Rédigé par 13 h 18 min CDs & DVDs, Critiques

“…Y los sueños, sueños son”

Enfermé dans sa tour, le prince Segismundo rêve-t-il qu’il vit ? La pièce de Don Pedro Calderón de la Barca, créée en 1635 constitue un monument de la littérature. Cela s’explique parce que Calderón semble poser la question existentielle absolue de son temps, que René Descartes développera dans ses Méditations Métaphysiques

Joseph Ruiz Samaniego (? – 1670)

“La vida es sueño…”

[TG name = “Liste des airs”]
Oigan en breve ensalada, Jácara para la Navidad
Sirenas del viento, Villancico a la Virgen del Pilar.
Toccata de ministriles
Que se abrasa Belén, Villancico de Navidad
Tierno manjar, pan divino, Villancico al Sacramento
De esplendor se doran los aires, Villancico a la Virgen del Pilar.
Quien goza el amor, goza lo mejor, Villancico a la Expectación.
Sonoras voces el aire pueblan, Villancico a la Virgen del Pilar
No puedo más, que me voy, Villancico a San Francisco de Asís
Venga norabuena del mar la estrella, Villancico a la Expectación y a la Navidad.

[/TG]

Los Músicos de Su Alteza,
Direction Luis Antonio González.

69’23, Alpha, 2009.  

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Enfermé dans sa tour, le prince Segismundo rêve-t-il qu’il vit ? La pièce de Don Pedro Calderón de la Barca, créée en 1635 constitue un monument de la littérature. Cela s’explique parce que Calderón semble poser la question existentielle absolue de son temps, que René Descartes développera dans ses Méditations Métaphysiques : sommes-nous dans le songe ou bien dans le désespoir absolu de la lucidité ? L’ère Baroque et notamment le Siècle d’Or espagnol semble s’attacher à la devise de l’ambiguïté de l’existence, de la perception entre songe et éveil.

Comment évoquer La Vida es Sueño de Calderón, les magnifiques peintures de Velázquez, de Ribera ou Murillo sans leur chant, les voix qui rendaient les couleurs brillantes. C’est le label Alpha, qui dans son souci de découverte et toujours avec un raffinement digne des œuvres d’art, nous livre ce très beau disque. Le genre du “villancico”, chant liturgique, souvent de Noël, est assez méconnu en France, et ce programme se veut un merveilleux échantillon pour le mieux connaître. Et le miracle opère, éclaire dans les ors anciens des églises la musique du compositeur Joseph Ruiz Samaniego, maître de chapelle irrévérencieux et fougueux de Notre-Dame du Pilar à Saragosse.

On est saisi dès le départ du premier villancico “Oigan en breve ensalada” par la puissance, la consonance profane des vers et de la musique qui nous transportent dans une cérémonie baroque. Le caractère festif de la plupart des pièces et notamment la poésie de certaines telles “Sirenas del viento” aux accents cavalliens ou “Sonoras voces del aire pueblan” brisent le carcan de l’obscurantisme inquisiteur qui caractérise les idées préconçues sur le XVIIème siècle espagnol. Le rythme et la poésie sont constamment présents, nous plongeant dans un climat mixte, entre sacré et profane. L’ensemble nous rappelle La Púrpura de la Rosa de Torrejón et Celos aún del aire matan de Hidalgo, seuls opéras espagnols de l’époque baroque à avoir été recréés dans leur intégralité. Joseph Ruiz Samaniego nous invite dans le songe de la sensualité religieuse, la poésie profane s’élevant en même temps que la fumée des cierges, dans toute sa splendeur.

Célébrons d’emblée l’investissement de l’orchestre Los Músicos de Su Alteza, qui reprennent le flambeau de l’orchestre homonyme du fils bâtard de Philippe IV d’Espagne (1621-1665), Grand Vicaire de Saragosse et patron de Joseph Ruiz Samaniego. Les musiciens rendent avec vivacité et sentiment les couleurs de la partition, virant du rouge de l’ensalada aux contemplatifs airs de l’Expectation. Le chef Luis Antonio González n’hésite pas à jouer du caractère profane de certains airs, rendant avec clarté et cohérence la totalité des villancicos. Les chœurs et les solistes, à la diction parfaite, nous restituent avec brio les textes et la musique, de manière recueillie et majestueuse, mais jamais pompeuse. L’Espagne devient peu à peu une terre de redécouverte peuplée de talents, où la richesse musicale encore pour partie en friche n’attend que d’essaimer.

En définitive, aurions-nous pu rêver mieux pour entamer le début de l’automne qu’un souffle d’air espagnol nimbé d’un rayon de soleil et des parfums nostalgiques de l’Islam dans les églises? Ecoutons et réécoutons sans hésiter ce bijou et laissons-nous porter par la certitude que la vie est un songe quand on écoute de si belles choses.

Pedro-Octavio Diaz

Technique : bonne prise de son, soignée et équilibrée

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 25 mars 2024
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