Antonio BERTALI (1605-1669)
Concert à la cour des Habsbourg
Sonates pour violon et basse-continue
Heinrich Ignaz Franz Biber (1644 – 1704) : Sonatas n° III et V (1681)
Johann Jakob Froberger (1616 – 1667) : Lamentation sur Ferdinand III
Johann Heinrich Schmelzer (1623 – 1680) : Sonata tertia (U. Fidium)
Johann Jakob Walther (1650 – 1717) : Suite n° 8 (Hortulus Chelicus)
Ensemble Stravaganza :
Domitille Gilonn : violon ; Ronald Martin Alonso: viole de gambe ; Damien Pouvreau: théorbe ; Olivier Salandini: orgue ; Thomas Soltani: clavecin
62’15, Aparté, 2012.
[clear]
Pour son premier disque, l’ensemble Stravaganza n’a pas choisi la facilité, avec cette sélection d’œuvres autrichiennes des cours de Vienne et Kremsier dont la liberté formelle et la virtuosité font les délices des mélomanes. Si il y a quelques dizaines d’année encore ce répertoire paraissait confidentiel, ce n’est désormais plus le cas, et bien des archets ont coulé sous les ponts depuis le Musique à la Cour des Habsbourg du Concentus Musicus Wien et son opus consacré à Schmelzer dès 1969 (Teldec) ou les innombrables incursions des interprètes tels Gunar Letzbor dans les Sonates du Rosaire de Biber. Enfin, on citera les superbes enregistrements d’Andrew Manze et de Romanesca dévolus à Pandolfi, Schmelzer ou Biber, dont le récital Phastasticus explicitement consacré à ce genre particulier de sonates pour violon (Harmonia Mundi), ou encore la tonitruante Musique à la Cour de Kromeriz des Sacqueboutiers (Ambroisie). Ce Concert à la Cour des Habsbourg ne peut ainsi plus prétendre à la découverte d’un répertoire inconnu, tout en s’insérant dans un panel d’œuvres exigeantes, et – avouons-le tout de même – relativement obscur pour le grand public.
Le pari est relevé avec une fluidité lumineuse par les musiciens, sous l’égide du violon éloquent et grainé de Domitille Gilon qui a su rendre les inflexions moirées, les sautes d’humeur, l’incroyable variété d’harmonies de Biber. Dénotant une imparable maîtrise technique indispensable à l’escalade d’un tel monument, la violoniste dresse le portrait fantasque, énergique voire nerveux d’une mélodie décidée et joueuse, espiègle dans les variations, sensuelle dans ces retards et dans les passages lents presque caressants, assumant le timbre un peu aigre de l’instrument dans les aigus ou les doubles cordes écrasées tant que le discours musical demeure lisible et original.
La sonate n°5 de Biber fière et rayonnante, un peu trop brutale dans sa verticalité par moments, laisse heureusement la place à une Sonata Tertia de Schmelzer plus lyrique mais qui ne se départit pas d’une certaine gravité noble due aux articulations raffinée de l’artiste. A ses côtés, le continuo étoffé de Stravaganza comprend un orgue et un clavecin, un théorbe et la viole de Ronald Martin Alonso, cette dernière s’avérant richement ductile et très présente. La captation, bien qu’équilibrée, met cependant trop en avant le violon solo, ce qui relègue les autres musiciens à un accompagnement de qualité mais trop sporadique et indistinct, traversant de temps à autres les nuées comme ces quelques notes égrenées par le théorbe dans la dernière partie de la Sonate n°3 pour violon seul de Biber. Cela est flagrant lorsque l’on compare la Sonata Tertia avec la lecture qu’en offre Manze, où le continuo plus réduit (théorbe et clavecin) se révélait nettement plus foisonnant, avec le clavecin de John Toll inventif voire intrusif, et des combinaisons de textures plus travaillées. Cette relative réserve n’empêche toutefois pas les musiciens de Stravaganza d’envelopper d’un écrin chaleureux et complice le violon de Domitille Gilon, mais lorsque l’on entend la Lamentation en l’honneur de Ferdinand III de Froberger déclamée avec tact et sensibilité par Thomas Soltani, « lentement et avec discrétion », on regrette qu’un tel clavecin, intériorisé et suggestif, n’ait pas été plus à la fête.
Arrive ensuite l’une des Sonates-phare du Rosaire, la Sonata X dite « Crucifixion » (« Jesus, der für uns gekreuzigt worden ist ») qui permet à Domitille Gilon d’affronter l’art de la scordatura et le mysticisme brûlant et sulfureux de cette œuvre à la fois incroyablement violente dans les traits cinglants du départ, et pleine de tristesse nostalgique. On avouera que la lecture élégante et paisible de la violoniste émeut moins que chez Manze ou Letzbor, du fait de contrastes moins audacieux, d’un certain manque de relief et de force qui ôte au cri de douleur et de foi sa crispation et son dolorisme insoutenable. Les doubles croches sont enchaînées avec brio mais peinent à faire sens et à illustrer le martyre du Christ. Il s’agit là sans doute de notre plus grande déception au cours de ce récital
Le belle sonate n°3 pour violon seul de Biber, solaire et hypnotique dans ses variations, d’une limpidité affable, au sourire doux, aux combinaisons instrumentales très fines, démontre le talent de ce jeune ensemble par la grâce frémissante d’une lecture totalement maîtrisée et aboutie, tandis que la Suite n°8 issue du recueil Hortus Chelicus de Walther, apporte une bouffée dansante et rythmée, poétique et alanguie dans son prélude, enlevée et gaillarde dans sa suite de mouvements, à ce fructueux périple à la cour habsbourgeoise.
© Ensemble Stravaganza
Armance d’Esparre
Technique : prise de son aérée avec de beaux timbres, violon très en avant.
Étiquettes : Antonio Bertali, Aparté, Biber, Muse : argent, musique de chambre Dernière modification: 23 novembre 2020