Rédigé par 15 h 33 min CDs & DVDs, Critiques

Une exploration magistrale des opéras du Prêtre Roux

Après un récital fort réussi d’airs d’opéras du Prêtre Roux des mezzos Magdalena Kožená (Archiv) ou Vivica Genaux (Virgin), sans compter la controversée Sonia Prina (Naïve) il y a quelques temps, voici un nouveau pendant dans le registre de soprano par Roberta Invernizzi.

Antonio VIVALDI (1678-1741)

Opera arias
Airs d’opéras

[TG name=”Liste des airs”]

Tito Manlio : “Combatta un gentil cor” (Lucio, acte II, scène XI) , “Non ti lusinghi la crudeltade” (Lucio, acte II, scène I), “Fra le procelle del mar turbato” (Lucio, acte II, scène XVIII), “Tu dormi in tante pene” (Servilia, acte III, scène I)
Ottone in villa : “Leggi almeno, tiranna infedele” (Caio, acte II, scène VI), “Gelosia, tu già rendi l’alma mia” (Caio, acte I, scène XI)
Ercole sul Termodonte : “Da due venti un mar turbato” (Ippolita, acte II, scène I)
Dorilla in tempe : “Rete, lacci e strali adopra” (Filindo, acte II, scène IX)
Orlando finto pazzo : “Se garrisce la rondinella” (Ersilla, acte II, scène XIV)
Griselda : “Ombre vane, ingiusti orrori” (Costanza, acte III, scène V), “Dopo un’orrida procella” (Ottone, acte III, scène VI)
La fida ninfa : “Dite, ohimè ? Ditelo, al fine” (Morasto, acte III, scène X)
Il Giustino : “Nacque al bosco e nacque al prato” (Leocasta, acte I, scène VI)
Catone in Utica : “Se mai senti spirarti sul volto” (Cesare, acte II, scène IV)

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Roberta Invernizzi, soprano

[TG name=”Orchestre La Risonanza”]

Trompette : Paolo Bacchin
Cors : Marco Panella, Alessandro Denabian
Violon solo et viole d’amour : Nicholas Robinson
Premiers violons : Silvia Colli, Elena Teo
Seconds violons : Carlo Lazzaroni, Rossella Borsoni, Ulrike Slowik
Viole : Gianni de Rosa
Violoncelle : Caterina Dell’Agnello
Contrebasse : Davide Nava
Archiluth, théorbe et guitare baroque : Craig Marchitelli
Clavecin et direction : Fabio Bonizzoni

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77’25, Glossa, enregistré en octobre 2011 à l’Oratorio di Santa Croce, Mondovi, 2012. [clear]

Après un récital fort réussi d’airs d’opéras du Prêtre Roux des mezzos Magdalena Kožená (Archiv) ou Vivica Genaux (Virgin), sans compter la controversée Sonia Prina (Naïve) il y a quelques temps, voici un nouveau pendant dans le registre de soprano par Roberta Invernizzi. Disons d’emblée que la prestation s’avère très convaincante, malgré la difficulté inhérente à tout récitatif — pour l’orchestre, restituer une atmosphère musicale en phase avec l’aria, et pour la voix démontrer son expressivité en dehors du cours de l’intrigue. Dans l’attente que soit achevée l’édition intégrale des opéras de Vivaldi (en cours chez Naïve), ou en complément de celle-ci, ces récitals nous permettent de savourer des airs choisis du Prêtre Roux, ou d’établir des comparaisons avec les interprétations de cette intégrale, ou d’autres récitals.

Globalement, le timbre généreux et fruité d’Invernizzi, son aisance dans les coloratures et sa complicité avec la direction de Fabio Bonizzoni et les musiciens de La Risonanza font merveille. Tout au plus regrettera t-on un côté exagérément “parfait” et lisse dans la réalisation, qui tend parfois à faire de ces pièces des saynètes aussi magnifiques que désincarnées. De même, si La Risonanza fait montre d’une italianité de bon aloi avec ses tempi rapides, et ses attaques incisives, Fabio Bonizzoni n’a pas l’étoffe d’un Biondi ou d’un Antonini pour insuffler de multiples nuances aux articulations, sculpter les contours et les timbres, et préfère mettre en valeur avec efficacité et enthousiasme la mélodie vivaldienne. Il en résulte une indiscutable franchise et lisibilité, au détriment de la complexité du langage.

