Rédigé par 22 h 45 min Concerts, Critiques

Carnets de Festival (2) : De mal en Py : Motets, L’Assemblée | Destins, Petibon, Amarillis (Ambronay, 30 septembre 2023)

L’Assemblée © Bertrand Pichène

Mystères Sacrés

Henri Du Mont (1610-1684)
Symphonie en sol mineur, Credidi

Louis-Nicolas Blondel (16 ??-16 ??)
O Mater Christi, extrait de Douze Motets

Monsieur Astier, Doyen De Bondesir (16 ??-17 ??),
Regina coeli laetare, extrait de Motets à I, II, III voix avec et sans instruments et basse-continue

François Couperin (1668-1733)
O misterium ineffabile, extrait de Elévations et Motets

Marc-Antoine Charpentier (1643-1704)
Motet pour la trinité : O altitudo divitiarum, à 3 voix et basse continue H.319 (issu du tome II des Mélanges autographes)

Louis-Nicolas Blondel
Laudate dominum omnes gentes, extrait des Douze motets

Henri Du Mont
Allemanda gravis cantica sacra, Est secretum

Sébastien De Brossard (1655-1730)
Silentium dormi, extrait du Recueil de petits motets, Le Maignan

Pierre Robert (1655-1730)
Splendor aeternae gloriae

Monsieur Astier, Doyen de Bondesir
Super Flumina Babylonis, extrait de Motets à I, II, III voix, avec et sans instruments et basse-continue

Pierre-César Abeille (1674-1740)
Globes d’airain, miroirs mobiles, à partir du Psaume 148 « Laudate Dominum de Caelis, laudate eum in Exelcis »

Pierre Robert
Memorare dulcissime Jesu

L’Assemblée :
Marielou Jacquard, dessus
Cyril Auvity, taille
Thierry Cartier, basse-taille
Josef Zak, violon
Myriam Rignol, dessus et basse de viole
Alice Coquart, basse de violon
Léa Masson, théorbe
Marie Van Rhijn, clavecin, orgue et direction

Abbatiale d’Ambronay, 30 septembre 2023, 14h30

L’éclosion d’un nouvel ensemble est toujours l’espérance d’un cheminement durable. Certains diraient une promesse de l’aube, le fondement d’une relation que l’on souhaite renforcée au fil des projets. Durer et s’épanouir au fil des découvertes, c’est bien ce que nous pouvons espérer à l’Assemblée, nouvel ensemble dirigé par Marie Van Rhijn, qui allie là ses expériences composites de claveciniste et de cheffe de chant, exercées notamment auprès des Arts Florissants et dont deux enregistrements récents permettront d’agréablement découvrir les facettes multiples de son talent, les Suites pour clavecin de Dieupart et les Stabat Mater de Pergolèse et Vivaldi (dans les deux cas chez Château de Versailles Spectacle, 2022 et 2021).

Associée à un trio vocal composé de Marielou Jacquard, Cyril Auvity et Thierry Cartier, Marie Van Rhijn et l’Assemblée nous emmènent aujourd’hui à la découverte du petit motet français, genre en vogue dans la France de la seconde moitié du XVIIè siècle. Un trio vocal accompagné de manière sensible et intimiste outre de Marie Van Rhijn, des archets de Myriam Rignol & dAlice Coquart et du théorbe perlé de Léa Masson, tout à fait appropriés à la découverte de quelques pages connues ou un peu oubliées du répertoire du petit motet, s’étirant sur plus de six décennies. Rappelons qu’on en chantait quotidiennement un à la Chapelle Royale lors de la messe du Roi depuis Louis XIV au moment de l’élévation  et avant la prière finale du Domine salvum fac Regem.

L’Assemblée © Bertrand Pichène

Le programme débute comme un hommage par la Symphonie en sol mineur de Henry Du Mont (1610-1684), compositeur souvent davantage associé au grand motet. L’Assemblée révèle une composition à la fois dynamique, enlevée, ample et très structurée, qui offre une belle entrée en matière juste avant un enchainement sur un Credidi très représentatif du style de son compositeur. Le reste du concert, savamment composé avec alternance de pièces pour différents effectifs, et en cela toujours stimulant, offrira des détours vers des compositeurs peu souvent joués, à l’exemple de Louis-Nicolas Blondel et du très beau O Mater Christi, ou de Monsieur Astier, Doyen de Bondesir dont les extraits de motets de une à trois voix ravissent par leur douceur, leur chaleur, la précision de l’entremêlement des voix et une souplesse expressive du phrasé que vient renforcer le grain de la viole. C’est également le cas du Silentium dormi de Sébastien de Brossard (1655-1730), extrait de son Recueil de Petits Motets, d’une belle solennité apaisée.

