable élan condamnait cette belle

A un affreux Trépas qui n'était point écrit

Mais qu'on fit ajouter par un homme maudit

Qui semblait effrayé d'une grandeur pompeuse

Et oublia la Grâce et les idées heureuses

Que jadis l'on prônait pour ouvrir grands les yeux

Des gens de qualité et de tous les curieux.

Oublions cette Nuit qui fut bien trop cruelle

En attendant l'éclat d'une aurore nouvelle.

 

                                                        V.L.N.

 

"Trop malheureuse Armide, hélas ! Que ton destin est déplorable." (V,4)

Nous attendions beaucoup des retrouvailles de William Christie et des Arts Florissants avec la tragédie lyrique lullyste. Depuis Atys, le chef avait en effet boudé les opéras du Surintendant, si ce n'est la parenthèse d'un Thésée avec l'Académie baroque d'Ambronay. Nous attendions peut-être trop, perchant nos espoirs à une hauteur que nul athlète ne pouvait atteindre. Et pourtant, sans se complaire dans une nostalgie très Chateaubriandesque, que de perles Bill a enfilé à son collier baroque ! David et Jonathas et Médée de Charpentier, Jephté de Montéclair, Idoménée de Campra, d'innombrables Rameau… Avec toujours ce sens de la noblesse et de la mesure, cette scrupuleuse attention à la prosodie, ce drame grandiose sans boursouflure.  Alors, pourquoi ?

Pourquoi ce spectacle avançant à marche forcée, l'épée dans les reins ? Pourquoi cette fin défigurée (revisitée diront d'autres qui crieront au triomphe de la relecture), ces coupures de la partition, ces répétitions malvenues de ritournelles ? Pourquoi cette diction souvent prise en défaut, ces accents mal placés, cette déclamation qui obligeait de temps à autre à recourir aux surtitres ? Et la déception est d'autant plus grande qu'elle éclabousse Armide, souvent considérée - et avec raison - comme l'ultime chef-d'œuvre de Lully.

Robert Carsen a fait d'Armide un mauvais songe. Au sens propre. La vision du Canadien rabaisse toute l'épopée de la Jerusalem délivrée à Paul Agnew en veste, s'endormant sur le lit du Roi-Soleil pendant sa visite à Versailles. Il sera brutalement tiré de ses rêves par deux gardiens du musée à la fin de la tragédie, banalisée et vidée de son sens, cauchemard éveillé inspiré d'un trop-plein de publicités télévisuelles pour parfum.

Le Prologue débute sur une fausse bonne idée (déjà exploitée par Laurent Pelly). L'ouverture s'élève, un peu étriquée et dans l'indifférence générale, alors que les lumières demeurent allumées. Survient alors une horde de touristes, croisement entre les Bronzés font du ski et Camping, parfois avec lunettes de soleil et baladeur audio, obligeant les spectateurs à se lever sur leur tonitruant passage. Vous l'aurez compris, il s'agissait du chœur… Pour ce morceau obligé de propagande royale, musicalement somptueux mais dramatiquement plat (hantise des metteurs en scène d'aujourd'hui), Carsen a choisi de faire de la Gloire et de la Sagesse deux conférencières du Château de Versailles, faisant défiler un Powerpoint (NdlR : slides de salle de réunion pour ceux qui auraient la chance d'échapper à la bureautique professionnelle). Passe encore... En revanche, une grande partie du Prologue se transforme en séance de visionnage d'un film mal cadré où les touristes/choristes/danseurs visitent le Salon de la Guerre, la Grande Galerie, le Salon de l'Œil de Bœuf et le Chambre du Roi. Outre l'incroyable solution de facilité qui refuse le spectacle vivant au profit d'une soirée télé, le court métrage oblige William Christie à caler sa direction sur les séquences représentées à l'écran, lui ôtant toute liberté. Et, malgré tous ses efforts, l'écran et la fosse ne sont jamais véritablement synchronisés. L'acte IV, qui conte les tribulations des deux compagnons de Renaud cherchant à le délivrer, sera traité sur le même ton, l'humour appuyé en sus, avec les pitreries d'un duo comique de randonneurs tournant dans la salle, armé de lampes de poche.

Acte III © Alvaro Yañez

Le reste de la tragédie bénéficie d'une mise en scène plus soignée, avec des éclairages très réussis. En pleine cohérence avec l'idée de base (pour mémoire : Paul Agnew s'endort sur le lit de la Chambre du Roi lors de sa visite guidée), Carsen reproduit en les stylisant le lit à baldaquin et la balustrade du royal centre du monde. L'esthétique est malheureusement "branchée" baignant dans des tons argentés (réminiscences de l'Atys de Villégier ?), faisant irrémédiablement songer à un clip MTV ou à du marketing de produits cosmétiques de luxe, impression renforcée par la scène du sommeil où femmes et hommes couvrent Renaud de roses rouges sur un plateau aussi noir que désertique. Ce parti-pris scénique s'épuise au fur et à mesure de la représentation, et devient rapidement décoratif.

