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6 janvier 2014

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Chronique Festival

Des voyages, mais avec des compagnons

 

 

Jubé de l'église d'Arques-la-Bataille © Muse Baroque, 2011

 

Là où certains festivals choisissent un thème, un fil directeur, et une pléthore de concerts pour le développer, Jean-Paul Combet pour l’Académie Bach fait le choix de la diversité. Ainsi sont présents dans la même programmation Byrd, Bach, Buxtehude et Schubert, Mendelssohn, Rossini. Cette diversité, à l’image de celle même de la musique baroque — après tout, pourquoi se limiter à 1600–1750 ? la diversité qu’on trouve en étendant jusqu’à 1830 est sans doute déjà présente entre ces deux bornes — répond à une diversité de lieux, nous l’avons évoqué ; ces répertoires divers sont autant de voyages d’un univers musical à l’autre.

Des voyages, certes, mais avec des compagnons. On retrouve ainsi d’un concert à l’autre une partie du public, et surtout l’équipe, qu’il s’agisse de son directeur artistique et du photographe, de ceux qui ont assuré l’organisation en amont, soigneusement, méticuleusement, ceux-là ont fait que tout s’est déroulé sans accrocs, ou de ceux qui, bénévoles, ont assuré une grande partie de l’accueil des concerts — pour le public comme pour les artistes — et que nous avons retrouvé d’un endroit à l’autre. N’oublions pas qu’un festival ne "marche" pas tout seul.

Et puis, les artistes, puisqu’on en retrouve certains d’un concert à l’autre ; ainsi, Arnaud Marzorati était avec Les Musiciens de Saint-Julien pour chanter du Bach jeudi, et avec Les Lunaisiens pour chanter les révolutions vendredi ; Stéphanie Paulet jouait du Biber, du Weckmann et du Scheidt mardi, du Schubert jeudi… Il y a ceux aussi, qui sont venus depuis le début, comme Hélène Schmitt, qui avouait avec émotion après le concert du Quatuor Baillot, dont elle est le premier violon, qu’elle était à l’Académie Bach pour la dixième fois ; François Lazarévitch y était pour la troisième fois ; quant à Benjamin Alard, il y fut d’abord comme bénévole, et le voici maintenant claveciniste et organiste…

 

le Quatuor Baillot © Académie Bach

Un Coeur Aventureux
Quatuors de Boccherini, Schubert et Haydn

Quatuor Baillot
Hélène Schmitt, premier violon
Xavier Julien-Laferriere, second violon
Alix Boisvert, alto
Karine Jean-Baptiste, violoncelle

Mercredi 22 août, 22h30
Eglise de Sainte-Marguerite-sur-Mer

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Nous retrouvons certains dans des répertoires inattendus de leur part. Ainsi, Hélène Schmitt, la violoniste baroque que l’on sait, que l’on connaissait chez Bach, chez Albertini, Matteis, Carbonelli,  que nous découvrions chez Mozart et Beethoven il y a peu (disque Alpha 177 avec Rémy Cardinale), la voici à la tête d’un quatuor qui a pris le nom du violoniste Pierre Marie François de Sales Baillot (1771–1842), auteur d’un grand traité L’Art du violon. Il y a quelque danger, pour une formation aussi organique que le quatuor à cordes, à avoir pour premier violon une musicienne aussi vive et passionnelle qu’Hélène Schmitt. Certes, les partitions des œuvres choisies — quatuor en si mineur op. 58 no 4 de Boccherini, quatuor no 10 en mi bémol majeur de Schubert, et quatuor en sol majeur op. 33 no 5 de Haydn — mettent souvent en valeur la première voix, et l’archet agile et expressif d’Hélène Schmitt lui donne toute son ampleur ; cependant, les autres parties ont aussi, par moments, leur mot à dire. À cet égard, le jeu n’est pas égal. Non qu’on n’entende pas les trois autres comparses, mais qu’on les entende moins ; on pourrait souhaiter les entendre un peu plus. Il faut dire que l’église de Sainte-Marguerite-sur-Mer étouffait quelque peu les basses du violoncelle de Karine Jean-Baptiste. Les interventions, très ponctuelles, d’Alix Boivert (alto), étaient plus remarquées — il faut savoir quand se faire remarquer et quand accompagner, et Alix Boivert, à l’évidence, le sait. Quant à Xavier Julien-Laferrière, il accompagne, il chante, mais reste un peu en retrait, alors qu’il pourrait, comme Hélène Schmitt, quand sa partie le lui permet, se livrer plus entièrement à la fougue qui caractérise, dans l’ensemble, l’interprétation du quatuor Baillot. Ne restez pas dans l’ombre ! Il y a tantôt, dans ce quatuor, un seul archet, le plus souvent deux, et rarement quatre. C’est une formation, assurément, à suivre, mais qui pourrait, à notre sens, gagner encore en équilibre.

