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Corne d’abondance (Monteverdi, Orfeo, Contaldo, Flores, Bridelli, Quintans, Cappella Mediterranea, Alarcon – Alpha)

Claudio Monteverdi
L’Orfeo, favola in musica sur un livret du poète Alessandro Striggio créée à Mantoue le 24 février 1607

Valerio Contaldo, Orfeo
Mariana Florès, Musica, Euridice
Giuseppina Bridelli, La Messagiera
Ana Quintans, Speranza, Proserpina
Alejandro Meerapfel, Plutone
Salvo Vitale, Caronte
Julie Roset, Ninfa
Nicholas Scott, Pastore, Spirito, Eco
Matteo Bellotto, Pastore
Carlo Vistoli, Pastore
Alessandro Giangrande, Pastore, Apollo
Philippe Favette, Spirito

Chœur de chambre de Namur
Cappella Mediterranea

Direction Leonardo García Alarcón

2 CD Alpha Classics, 2021, 106’21

Il y a quelques mois, nous avions avoué notre déception quant à l’Orfeo pourtant très réfléchi d’Emiliano Gonzalez Toro (Naïve). Voici à l’inverse que rien moins que l’or ne se peut envisager face à l’extraordinaire réalisation de Leonardo García Alarcón. Ô combien ingrate est la tâche du critique musical, qui à l’aide d’un lexique limité doit pouvoir traduire la subtilité chatoyante de cet Orfeo entre deux mondes ! Entre le monde des mortels, et celui des Dieux ; entre celui de la Renaissance et ce qui deviendra le baroque. Pont éphémère et magnifique que cette favola in musica de 1607 et sur laquelle on ne s’attardera guère, laissant là nos sempiternelles querelles musicologiques sur l’Euridice de Peri, et autres candidats à la naissance de l’opéra. L’Orfeo est une œuvre unique, un roc, un monument, une péninsule.

Est-ce le reflet du travail de troupe et des tournées de 2017 à 2020 ? Est-ce parce que le chef fut l’assistant de Gabriel Garrido auquel on doit également un Orfeo d’anthologie ? Ce serait chercher la facilité dans des explications téléologiques qui excusent presque la vision cohérente, théâtrale, colorée, pleine de sève et de subtilité de Leonardo García Alarcón. Il s’en expliquera prochainement sur nos pages au cours d’un entretien érudit et nous ne déflorerons donc pas ses « notes d’intention ». Alors disons-le tout net, cet enregistrement se hisse sans conteste parmi ceux qui nous ont le plus marqué depuis le pionnier Harnoncourt et son soin extrême accordé à l’instrumentarium qui variait en fonction des personnages (Teldec), en passant par le virtuose Nigel Rogers chez Jürgen Jürgens (Archiv), l’italianité rutilante de Garrido (K617), l’ascèse épurée de Parrott (Avie)  et l’intimité madrigalesque de Cavina (Glossa). Par sa luxuriance solaire, son continuo omniprésent et abondant mais toujours porteur de sens, son sens des climats et des contrastes, sa rupture brutale entre l’Arcadie de la Renaissance et l’essor du chant monodique, par sa Beauté foisonnante, sa densité exubérante, sa richesse complexe, cet Orfeo laisse à admirer comme à penser.

C’est donc un Orfeo que l’on craint de disséquer, comme si sa magie ne permettrait pas la froideur clinique d’une telle autopsie (car l’on avouera notre désaccord avec Jérôme Lejeune sur l’absence d’usage des sourdines pour la Toccata introductive, point âprement débattu par Harnoncourt en sont temps ; ou notre perplexité sur les lignes de dessus si ornées, ou encore sur l’irruption très visuelle des trombones lors du Prologue de la Musica). Autopsier, c’est penser à un cadavre. Cet Orfeo respire la vie, une vie plus grande que nature, tournée vers l’Amour et la lumière des plaines de Thrace. L’Orphée campé par Valerio Contaldo, d’une confondante humanité, à la déclamation déliée, s’avère plus touchant comme amant heureux puis désespéré qu’en demi-dieu charmeur (le « Possente spirito » quoique bien troussé ne saurait rivaliser avec notre idole Nigel Rogers dans les redoutables passaggi), à l’image de cette Proserpine si sensuelle d’Ana Quintans à la tendre douceur teintée de nostalgie. Giuseppina Bridelli incarne l’aimable Silvia, messagère hésitante puis passionnée qui plonge d’un coup la fable dans l’horreur hivernale avec un talent de conteuse intense, renversant abruptement tout le climat festif et pastoral des deux premiers actes. Dans ce mythe où le chef a fait le choix de personnages de chair et de sang, même le Caron de Salvo Vitale semble plus féroce du fait de l’orgue regale qui l’accompagne et de sa profession de nautonier que par conviction. (Mal)heureusement, le Chœur de chambre de Namur à la précision inflexible est là, consortium hiératique des gardiens de la loi infernale sans laquelle la malédiction finirait en lieto fine

Car on l’aura compris, il y a une sorte de touchante compassion, de chaleureuse complicité tout au long de ce drame, doublée d’une complexité mythologique et musicale que le chef sait distiller touche à touche. On admire son attention permanente au style (balançant entre le madrigalesque – magnifiques Bergers – et théâtralité exacerbée de la Messagiera par exemple), sa manière de multiplier les changements de tempi par section, son sens des couleurs, des textures, des timbres (cornets et viole grainés, cuivres grandioses, cordes pincées perlées, régale nasillard déplaisant…). Et insidieusement l’on s’immerge dans ce tableau aux ramifications renouvelées à chaque écoute, regrettant que le soprano argenté et aérien de Mariana Florès disparaisse si vite dans les ténèbres, ou que l’Apollon digne et noble d’Alessandro Giangrande rappelle trop vite à lui son fils dans un duo virtuose où Leonardo García Alarcón parvient presque à signifier qu’Orphée s’éloigne à contrecœur de sa mélancolie terrienne vers les cieux de son apothéose, avant la Moresca conclusive d’une vivacité féroce. Tout est dit. C’est du grand art, du très grand Art. Indispensable dans toute discothèque.

 

Viet-Linh NGUYEN

 

Technique : captation chaleureuse et équilibrée, très belle attention aux timbres instrumentaux.

Étiquettes : , , , , , , , , , , , Dernière modification: 25 mars 2024
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