Rédigé par 4 h 12 min Concerts, Critiques

Un sacré défi (Monteverdi, Vêpres, Les Traversées Baroques, Festival de Sarrebourg – 12 juillet 2015)

S’il est des fois des projets fous à réaliser, quelques personnes ont quant à elles aucune crainte à les relever et ce avec brio. Alain Pacquier, Etienne Meyer et Judith Pacquier se sont pris à rêver de doter pour la première fois le Festival international de Musique de Sarrebourg d’une académie d’été, chose faite en ce mois de juillet. Dans le cadre du 28ème festival de Sarrebourg, ces trois « compères », ont porté à bras le corps un magnifique et audacieux projet…

Monteverdi, Vêpres à la Vierge

Etienne Meyer & Les Traversées Baroques
(Chœur et Orchestre de l’Académie d’été)

 

© Festival de Sarrebourg – Juliette Pacquier

© Festival de Sarrebourg – Juliette Pacquier

Claudio MONTEVERDI (1567-1643)
Vespro della Beata Vergine (1610)

Etienne Meyer, direction

Chœur et orchestre de l’Académie d’été des Traversées Baroques:

Sopranos : Laura Adam, Louise Bergossi, Agathe Labadie, Anne Magouët, Aurélie Marjot, Ileana Ortiz, Marie-Sophie Pausé, Valérie Thackeray
Altos: Sophie Leleu, Marin Meyer, Coline Outtrabady, Sophie Toussaint
Ténors: Daniel Armand, Vincent Bouchot, Henri Dété
Richard Holding, Jacques Siefert
Basses: Jérémy Aroles, Guilhem Worms, Denis Hascal, Tim Krause

Violons baroques: Lucas Berton, Stéphanie Erös, Rémi Meyer
Viole de gambe: Catou Pecher
Cornets à bouquin: Elisabeth Champollion, Alma Meyer, Timea Nagui,
Judith Pacquier, Josquin Piguet
Sacqueboutes: Constantin Meyer, Marie Potot, Julien Riboulot
Théorbe: Florent Marie*
Luth: Marin Meyer*
Orgues et clavecin: Adeline Cartier*, Pablo de la Vega*,
Julie Pumir*, Laurent Stewart*
*  Continuo

Dimanche 12 juillet 2015, Eglise Saint Martin de Hoff, dans le cadre du Festival de Sarrebourg

S’il est des fois des projets fous à réaliser, quelques personnes ont quant à elles aucune crainte à les relever et ce avec brio. Alain Pacquier, Etienne Meyer et Judith Pacquier se sont pris à rêver de doter pour la première fois le Festival international de Musique de Sarrebourg d’une académie d’été, chose faite en ce mois de juillet. Dans le cadre du 28ème festival de Sarrebourg, inscrit dans les Rencontres musicales de Saint Ulrich, ces trois « compères », pardonnez-moi cette familiarité, ont porté à bras le corps un magnifique et audacieux projet, celui de monter les Vêpres de la Bienheureuse Vierge Marie de Monteverdi en moins d’une semaine. Trente-huit musiciens et chanteurs, venant de divers horizons parmi lesquels se trouvaient deux très jeunes instrumentistes Rémi et Marin, ont répondu à l’appel lancé.

Pour mémoire, ou pour ceux qui ne le connaîtrait pas encore, Alain Pacquier, journaliste et animateur musical averti, créateur du Festival de Saintes (17) puis celui de Sarrebourg (57), a fondé les Chemins du Baroque ainsi que le label K.617. Il est entre autre l’auteur des Chemins du Baroque dans le Nouveau Monde (Ed. Fayard, 1997). Le Festival international de musique de Sarrebourg est né en 1987 et n’a eu cesse d’évoluer couvrant ainsi la période charnière entre la fin de l’époque baroque et le romantisme naissant à ses débuts, en passant par le riche patrimoine musical baroque d’Amérique latine de 1992 à 2011, pour enfin revenir à la musique baroque de notre chère et vieille Europe sans pour autant enterrer définitivement  les « sons » du Nouveau Monde.

Les Vêpres de la Vierge apparaissent comme l’œuvre la plus importante de Monteverdi au cours des années mantouanes du compositeur. Elles répondent à une savante construction autour de plusieurs textes bibliques utilisés par l’Eglise catholique pour la liturgie de certaines fêtes mariales. Monteverdi y rajoute aux cinq psaumes 109, 112, 121, 126, 147 des concerti sacrés, un hymne “Ave Maris Stella”, le fabuleux texte du magnificat en 12 sections.

