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mise à jour 6 janvier 2014
| Le Grand Motet :
une
spécificité de la musique sacrée française au Grand Siècle Hyacinthe Rigaud, Portrait de Louis XIV en costume de sacre. D.R. Adapté de l’exposé oral sur le Panorama introductif de la musique baroque religieuse française depuis la seconde moitié du XVIIème siècle à l'aube du Siècle des Lumières proposé dans le cours-séminaire de J-C.Marti, B.Moysan et L. Schnapper Temps politique & Temps musical donné le 04/03/2002 à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris.
Avant-propos Ceci
n'est pas à proprement parler un exposé mais une large présentation dont le
but est de familiariser l'auditoire avec le corpus d'expressivité de la musique
sacrée et religieuse de l'époque. Notre propos s'apparente plus à une découverte
et à une recontextualisation qu'à une analyse. On
ne peut en effet appréhender les œuvres musicales du Grand Siècle sans les
replacer in situ tant elles sont
historiquement datées voire circonscrites. La distance temporelle réduit donc
l'immédiateté de leur appréhension et c'est ce temps, temps à la fois
politique et musical, temps temporel et spirituel, minutes des Hommes et mesures
d'Euterpe[1] que nous tâcherons de remonter et de démonter ensemble. Cet
essai se propose de dégager quelques axes de compréhension liés à l’éclosion
d’une forme originale de musique sacrée dans le baroque français qui nous
permettront de visionner certains aspects de la vie politique, culturelle et
religieuse du « Siècle de Louis XIV » comme le nomma Voltaire. Il
doit être noté que nous nous occuperons spécialement de l'époque médiane du
baroque qui, pour la musique française, correspond à une période allant des
années 1670 à 1720. Nous ferons néanmoins une exception avec Mondonville en
raison de la permanence-archaïsme du grand motet en plein siècle des Lumières. Dans quelle
mesure les différentes formes de musiques religieuses permettent-elles une
approche syncrétique de la société française au XVIIème siècle? Comment un
voyage à travers la musique sacrée de l'époque
équivaut t-il à une découverte du Grand Siècle dans sa diversité
sociale, ses réalisations politiques, son renouveau religieux et son
chatoiement musical ?
Le « motet » Le motet est une composition musicale à plusieurs voix, avec ou sans accompagnement musical, apparue au XIIIe siècle, la forme est alors exclusivement polyphonique, s'appliquant indifféremment à la musique religieuse ou profane. Deux siècles plus tard, sous l'influence de Guillaume Dufay, la polyphonie s'organisa en voix d'importance égale et le motet devint alors une œuvre de composition libre (avant 3 voix maximum). La langue vulgaire fut remplacée par le latin et le nombre de voix augmenté (quatre à cinq en moyenne, mais parfois beaucoup plus). À
partir du XVIe siècle, le motet n'ayant plus qu'une application
exclusivement religieuse, l'importance accordée au texte orienta la musique
elle-même qui, sous l'impulsion des Gabrieli, Andrea et Giovanni, reçut un
accompagnement instrumental. Parmi les grands auteurs de motets, citons Josquin
Des Prés, Palestrina, Roland de Lassus, Tomás Luis de Victoria, Claudio
Monteverdi, Heinrich Schütz, J.-S. Bach, les motets luthériens s'appuyant non
plus sur le latin mais sur la langue vernaculaire.
Le
grand motet En
France, le motet connaît au XVIIe siècle une véritable éclosion
à la cour de Versailles, où il est divisé en deux grandes catégories, selon
le degré de solennité de l'office c'est-à-dire la richesse de
l'instrumentation et du nombre de chanteurs nécessaires. Le grand motet est le
plus majestueux, certains ont même osé le qualifier de
"pompeux", "suffisant", ou "musicalement hypertrophié".
Le
grand motet relève de l'affirmation d'un idiome national, de la création de véritables
genres français (comme la tragédie lyrique, l'air de cour ou la suite de
danses) différents de la musique italienne prédominante voire hégémonique
dans l'Europe du début du XVIIème siècle. En
effet, le grand motet, ou motet à grands chœurs,
est un genre exclusivement français. On attribue à Nicolas Formé l'origine du
motet à double chœur (petits chœur de solistes contre grand chœur de
choristes) sous Louis XIII mais c'est « Monsieur de Lully, Ecuyer-Secrétaire-Conseiller
du Roy, & Sur-Intendant de la Musique de Sa Majesté » qui
en est le créateur éclairé. Jean-Baptiste (de) Lully, Marc-Antoine
Charpentier, Michel-Richard Delalande, Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville en
furent les dignes défenseurs. Jean
Duron (musicologue du CMBV) date donc de l'hiver 1664 la naissance du grand
motet avec le fameux Miserere où Madame de Sévigné fondit en larmes. Cette
œuvre va nous permettre de pénétrer dans le premier âge du grand motet.