Marielou Jacquard, voix claire et posée, ne dérivant jamais dans l’exaltation, s’avère tout à fait appropriée, même si c’est Cyril Auvity qui charme le plus, emportant sans effets ostentatoires le public d’une voix souveraine (particulièrement dans le sublime O Misterium ineffabile de Couperin), se fondant sans ternir ses comparses dans les passages à plusieurs, chacun de ses passages constituant un moment de grâce.

Thierry Cartier, juvénile basse ne démérite pas, mais permettons-nous de remarquer que sa voix et sa présence manquent un peu de charisme pour atteindre une complète plénitude. Nous aurions aimé un grave plus profond et envoutant, une diction un peu moins académique qui auraient rendu à ces pages d’une beauté souveraine un peu plus de mystère, même si le Silentium dormi de Sébastien de Brossard par Cyril Auvity, subtilement soutenu par la présence du violon de Josef Zaf fait fondre tout esprit critique devant tant de dévotion suspendue.

Au final une vraie réussite pour ce premier concert de l’Assemblée, qui au-delà des quelques réserves émises et d’une aisance sans doute à développer dans l’enchaînement des œuvres s’avère une formation prometteuse que nous prendrons un plaisir certain à suivre.

Patricia Petibon© Bertrand Pichène

Destins de Reines,
Récital Patricia Petibon

The Fairy Queen and the Queen Mary
Henry Purcell (1659-1695)
Extrait de The Fairy Queen
Prélude (acte II) suivi du Prélude (acte IV)
Dance for the Fairies (acte III), First Act tune-jig (acte 1)
Timon of Athens (Z 637)
Curtain tune on a Ground
King Arthur
Symphony, extraite de l’acte V
Ode en l’honneur de l’anniversaire de la Reine Mary (poème de Nahum Tate)
Ground Crown the altar
Aliénor d’Aquitaine : Reine de France et d’Angleterre
Henry Purcell
Pavane Z 752
Chaconne Z 730 (intégrée dans la 7ème pièce de la cantate Tombeau pour Aliénor)
Thierry Escaich (né en 1965), sur un poème d’Olivier Py (né en 1965)
Cantate Tombeau pour Aliénor (création 14 avril 2023)
Ouverture-Premier interlude-Soupir-Théâtre-Deuxième interlude-Dimanche-Troisième interlude-Carpe noctem-Stabat Mater et Pavane-Chaconne (d’après la chaconne de Purcell Z730) et Azur
Agrippine la jeune : impératrice romaine, mère de Néron et sœur de Caligula
Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Concerto pour hautbois en sol mineur HWV 287
Premier et deuxième mouvement, Grave et Allegro,
Agrippine, opéra,
Ogni vento (acte II, scène 20)
Sonate en Trio en sol mineur HWV 404
Troisième mouvement, Adagio.
Cantate Agrippina Condotta a morire HWV 110 (extraits)
Recitativo Ma pria che d’empia
Aria Renda cenere
Arioso et Recitativo Come, O Dio !
Sonate en Trio en sol mineur HWV 404
Deuxième mouvement, Allegro
Agrippina Condotta a morire HWV 110 (1707)
Recitativo Trema l’ingrato figlio
Aria Su, lacerate il seno
Aria Ecco recitativo
Sonate en trio en sol mineur HWV 404
Premier mouvement, Andante

Patricia Petibon, soprano
Ensemble Amarillis
Alice Piérot, violon,
Liv Heym, violon et alto
Atsushi Sakai, viole et violoncelle
Jeanne Jourquin,clavecin
Yula S., percussions
Dabiel de Morais, guitare et théorbe
Héloïse Gaillard, flûtes à bec, hautbois baroque et direction

Abbatiale d’Ambronay, 30 septembre 2023, 20h30

Retournons une année en arrière, au samedi soir du troisième week-end du Festival. Dans une abbatiale refroidie par un automne précoce Christina Pluhar et son Arpeggiata nous avaient emmenés le temps d’une paire d’heures sous le soleil méditerranéen, réchauffant l’atmosphère humide d’Ambronay des rythmes apuliens et grecs. Il y avait notamment un clavecin, un théorbe et un hautbois.

Mais suffit-il d’un clavecin, d’un théorbe et d’un hautbois pour séduire le public d’Ambronay ? Sans doute a-t-il été répondu par l’affirmative au moment d’établir le programme du récital de ce soir, réunissant Patricia Petibon et l’ensemble Amarillis d’Héloïse Gaillard autour de… quoi déjà ?