Si l’œuvre est en elle-même une succession de richesses, le lieu qui l’accueille l’église Saint Martin de Hoff au clocher roman, n’en est pas moins d’une splendeur à couper le souffle, sans ostentation. Des peintures de belle facture orne le chœur, la croisée du transept et la nef. Remarquons également la présence d’un autel signé des mains de Dominique Labroise, sculpteur sarrebourgeois,  datant du XVIIIe siècle.

Pour servir ce maître de la Musique, Etienne Meyer met toute son énergie et son talent pour diriger Les Traversées Baroques avec un fervent soutien de leur directrice artistique Judith Pacquier. Ces musiciens et chanteurs ont donné de leur personne tant par la chaleur accablante régnant sur la Lorraine que par le travail fourni sans réserve pour faire aboutir ce projet. Ils explorent l’espace de l’âme humaine allant de l’intime, du recueillement à une exubérance « folle » voire monumentale. Dès l’introduction, l’invitatoire “Deus in adjutorium ”, des éléments d’origine profane sont intégrés sans pour autant renier le caractère religieux de l’œuvre. Il sera aisé de reconnaître la toccata en ré majeur tirée de L’Orfeo (1607) monteverdien. Dans cet ensemble vocal et instrumental à géométrie variable répondant  aux besoins de l’œuvre, chaque partie de livret est entièrement développée musicalement et théâtralement. L’exemple le plus abouti est l’écho dans “ l’Audi cœlum”. L’utilisation de l’écho renforce l’aspect de jeu en s’appuyant sur les mots ainsi répétés et l’illusion perçue du divin.

Le ténor Richard Holding, à la voix souple et ronde, dissimulé dans la sacristie, se fait l’écho de son confrère Vincent Bouchot au chaleureux timbre. Les derniers vers de chaque strophe sont prolongés par un écho qui constitue en fait une réponse divine à ce que nous venons d’entendre. C’est ainsi que, pour ne citer que celle-là, la première strophe “Audi, cœlum, verba mea, plena desiderio et perfusa gaudio” – “Ecoute, ciel, mes paroles pleines de désir et inondées de joie” se voit répondre “Audio !” – “J’écoute !”. Le maestro Meyer est en perpétuelle recherche d’expressivité, de contraste et de couleur instrumentale. Cette quête entraîne un dynamisme palpable dans l’auditoire malgré la chaleur.Il implique chaque instrumentiste pour accentuer l’effet dramatique et émotionnel de l’œuvre. Il ose, à raison, « bousculer » le calendrier liturgique pour rendre hommage à Saint Martin, saint patron de l’église qui accueille ce concert, dans les antiennes “Dixerunt Discipulis”, “Oculis ac manibus” et  “O beatum Pontificem”. Les nombreux changements tels que les variations de mesure, les décalages rythmiques rapprochés, les interventions diverses du chœur, sont source de difficultés dans l’exécution de cette partition. Mais la grande maîtrise de ces artistes fait tomber ces obstacles les uns derrière les autres pour le plus grand plaisir de l’auditoire.

De manière générale, le chœur et les solistes sont tout aussi brillants que leurs confrères instrumentistes, au point même d’exceller. Certaines voix solistes usent d’un ornement né du quilisma grégorien consistant à répéter rapidement une même note renforçant ainsi l’exultation. Une originalité – pour l’époque – se trouve à la fin de l’œuvre. En effet, Monteverdi composa deux Magnificat, un à six voix répondant à l’usage de la Prima pratica et l’autre plus riche à sept voix et six instruments s’orientant vers la Seconda pratica. C’est cette seconde version qui sera interprétée lors de ce concert.

Les Vêpres de la Bienheureuse Vierge sont considérées comme une œuvre entre deux époques, la Renaissance et le Baroque. Cependant elles atteignent leur unité globale, véritable passerelle entre tradition et modernité en construisant chaque mouvement sur le traditionnel plain-chant grégorien pour chaque texte, qui devient un cantus firmus dans l’œuvre de Monteverdi. Et au cours de ce concert impliqué et intense, d’une ferveur expressive, les Vêpres ont semblé d’un naturel éloquent assurément remarquable.

 Jean-Stéphane SOURD-DURAND

 

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