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Vroum ! (Vivaldi con moto, Carmugnola – Archiv)

A l’opposé de la vision fourmillante et martiale d’Alessis Kossenko (Alpha), ce “Vivaldi con moto” – dont on aurait pu craindre le pire devant un titre à l’humour bon enfant, l’indication “con moto” i.e. avec mouvement, étant prise à la lettre avec une jaquette où l’on voit Carmignola chevauchant son deux-roues – s’avère exemplaire.

Antonio VIVALDI (1678-1741)

“Vivaldi con moto”

Concertos pour violon et orchestre RV 187, RV 232, RV 243, RV 254, RV 28, RV 283

Giuliano Carmignola, violon
Accademia Bizantina
Dir. Ottavio Dantone
76’21, Archiv, 2013.

A l’opposé de la vision fourmillante et martiale d’Alessis Kossenko (Alpha), ce “Vivaldi con moto” – dont on aurait pu craindre le pire devant un titre à l’humour bon enfant, l’indication “con moto” i.e. avec mouvement, étant prise à la lettre avec une jaquette où l’on voit Carmignola chevauchant son deux-roues –  s’avère exemplaire. S’y conjugue une sélection judicieuse de concertos pour violon tardifs au vocabulaire varié et inspiré, une interprétation lumineuse, à la fois précise et naturel, extravertie et énergique sans excès ébouriffants, ou démonstrativité caricaturale, mais avec la marque de Dantone, qui sait sous la grâce riante imprimer un zeste de noirceur en quelques coups de cordes graves nerveusement écrasées. Bien entendu, le succès de cet opus est largement dû à la prestation de Giuliano Carmignola, agile, virtuose et sensible et qui domine l’orchestre pourtant remuant du Maestro de sa ligne claire digne d’un Jacobs (Edgar P. et non René), à la fois poétique et focalisé.

Certains de nos lecteurs, et nous-mêmes, avions parfois été agacés par la perfection trop lisse de Carmignola, dans ses opus vivaldiens précédents en compagnie d’Andrea Marcon (Archiv). L’alliance avec l’Accademia Bizantina nous paraît à ce titre plus satisfaisante, grâce au suspens angoissant que l’orchestre sait imprimer à bon escient et grâce à l’espace de liberté que Dantone laisse dans ses largos confinant aux sentiers de la perdition grâce à un flottement savamment entretenu. Ainsi, après un Allegro initial optimiste et convenu, le Largo du Concerto RV 281 sait faire déferler quelques lourds éclairs avant que le violon solitaire ne se perde en arabesques brumeuses, dans une rêverie murmurante et nacrée, où Carmignola s’abandonne à une mélodie aux doux contours, aquarelle délavée sensuelle et intimiste. Ibidem pour le Largo a non molto du Concerto RV 187, avec sa beau crescendo par paliers, cette progression que scande d’un pas sourd Dantone à la manière d’un Commandeur qui s’apprête à dîner, et déboule presque surpris au sein d’un palais tapissé de roses. Car c’est bien dans ce lyrisme retenu et pudique des mouvements lents que Carmignola séduit le plus, par son discours qui soudain de triomphant se fait humblement souriant, parfois fragile, mais toujours d’une maîtrise technique impeccable. Alors oui, il faut par excès de professionnalisme mentionner les Allegros cavaleur (l’initial du RV 254 rendu plus complexe par quelques passages en imitation et un motif répété très entraînant), élégant et racé (l’initial du RV 243 qui a la particularité d’être joué sans la corde de mi pour le soliste), presque égrillard et mutin (l’Allegro final du même, avec ses archets ébouriffés et tourbillonnants) mais s’il ne faut retenir qu’un mouvement de cette sélection, ce sera le Concerto RV 283, donné en première mondiale, déploiement fastueux et extraverti, d’une virtuosité charmante, débordement brillant et coloré, sautillant, bondissant, joueur et jouissif en quête du mouvement permanent. Le Largo e spiccato, sinueux, d’une douleur renfermée, nuageux et souple acquiert par contraste encore plus de relief, métope coincé entre les triglyphes surornés.

Alors, certes, avouons-le, nous restons d’incorrigibles biondiens de la première époque, celle de son ancien instrument aux aigus plaintifs, plus suggestif que l’archet décidé de Carmignola, mais on ne peut rester de marbre devant ce jeu varié, intelligent et intelligible, démontrant une familiarité et une intimité avec le langage vivaldien tout à fait remarquable, et qui sait dans les passages lents insuffler sous le vernis époustouflant du causeur une humanité plus touchante qu’à l’ordinaire.

Alexandre Barrère

Technique : prise de son claire et incisive, mettant les cordes très en valeur.

Étiquettes : , , , , , , , Dernière modification: 24 juillet 2020
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