Le programme s’annonçait prometteur, juxtaposant pièces de Purcell, de Haendel, avec il est vrai la mention d’une œuvre musicale contemporaine de Thierry Escaich au milieu d’elles, sur un poème d’Olivier Py. Comme la promesse d’un récital baroque dans ses multiples sémantiques, mais nous étions prêts à nous laisser conduire.

C’est alors que nous avons assisté à un phénomène rare. Un véritable guet-apens musical ! Omission avait été faite de préciser que la plus grande part de la première partie du concert (une quarantaine de minutes sur cinquante) serait intégralement consacrée à la récitation du poème d’Olivier Py. Après une entame de programme sur quelques pièces instrumentales de Purcell, aux étranges arrangements à base de percussions népalaises, débute le Tombeau pour Aliénor, œuvre crée à Fontevraud en avril dernier. Musicalement Thierry Escaich, qui aime à s’inspirer de la musique baroque (cf. Baroque Song en 2000 ou Trois Motets en 1998) fait partie de ces compositeurs contemporains confondant allègrement dissonances et intériorité, créant une musique aussi joyeuse qu’une confrérie de pénitents s’autoflagellant, qui ne convaincra, mais peut-être existent-ils, que les mélomanes se délectant de leurs otites.

Plus intéressant apparaît le poème d’Olivier Py. Alors que certains poètes, à l’exemple de Baudelaire ou autre Rimbaud, se contentent modestement de nous subjuguer en un sonnet, Olivier Py consent à nous faire profiter de sa plume alexandrine durant…bien plus longtemps ! Dans les années soixante-dix, peut-être las, Léo Ferré nous avait offert quelques albums d’éructations narcissiques au long cours, déversant à nos oreilles sa vision du monde sur fond de violons (Et…basta ! en 73). C’était un style, c’était une époque, mais cela était déjà bien loin de La Mémoire et la Mer. Olivier Py réhabilite le genre, nous offrant un monologue d’une quarantaine de minutes dans lequel Patricia Petibon est réduite au rôle de récitante, vestale d’une vision d’Aliénor d’Aquitaine en Mater Dolorosa. Les vers ne sont jamais abscons (Tout est écrit là-haut dans l’alphabet astral / tout est écrit là-bas dans l’alphabet d’azur), la rime toujours riche et élégante (mère/vers/terre…puis encore vers…). Et quel art dans l’évitement de la boursoufflure autocentrée (Je sourirai pour vous ce soir en m’en allant / un point d’exclamation à ma passion mineure / La musique finie en point d’orgue aveuglant / je veux me retirer dans ma vie intérieure) ! Devant tant de brio, et en l’absence de toute pudeur littéraire, n’hésitons plus pour dire que le texte va de mal en Py !

Patricia Petibon© Bertrand Pichène

Notre indulgence ira vers Patricia Petibon, incarnant avec une sincérité convaincante le texte de Py, texte qui semble même l’habiter au point qu’elle accompagne sa déclamation de gestes amples et de déambulations entre les musiciens. Hélas, ce qui pourrait passer pour de l’incarnation se révèle souvent d’un maniérisme un peu gênant et malgré tous les efforts de la soprane, le public reste perceptiblement figé et rétif, applaudissant la fin de la première partie avec politesse et courtoisie, mais sans aucun entrain.

La seconde partie du concert, fort courte (environ trente-cinq minutes) et consacrée majoritairement à l’Agrippina de Haendel, est encore l’occasion de trop nombreux morceaux instrumentaux pour un récital, même si le Grave et l’Allegro du Concerto pour hautbois en sol mineur HWV 287 sont plaisants à entendre. Patricia Petibon nous gratifiera d’un Ogni vento (Acte II, scène 20) et d’un Renda cenere où la clarté de sa note, la capacité de projection de sa voix impressionnent, laissant au spectateur le goût amer de ce qu’aurait pu être ce concert. Aussi le public d’Ambronay consenti-t-il à un peu plus de chaleur sur les applaudissements de fin de concert, avant de rapidement se disperser dans la nuit d’Ambronay.

Patricia Petibon, au regard de ses dernières prestations, semble s’éloigner du baroque pour explorer d’autres horizons musicaux, s’intéressant notamment à des musiques plus contemporaines. Ce virage est un choix que bien évidemment nous respectons. Mais en se produisant à Ambronay avec un programme composé pour plus de la moitié d’œuvres contemporaines ou instrumentales, elle ne pouvait que décevoir un public qui n’était pas venu pour cela. Autrement dit, Miley Cyrus jouant Flowers à Ambronay, même avec un cornet à bouquin, ce n’est peut-être pas une bonne idée !

Pierre-Damien HOUVILLE

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 18 octobre 2023
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