Quoi qu’il en soi, le quatuor Baillot renouvelle l’interprétation du genre. Loin de la sagesse, il se place dans l’héritage du baroque, rappelant que ces pages de Boccherini, de Schubert et de Haydn ne sont pas que savantes compositions, mais aussi pleines d’émotions et de phrasés divers, voire, par moments (en particulier chez Boccherini) de virtuosité. Voilà un quatuor auprès duquel ceux qui ne sont pas familiers de ce répertoire le découvriront avec aisance, et ceux qui le connaissent mieux l’entendront autrement ; voilà un quatuor qui, peut-être, en agacera certains — les discussions après le concert étaient parfois animées —, mais qui, dans tous les cas, ne laissera pas indifférent, et assurément n’ennuiera pas.

 

François Lazarevitch © Robin H. Davies

Johann Sebastian Bach

Suite en si & Cantates profanes

Dorothee Mields, soprano
Arnaud Marzorati, basse
Les Musiciens de Saint-Julien
direction François Lazarevitch

Jeudi 23 août, 20h00
Eglise d'Offranville

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On n’attendait pas non plus Les Musiciens de Saint-Julien chez Bach. Encore que, leur répertoire est si varié… jugez plutôt : de la musique traditionnelle (Danse des bergers, danse des loups) aux élaborations et harmonisations à partir d’airs populaires (La Veillée imaginaire), des aimables brunettes du début du XVIIIe siècle (À l’ombre d’un ormeau) à, bientôt, la musique de l’ars nova et de l’ars subtilior française (Je voy le bon tens venir, à paraître en 2013), en passant par la musique écossaise (For ever fortune), de la flûte traversière à la cornemuse, rien ne devrait plus nous surprendre ! D’ailleurs, François Lazarévitch signait dans le coffret Bach paru chez Alpha l’an passé un très beau texte sur Bach et la danse…

Le programme proposé à l’Académie Bach regroupait la suite en si mineur pour flûte et orchestre, la cantate des paysans et Non sa che sia dolore. D’un côté, la musique pour flûte — la cantate italienne de Bach lui fait la part belle —, de l’autre la danse : nous sommes, en fait, en plein dans le répertoire des Musiciens de Saint-Julien. La cantate des paysans, avec ses rythmes de danses et son allemand leste, fait partie des rares œuvres légères de Bach. Elle est traitée ici comme telle, sans lourdeur, mais l’on regrette, comme pour le concert de l’ensemble Phoenix, de n’avoir pas le texte sous les yeux, tant les dialogues entre Mieke et son compagnon semblent savoureux — peut-on attendre du public soit qu’il soit parfaitement bilingue, soit qu’il connaisse par cœur le texte de toutes les cantates de Bach ? Cependant, l’abattage et la voix parfaitement timbrée d’Arnaud Marzorati font merveille dans ces pages allègres, et il se joue avec malice des vocalises de l’air "Dein Wachstum sei feste".

 Il n’en va pas de même de la cantate Non sa che sia dolore, laquelle est plus intellectuelle. Elle s’ouvre sur un mouvement qui ressemble fort à un Allegro de concerto pour flûte ; puis, deux récitatifs et surtout deux airs dans lesquels la soprano dialogue avec la flûte. On regrette que la voix de Sabine Goetz, qui remplaçait Dorothee Mields, ne s’y épanouît pas davantage : le médium n’était pas parfaitement audible… Heureusement, elle semblait plus à l’aise dans la cantate des paysans.

Remarquons par ailleurs que la grande église d’Offranville laissait un peu trop les sons se disperser, et la flûte même s’y trouvait en difficulté à côté des cordes. Fors cette légère réserve, l’équilibre entre les parties est remarquable ; enfin l’on entend clairement que la partie du violon est en perpétuel dialogue avec la flûte dans la suite en si, là répondant, ici complétant, et parfois chantant à l’unisson. La basse, confiée à Lucile Boulanger, Ludovic Coutineau et Violaine Cochard, est aussi ferme qu’éloquente. Et puis, on danse — dans la cantate des paysans, oui, mais aussi suite en si aussi, comme il se doit. La sarabande ne se perd pas, elle se balance avec douceur ; la badinerie n’est pas prise à un tempo délirant pour montrer qu’on sait jouer vite, mais… hé bien badine, tout simplement. Chaque mouvement trouve son caractère : l’aimable menuet, l’altière polonaise, la vive bourrée… Alors, Les Musiciens de Saint-Julien chez Bach ? Ils sont là chez eux autant que dans le reste de leur répertoire : sereins et maîtres.

