Rédigé par 20 h 05 min CDs & DVDs, Critiques

Un plaisir calme et apaisé

Charpentier a écrit plusieurs cycles de leçons de ténèbres, à différentes périodes de sa carrière. Les premières étaient très ornementées, dans la plus pure tradition française, cette tradition même qui sera ensuite rejetée par une partie de l’Église, scandalisée de voir que les églises se muaient quasiment en maisons d’opéra pour l’occasion.

Marc-Antoine CHARPENTIER (1643-1704)

Leçons de Ténèbres

[TG name=”Liste des morceaux”]

Offerte pour l’orgue et pour les violons, flûtes et hautbois H. 514
Antienne pour les violons, flûtes et hautbois à quatre parties H. 532
Symphonie en sol mineur à trois flûtes ou trois violons H. H29
Ouvertures pour le sacre d’un évêque H. 536 et 537
Après Confitebor H. 516
Pour plusieurs martyrs, motet à voix seule H. 361
Pour un reposoir (ouverture) H. 523
Offerte non encore exécutée H. 522
Ouverture pour l’église H. 524
Antienne H. 526
Premières leçons du mercredi, jeudi et vendredi saints H. 120, 121 et 122.

[/TG]

Stephan MacLeod, basse
Arte dei Suonatori
Direction Alexis Kossenko

65’40, Alpha 185 / Outhere, 2012.

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Charpentier a écrit plusieurs cycles de leçons de ténèbres, à différentes périodes de sa carrière. Les premières étaient très ornementées, dans la plus pure tradition française, cette tradition même qui sera ensuite rejetée par une partie de l’Église, scandalisée de voir que les églises se muaient quasiment en maisons d’opéra pour l’occasion. Aussi, dans les années 1690, quand il revient au genre, Charpentier adopte un style beaucoup plus sobre. Les trois leçons à une seule voix de basse qui font l’objet du présent enregistrement datent de cette période. On n’y trouvera donc pas de longs mélismes sur les lettres hébraïques qui introduisent souvent les versets. Ici, la plupart du temps, les lettres sont même énoncées à la fin du verset précédent, sur la cadence parfaite.

Par rapport à d’autres cycles, celui-ci — incomplet : il n’en reste que la première leçon de chaque jour — se distingue aussi par une abondante orchestration, faisait intervenir, outre la basse continue, un ensemble de cordes à quatre parties (dessus, haute-contre, taille et basse), des hautbois (peu sollicités, à part dans la troisième leçon) et des flûtes. Il faut cependant remarquer que l’écriture de Charpentier laisse généralement la voix au premier plan, indiquant dans la partition que les instruments jouent avec les sourdines. Il y a également, bien entendu, des ritournelles, mais brèves, si l’on excepte les ouvertures des leçons, un peu plus développées.

C’est peut-être la raison qui a incité Alexis Kossenko à compléter le programme de diverses pièces instrumentales composées, pour la plupart, dans le but d’accompagner la liturgie : pièces pour le sacre d’un évêque, ouverture de l’église, antiennes et offertes sont abondantes dans la production de Charpentier, il n’y avait, en somme, qu’à faire un choix. On ne peut que s’en réjouir, car il s’agit de petites pépites qui montrent d’une part la science extrême de la composition de Charpentier — que ce soit en terme d’harmonie ou de rythme —, d’autre part les qualités de l’ensemble Arte dei Suonatori, que nous ne connaissions pas encore dans ce répertoire, mais plutôt dans un répertoire plus tardifs comme chez C.P.E. Bach ou encore Haendel. Chaque pièce est ciselée avec le plus grand soin, faisant montre d’une texture sonore fine et délicate, où chaque partie trouve sa place. À cet égard, et pour ne citer qu’un exemple, l’ouverture pour l’église H. 524 est particulièrement exemplaire de couleurs et d’articulations.

Ces qualités — que l’on retrouve dans les leçons — ne parviennent cependant pas totalement à faire oublier qu’il ne s’agit que de pièces mises bout à bout alors qu’elles ne sont pas faites, au fond, pour être jouées comme au concert. Elles ne s’enchaînent pas, et l’on peine un peu à s’installer dans l’émotion de l’écoute, puisqu’au bout des deux ou trois minutes que dure chaque piste, on passe à une suivante qui n’a pas lieu de suivre la précédente, et qui la suit de manière artificielle. Au demeurant, le montage ne semble pas avoir tenté d’atténuer cette impression, laissant un abondant silence, et le programme est assumé en tant que construction arbitraire. On aurait pu souhaiter que les pièces instrumentales viennent se placer entre les leçons, qui d’ailleurs sont faites, non pour être jouées à la suite, mais trois jours différents — même si, on le sait, chaque jour faisait se succéder trois leçons.

Sur ces leçons elles-mêmes, on ne peut qu’admirer l’extrême délicatesse et la sobriété absolue avec lesquelles elles sont jouées et chantée. Stephan MacLeod articule clairement de sa voix de basse au timbre chaleureux, il chante avec une sorte de douceur qui évoque le recueillement — douceur que l’on retrouve tout à fait dans l’accompagnement de l’Arte dei Suonatori. Ni la voix, ni les instruments ne se détruisent l’un l’autre, mais se complète en un subtil équilibre qui n’est mis à mal à aucun moment. Aucun effet, ni chef l’Arte dei Suonatori, ni chez Stephan MacLeod, n’est appuyé, et encore moins outré.

S’il était un reproche que l’on pourrait faire à cet enregistrement, ce serait justement le manque d’expression extra-musicales. Tout cela semble une construction strictement musicale, certes sensible, mais un peu abstraite par moments. Cela correspond cependant bien à cette retenue que l’on souhaitait remettre en place dans les lieux de culte en cette fin de XVIIe siècle, mais qui, peut-être — nous n’en parlons qu’au conditionnel —, peut effaroucher un peu l’auditeur d’aujourd’hui.

Qu’importe, au fond. Si le disque n’est peut-être pas fait pour s’écouter tout d’une traite, une interprétation de cette qualité, et de cette constance de qualité, se réécoutera au moins avec intérêt, et sans doute avec plaisir — un plaisir calme et apaisé.

Loïc Chahine

Technique : captation chaleureuse dotée de beaux timbres.

Étiquettes : , , , , , , , , Dernière modification: 25 mars 2024
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