Rédigé par 19 h 43 min CDs & DVDs, Critiques

Pétulances obsolètes (Polyphonies chorales à Venise, Tölzer Knabenchor, H-M. Linde – EMI)

On goûte l’incroyable kaléidoscope de couleurs, de textures, l’exotisme général des atmosphères : le cornet à bouquin pincé et acide d’Edward H. Tarr himself (le fondateur du rutilant Edward Tarr Brass Ensemble) s’essoufflent avec panache, les flûtes à bec médiévalisent à qui mieux mieux, de la bombarde, du trombone bedonnant, du dulcian rigolo, la battue, saccadée et peu subtile, ultra convaincue et jouissive, et les chœurs spatialisés du Tolzer qui s’époumonent parfois à la limite du cri.

Polyphonies Chorales À Venise

Salomone Rossi :
Tanzsätze Zu Fünf Stimmen

Orlando Di Lasso :
Hor Che La Nuova E Vaga Primavera

Cesario Gussago :
Sonata « La Leona »


Giovanni Gabrieli :
Canzone

Giovanni Croce :
Dialogo De Chori D`Angeli


Claudio Bramieri :
Canzone « La Foccara »

Orlando Di Lasso :
Trionfo Del Tempo

Tiburtio Massaino :
Canzone Nr. XXXIV

Andrea Gabrieli :
O Passi Sparsi

Giovanni Battista Grillo :
Canzone

Giovanni Gabrieli :
Omnes Gentes

Tölzer Knabenchor
Linde-Consort, direction Hans-Martin Linde
EMI, 1973, reed. 1991, 45’21

« Avec ce genre de pétoire, il est facile de manquer un perdreau,… » (Marcel Pagnol)
De temps à autre, refusant le Diktat de la course aux novelletés, nous prenons sur nos étagères croulantes de vieilles cires et nous délectons des « Thrésors du Sieur Tatave ». Péchés inavouables que ces vieux enregistrements pionniers, si pleins d’approximations, de défauts d’intonations, de verdeur acide. Mais surmonté les limitations (et elles sont nombreuses), on se laisse prendre à leur spontanéité réjouie, à leur décomplexion assumée (un ingénieur du son a osé laisser passer une telle prise ???), à l’enthousiasme du défricheur. 

Janvier 1973, Bürgerbrau à Munich – il s’agit bien de la Bürgerbräukeller du putsch hitlérien du , devenue entre 1958 et sa démolition en 1879 brasserie et salle événementielle – Hans-Martin Linde et ses comparses du Linde-Consort, accompagnés des enfants du Tölzer Knabenchor (qui contribuera avec Harnoncourt à son intégrale des cantates de Bach) enregistrent un florilège de musique vénitienne des XVIème et début du XVIIème siècle : il y a là un peu de tout : du Lassus, du Rossi, du Gabrieli (Giovianni & Andrea), du Giovanni Croce, mais aussi du plus rare Cesario Gussago, Tiburtio Massaino, Claudio Bramieri, de l’instrumental, des motets, un pot-pourri. Etrangement, point de Monteverdi, sans doute trop tardif. 

On goûte immédiatement l’incroyable kaléidoscope de couleurs, de textures, l’exotisme général des atmosphères : le cornet à bouquin pincé et acide d’Edward H. Tarr himself (le fondateur du rutilant Edward Tarr Brass Ensemble) s’essouffle avec panache, les flûtes à bec médiévalisent à qui mieux mieux, autour qui de la bombarde, qui du trombone bedonnant, du dulcian doux et boisé. La battue du chef, saccadée et peu subtile, s’avère ultra convaincue et jouissive, et les chœurs spatialisés du Tolzer s’époumonent parfois à la limite du cri. Selon les morceaux, on passe de la Renaissance au Haut baroque avec une porosité naturelle.

Décrit comme cela, le disque ressemble à une débandade tant ses défauts sont visibles et la justesse très approximative. Et pourtant, on fera notre miel de cette déconfiture si glorieuse, qui rappelle le parfum d’un ailleurs, évocateur et moiré, et le courage de nos baroqueux pionniers à dompter leur instrumentarium.

Et pour ceux qui souhaiteraient une réalisation plus présentable du Linde Consort, on recommandera la superbe et grouillante Pellegrina (toujours de 1973 chez EMI) qui tient encore la route fièrement à côté de la version plus marmoréenne d’Andrew Parrott (Virgin) ou de l’opus lumineux récent de Capriccio Stravagante (Paradizo). Mais cela aurait été moins amusant à chroniquer que cette petite incursion à Saint Marc, aussi brouillonne qu’enlevée.

Amandine Blanchet

Étiquettes : , Dernière modification: 9 novembre 2020
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