Le contexte guerrier, le choc des civilisations (Armide est une sarrasine, Renaud un croisé), les dilemmes cornéliens entre Amour et Gloire sont effacés au profit d'une histoire banale d'amour déçu au sein de la jet set. Le moment le plus inspiré aura été un changement de perspective lors de l'Acte V, au cours duquel le public se retrouve derrière la balustrade, du côté du lit, alors que les deux amants s'ébattent et que Paul Agnew se dandine en caleçon). Plusieurs légèretés de Carsen sont impardonnables : des reprises non prévues, des coupures intempestives (notamment tout l'acte V scène 3 qui ne permet plus de comprendre pourquoi Renaud quitte Armide), et surtout le suicide d'Armide en totale contradiction avec le livret. Certains hausseront les épaules avec résignation, et agiteront leur index en prononçant un sentencieux "Je m'en doutais, il a déjà fait le coup chez Alcina".

Dans ce monde lunaire à l'épure glacée évoluent les costumes peu marquants de Gideon Davey : pour les hommes un mélange d'un débraillé trendy façon Kenzo mélangé avec les hauts de chausse et souliers à talons rouges de la fin du XVIIème ; pour les femmes, robes rouge vif ou nuisettes. La distinction est d'ailleurs très artificielle, les deux sexes se retrouvant souvent vêtus de la même manière, offrant dès lors l'effroyable vision de Laurent Naouri, barbu, chantant la Haine en robe écarlate.

Les danses de Jean-Claude Gallotta apportent le réconfort d'une vision personnelle. Entre maccaréna, tektonik et danses baroques, les chorégraphies s'inscrivent dans la perspective d'un baroque dévoyé, nerveux, parfois sensuel. Les danseurs aux évolutions saccadées, comme victimes de décharges électriques se cherchent, se croisent et ne se trouvent pas. La Passacaille de l'Acte V est ainsi un festin de rendez-vous manqués, de danses de salon inachevées et douloureuses. On louera au passage la rigoureuse coordination des danseurs.

Acte I "Armide est encore plus aimable" © Alvaro Yañez

Et la musique ? Last but not least, il faut bien avouer que le résultat, très honorable, n'était pas à la hauteur du "Bill" habituel. La faute d'abord à un plateau vocal inégal. Le Renaud de Paul Agnew ne manque certes pas de noblesse, mais la voix est fatiguée, instable dans les aigus, incapable d'un son tenu, conférant un personnage un profil mollasson et geignard. Le phrasé et la diction demeurent toutefois remarquables. Cependant, on se demande bien pourquoi le rôle-titre n'a pas été confié à Anders Dahlin - digne successeur d'un Howard Crook ou d'un Jean-Paul Fouchécourt qui a récemment fait ses armes avec éclat dans un Castor et Pollux avec Gardiner ou dans Zoroastre avec Rousset. Sa trop brève apparition comme Amant fortuné de la Passacaille n'en est que plus regrettable. Le rôle d'Armide est sculpté avec fierté et engagement par Stéphanie d'Oustrac qui y met toute ses forces. Mais le timbre aplati dans les graves, avare de couleurs et de nuances, le phrasé trop large plus mozartien que lullyste jettent le trouble. Le trop fameux "Enfin il est en ma puissance" trop artificiel peine à rivaliser avec l'hésitation coupable de Rachel Yakar ou les affres de Guillemette Laurens. Cet Armide n'est pas une grandiose tragédienne, une guerrière farouche surprise par les douceurs de l'amour, mais une femme moderne, psychologiquement torturée, qui aurait bien besoin d'un analyste.

Pour les autres rôles, on distinguera l'implacable et jouissive Haine de Laurent Naouri (mémorable "Je réponds à tes vœux"), l'Hidraot un peu brouillon mais chaleureux de Nathan Berg et la fraîcheur de Claire Debono et Isabelle Duet. Point noir absolu de la distribution : Andrew Tortise en Chevalier Danois qui fit subir un timbre tendu et aigre, un vibrato non maîtrisé, de nombreux défauts de justesse et décalages avec l'orchestre.

Les Arts Florissants ont offert la belle et ample cohésion d'un orchestre à la française à cinq parties, avec des bois grainés (doublage du "Ah si la liberté me doit être ravie" en particulier). Les départs sont précis, le continuo classieux et équilibré. Les percussions exotiques du IVème acte (bâton de pluie, collier de bois, etc) étaient déplacées, autant que la mise en scène de ce moment déjà le plus faible de l'ouvrage. Le plus surprenant fut la direction téléologique de William Christie, presque gluckienne, avec un orchestre hyper-présent dans les récitatifs accompagnés, pressant le drame jusqu'à son dénouement en étreignant le spectateur sans jamais le relâcher. Il y manquait les respirations, les tensions suivies de soupirs, les pauses contemplatives et poétiques auxquelles le chef nous avait abreuvés. Cet Armide, très proche de la Proserpine d'Hervé Niquet dans son optique, pleine d'un irrémédiable mouvement, repue de sa toute-puissance, n'était pas celle de la douceur aquarellée, ni de la suggestion. Même la Passacaille n'a pas apporté l'onirisme planant qu'on eut pu espérer.

Et à l'issue d'une soirée en demi-teinte, l'on ne peut que répéter les réflexions finales d'un Renaud désabusé et presque désolé d'être désensorcelé : "Trop malheureuse Armide hélas, que ton destin est déplorable"

Amandine Blanchet

DVD : Jean-Baptiste Lully, Armide, Stéphanie d'Oustrac, Paul Agnew, Nathan Berg, Laurent Naouri, Claire Debono, Isabelle Druet, Marc Mauillon, Les Arts Florissants, direction William Christie, mise en scène Robert Carsen (FraMusica, 2011)

Armide de Lully ou le sublime crépuscule du Florentin (1686)

 

 

 

Affichage recommandé : 1280 x 800

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