 

Le pianoforte de Daniel Isoir © Académie Bach
 

Concert Mendelssohn-Schubert
Quintette "La Truite" de Schubert et autres pièces

La Petite Symphonie
direction Daniel Isoir

Jeudi 23 août, 22h30
Eglise de Colmesnil-Manneville

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Aurait-on cru qu’un concert Mendelssohn et Schubert pût être dans le même esprit ? Après tout, c’était aussi surprenant que pour Bach et la danse… Le programme pot-pourri de La Petite Symphonie réunissait des pièces diverses : une pièce caractéristique pour piano de Mendelssohn et un moment musical de Schubert, un mouvement de sonate pour violoncelle et piano de Mendelssohn, un mouvement de trio à cordes de Schubert, deux mouvements du duo pour violoncelle et contrebasse de Rossini, et une grande pièce maîtresse : le quintette pour piano et cordes "La Truite" de Schubert. En quelque sorte, des hors d’œuvres et un plat de résistance qui fait aussi dessert, tant il est léger — le bis, quant à lui, tient du digestif : chanter les paroles de Francis Blanche, popularisées par les Frères Jacques, sur la Truite, alors qu’aucun n’était chanteur, il fallait oser. C’était délicieux. D’ailleurs, toute la collation était délicieuse.

Délicieusement interprétées, avec enjouement et grâce, toutes les pièces étaient offertes au public avec simplicité — ce qui n’enlève rien à la qualité du phrasé, des dynamiques, ni à l’émotion, et encore moins à la perfection technique de l’ensemble. On a bel et bien l’impression de redécouvrir le quintette La Truite, tant il est joyeux et même dansant — d’ailleurs, Paul Carlioz sautillait par moment sur son siège, avec son violoncelle… Ici, l’équilibre est idéal, et le violon léger de Stéphanie Paulet cédait souvent la parole au doux alto de Diane Chmela ou au violoncelle ; Daniel Isoir, au pianoforte, soutient l’ensemble à merveille, sans imposer une vision concertante qui n’a pas lieu d’être ; avec modestie, il est là, essentiel. Cela ne l’empêche pas de livrer à certains moments soit un solo dans le quintette, soit une pièce soliste — nous les avons citées plus haut — avec la même sobriété, le même naturel et le même sens de la respiration.

La pièce la plus surprenante du programme est assurément le duo pour violoncelle et contrebasse de Rossini. Œuvre de jeunesse ? Cela pourrait expliquer l’espèce de sentiment de blague qui en émane, si une partie non négligeable de l’œuvre de Rossini ne ressemblait pas elle aussi à une blague… À blagueur, blagueur et demi : Paul Carlioz et Philippe Blard semblent s’amuser, comme il se doit dans cette pièce "joviale et pleine d’humour" (comme l’écrit Daniel Isoir).

Comme dans le cas du quatuor Baillot, mais d’une manière toute différente — le propos musical n’étant pas du tout le même — c’est de la musique de chambre sous un aspect renouvelé ; c’est très vivant, très agréable et terriblement séduisant.

 

Eugène Delacroix. La Liberté guidant le peuple, huile sur toile, 3,25 x 2,60 m, 1830

© Musée du Louvre, Paris

Chant de gloire, cri de mort
Chansons révolutionnaires du XIXe siècle

Les Lunaisiens
Isabelle Druet, mezzo-soprano
Jean-François Novelli, ténor
Arnaud Marzorati, basse
Daniel Isoir, pianoforte

Vendredi 24 août, 17h00
Salle des Fêtes de Sainte Marguerite-sur-Mer

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Croirait-on qu’un concert intitulé "Chant de gloire, cri de mort : chansons révolutionnaires du XIXe siècle" le soit aussi, séduisant ? Et si l’on dit qu’il y avait encore Daniel Isoir et Arnaud Marzorati ? Ils étaient rejoints pour ce programme par Isabelle Druet et Jean-François Novelli.