Le récital s’ouvre triomphalement sur le “Combatta un gentil cor”, rehaussé de la trompette céleste et flamboyante de Paolo Bacchin. Les ornements se répandent à foison, avec naturel, puis la voix répond à la trompette dans un duo magnifique. Lui succède “Leggi almeno” d’Ottone in villa, où le timbre nacré de la soprano déploie un phrasé délicat et onctueux, culminant dans des ornements aux reflets moirés. Si l’on souhaite comparer cette version à celle de Julia Lezhneva, dans l’intégrale de l’œuvre chez Naïve (où Invernizzi interprétait Tullia), il est difficile d’établir un classement entre ces deux voix, Lezhneva possédant un timbre nettement plus mat mais s’avérant plus dramatiquement convaincante.

À un “Da due venti” d’Ercole sul Termodonte entraînant, presque sautillant, succède un “Non ti lusinghi”, air lent aux cordes frémissantes. La voix à la diction déliée se fait langoureuse, les ornements perlés, pour dialoguer en virtuosité avec le violon… Pour “l’air du chasseur” (“Rete, lacci e strali adora!”), les cordes se font palpitantes, tandis que la voix porte avec énergie le dynamisme du thème. “Se garrisce la rondinella” est baigné de l’atmosphère bucolique des violons qui gazouillent, pour mieux évoquer le chant de l’hirondelle… Pour “Ombre vane”, l’orchestre développe avec maîtrise la montée progressive de l’ostinato pour créer un climat émotionnel puissant : aux scansions des cordes répondent des ornements étirés de douleur, qui versent ensuite dans un presto agit.

L’air de bravoure “Fra le procelle” illustre brillamment l’aisance d’Invernizzi dans les aigus : voix incisive aux coloratures impressionnantes, qui rivalisent avec des cordes agitées. Dans le même registre, on citera aussi le “Dopo un’orrida procella” qui conclut le récital : abordé d’un timbre plus sombre, aux accents des cordes, les ornements nerveux se déploient en une cascade pyrotechnique impressionnante, s’unissant à des cors puissants…

Unique air de La Fida Ninfa dans cet enregistrement, “Dite, ohimé” nous montre une Invernizzi éthérée, abandonnée à une douleur langoureuse, dont la voix se déploie avec majesté, presque sans accompagnement. Dans le même registre, signalons aussi le très beau “Se mai senti”, aérien, où le timbre nacré nous régale d’ornements délicats aux aigus perlés, précieux mais sans afféterie. Le “Nacque al bosco” marque une page rafraîchissante, finement rythmée et ornée. Dans le “Tu dormi in tante pene” de Tito Manlio, c’est une voix pleine de tendresse qui répond aux accents déchirants de la viole d’amour dans un duo inoubliable. Enfin, le “Gelosia, tu già rendi l’alma mia” montre une nouvelle fois l’aisance d’Invernizzi dans les coloratures, qui le disputent à des cordes incisives. Si l’on compare  l’interprétation de ce morceau de bravoure issu d’Ottone in villa à celle de Lezhneva dans l’intégrale déjà citée plus haut, il faut convenir que le timbre plus rond d’Invernizzi, son aisance déconcertante dans les aigus lui apportent un net avantage.

Sur le plan matériel (qui a aussi son importance, si, si !), le CD est inclus dans une belle jaquette cartonnée aux tons rose fanée, avec un livret contenant les notices de Mark Wiggins et Renato Dolcini, traduites en cinq langues (anglais, français, allemand, italien et espagnol), de même que les paroles des airs, et l’indispensable table des plages avec leur durée. Saluons donc la production de Glossa, qui contribue aux côtés de firmes plus connues, à la diffusion du répertoire lyrique foisonnant du Prêtre Roux.

Bruno Maury

Technique : prise de son précise et dynamique

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 11 février 2022
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