Comme l’écrit toujours Jean Duron « c'est dans un contexte très
particulier que Lully écrit a écrit ce premier motet. Dans les années 1660,
la question des "libertés de l'Eglise gallicane" est une nouvelle
fois posée ». Le problème n'est pas nouveau, on le retrouve depuis le Moyen-Age (" Le Roy de France ne reconnoît pas de supérieur au temporel " est-il écrit dans la décrétale per venerabilem entérinée en 1302 par Innocent XIII) mais il est vrai que c'est le XVII siècle qui le théorise et lui donne des contours précis. Le gallicanisme est un courant qui revendique l'autonomie de l'Eglise et de la magistrature de France vis-à-vis de la centralisation du Saint-Siège, la séparation du temporel et du spirituel dans la lignée machiavelienne. L'abbé Fleury écrit fort explicitement : "que la puissance donnée par Jesus-Christ à son Eglise est purement spirituelle et ne s'étend ni directement, ni indirectement sur les choses temporelles." Le
débat est crucial puisqu'il en va du principe même de la souveraineté à la
fois de l'Etat et du Roi (même si Louis XIV n'a bien entendu jamais prononcé
les paroles « l'Etat, c'est moi »). Les
Etats-Généraux de 1614 proclament « que le Roy étant reconnu souverain
en son Etat, ne tenant sa couronne que de Dieu seul, il n'y a puissance en
terre…qui ait aucun droit sur son royaume…Que tous ses sujets…tiendront
cette loi pour sainte et véritable, comme conforme à la parole de Dieu ».
Leur prochaine réunion sera celle de mai 1789 et le discours sera alors bien
différent… Le
Miserere de
Lully joué devant toute la Cour, montre " un genre, un dessein inouï
auparavant, à la mesure du souverain ". (J.Duron) C'est un manifeste
symbolique énorme, presque la visualisation de l'affranchissement de la tutelle
de Rome dans l'invention d'un genre nouveau. Il intervient juste après le Déclaration des
Six articles du Parlement demandant la
nomination des évêques de France par le Roi (ce qui sera fait en 1682). L'œuvre
est en fait une cantate sacrée faisant appel à un effectif instrumental important (dessus de violons, tailles de
violons, violes de gambe, théorbes, flûtes droites (à bec) et allemandes
(traversières), hautbois, bassons, clavecin et orgue. Chaque
verset était traité de manière imbriquée et continue (1er âge
avant 1683). L'œuvre est donc un tout, sorte de « chœur continu qui s'aère
d'espaces moins brillants (…) fait d'ombres et de lumières » (J.Duron
toujours) Le petit chœur répond au grand chœur, l'œuvre contrapuntique est
d'une grande complexité : de cinq à dix parties réelles ce qui lui donne
cette force et cette densité. Les passages pour solistes sont très courts,
comme s'échappant du petit chœur. Le grand motet fait partie intégrante de la vie de Cour : tous les matins, « on en chante trois, un grand, un petit et un Domine salvum fac regem »
Conclusion « L'art baroque, c'est d'abord l'art de ce qui bouge, de ce qui passe, de ce qui fuit. Il est l'art d'une époque qui préfère le reflet à la chose, qui aime les jeux de miroirs, l'ambigu, la métamorphose, le multiple, le contraste. Le baroque apparaît lorsque la musique cesse de transcrire ce qu'on pourrait appeler le repos de l'âme en harmonie, lorsqu'elle cesse même de vouloir le susciter par le moyen des sons pour tenter, au contraire, de traduire l'émoi, l'insatisfaction, l'agitation de l'âme par des mouvements harmoniques et mélodiques tourmentés, brisés, désagrégés. La beauté n'est plus la seule visée de la musique : c'est l'émotion. » (Catherine Wagner) La musique religieuse française n'y fait pas défaut. Répertoire riche, varié, plein de contrastes et de contradictions. On y retrouve l'amour/haine de l'Italie, la grandeur et le recueillement, le mondain et le spirituel. Temps politique utilisant le religieux dans sa recherche d'indépendance, de légitimité et de gloire, temps musical dans sa recherche d'expression des émotions et de la foi, le Grand Siècle Français fut plus qu'un siècle, une division dû au calendrier julien puis grégorien (on trouve le pouvoir politique et religieux sur le temps), il a été un temps, un temps cohérent et homogène, approximativement le temps d'un règne, d'un monarque, de celui que l'Europe redouta et qu la France idolâtra, de celui qui « au moment où brilla la France la représenta brillamment, et refusa d'en reconnaître l'accablement lorsqu'elle fût accablée; qui soutint son grand rôle, depuis le lever de rideau splendide jusqu'aux sombres scènes du dernier acte, dans un décor de féerie, ces palais bâtis en des lieux inconnus et des terres ingrates (…), ce cortège d'hommes et de femmes déracinés aussi, transplantés là pour figurer le chœur d'une tragédie, si lointaine à nos yeux, déshabitués de ces spectacles et de ces mœurs, qu'elle prend quelque chose du charme et de la grandeur d'une antiquité. » (E.Lavisse)
V.L.N.
Pour aller plus loin :
Discographie choisie (sont donnés dans l'ordre le compositeur, le nom de l'œuvre et les interprètes) Grands motets
On écoutera aussi avec intérêt les œuvres de DUMONT, BROSSARD, CLERAMBAULT, CAMPRA et RAMEAU)
Bibliographie sommaire Sur le XVIIème siècle
Sur la musique religieuse de l'époque
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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