Les Lunaisiens — puisque c’est d’eux qu’il s’agit — ont eu l’audace de proposer un programme qui a gêné. En effet, hors de question d’évoquer les journées de 1848 et la Commune dans une église, mais aussi dans certains lieux a priori moins fermés. Après plusieurs tentatives en divers endroits, les organisateurs ont pu trouver la salle des fêtes de Sainte-Marguerite-sur-Mer, qui s’est avéré en fait un cadre bien propice au concert de chansons des Lunaisiens, grâce à la proximité et à la connivence qui pouvait s’installer entre artistes et public.

Il y a des chansons révolutionnaires — L’Internationale d’Eugène Pottier n’a rien perdu de son pouvoir et la Marseillaise des Cotillons est en grâce depuis quelques années —, mais il y en a beaucoup aussi qui évoquent la mort, la faim, la misère. C’est à ce titre que la chanson de Suzel de L’Ami Fritz d’Henri Maréchal ou l’air de la lettre de La Périchole trouvaient ici leur place à côté du Bal de la guillotine de Gustave Leroy et du Chant du pain de Pierre Dupont — la Périchole cède au vice-roi parce qu’elle meurt de faim, souvenez-vous…

Disons-le tout net : c’était magistral. Isabelle Druet passe avec aisance de l’émotion de La Périchole (quel frisson nous parcours en entendant certaines phrases !) à la revendication éperdue de la Marseillaise des Cotillon. Et dans la même chanson — Le bal de la guillotine, par exemple — les Lunaisiens savent mêler rigolade et tristesse. Quelle énergie, aussi, dans ce Duo des Colonels (de La Diva d’Offenbach) ! Arnaud Marzorati et Jean-François Novelli savent faire écouter le texte, souvent très soigné, autant que les mélodies simples. Utilisant parfois la voix parlée — c’est le cas dans L’Internationale, il n’est d’ailleurs pas mal de réécouter ce que ça dit —, passant promptement du parlando au chanté, tous trois prêtent à ce répertoire délaissé leurs timbres riches et leur énergie, et font ainsi revivre l’art des chansonniers qui haranguent la foule comme les salons avec le même talent.

Les accompagnements sont variés, osant ici l’a capella, là le quatuor vocal — Daniel Isoir ne prête pas seulement son pianoforte mais aussi sa voix — et puis, plus simplement, le piano — lequel pouvait aussi faire quelques percussions grâce à une pédale spéciale. C’est un vrai ensemble et chacun trouve dans les autres des partenaires attentifs.

Signaler tous les moments forts du concert serait impossible : cela reviendrait à copier les deux tiers des chansons… Un disque viendra bientôt, nous l’attendons de pied ferme, et nombreux sont ceux qui se remémoreront en attendant la Danse macabre de Saint-Saëns terminée par "Vive la mort et l’égalité" ou "Quel est le fou, le monde ou moi ?" Alors, quel est le fou des Lunaisiens qui font revivre ces chansons drôles, passionnées, émouvantes, et de nous qui les aimons, ou du monde qui les avait oubliées ?

***

Il n’y avait pas de Chant du départ, mais nous avons bien dû partir ensuite… Les dernières soirées promettaient encore de beaux moments. Nous avons ainsi entendu répéter dans l’église d’Arques-la-Bataille un programme intitulé L’Art du Lamento qui s’annonçait passionnant — un Eraclito amoroso aussi bouleversant que si on l’entendait pour la première fois y côtoyant des pages plus rares comme le Lamentum Matris Euryalli de Domenico Mazzocchi. La voix amène et ronde de Monika Mauch y était soutenue par un ensemble Daedalus chatoyant de couleurs aux dynamiques et aux phrasés qui n’invitaient qu’à se laisser (em)porter. D’ailleurs, ne pourrait-on dire la même chose de l’ensemble de cette Académie Bach ? Il suffisait de se laisser porter d’un lieu à l’autre, d’un concert à l’autre, et puis, au concert, de s’envoler avec les musiciens pour Lübeck 1650, Vienne 1800, Leipzig 1730, Rome 1650 ou Paris 1870… Et si les membres du personnel de bord nous disent "nous espérons que vous avez effectué un agréable voyage", nous leur répondront mille oui.

 

 

Loïc Chahine

Vers le Sommaire du Festival

Prélude : Qu’est-ce qu’Arques-la-Bataille ?

Le lieu et le concert

"Finalement nous, les musiciens, sommes des passeurs ; les violons restent, et nous passons." :  entretien avec Hélène Schmitt, violoniste baroque

Site officiel du Festival : http://www.academie-bach.fr

 

 

 

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