Rédigé par 11 h 53 min Concerts, Critiques

Reflet dans une ouïe d’or ! (Desmarest, Charpentier, Te Deum en miroir, Les Surprises – Louvre, 1er février 2023)

“Tibi cherubim et seraphim, incessabili voce proclamant”

Cour carrée du Louvre à la pleine lune © Muse Baroque, 2019

“Te Deum en Miroir”

Marc-Antoine CHARPENTIER (1643-1704)
Te Deum H 146

Henry DESMAREST (1661-1741)
Te Deum de Lyon, Usquequo Domine de Lyon (inédits)

Eugénie Lefebvre, soprano
Jehanne Amzal, soprano
Clément Debieuvre, taille
François-Olivier Jean, taille
François Joron, basse
Etienne Bazola, basse
Jean-Christophe Lanièce, basse

Ensemble les Surprises

Direction Louis-Noël Bestion de Camboulas
Auditorium Michel Laclotte, Musée du Louvre, mercredi 1er février 2023.

Retrouver Les Surprises maîtres de leur art n’en est pas vraiment une et si la dernière prestation de l’ensemble à laquelle nous avions assisté (Salon Mozart, en octobre dernier) nous avait semblé un peu sage, c’est le cœur plein d’allant que nous abordons le double programme de ce soir, proposant en miroir deux glorieux Te Deum ayant inspirés tant de compositeurs. Notre intérêt était d’autant plus vif, qu’au célèbre et rebattu H 146 de  Charpentier est associé celui inédit de Desmarest. Pour être précis, il s’agit de son Te Deum dit “de Lyon”, oeuvre de sa maturité composée lors de son exil lorrain vraisemblablement vers 1707, à différencier de celui de sa jeunesse dit “de Paris”.

Une telle association d’œuvres à la renommée si éloignée aurait pu conduire à éclipser de nouveau Desmarest dans les limbes. D’ailleurs peut-on encore être surpris si le H 146 de Charpentier au Prélude usé par l’Eurovision, a fait oublier les trois autres Te Deum moins rutilants qui nous sont parvenus de sa plume (sur six composés) ?

L’habileté des Surprises a été d’aborder ces deux œuvres un véritable diptyque, soulignant les parentés, mettant en exergue leurs spécificité d’écriture. Ouvrir le programme par le Te Deum de Charpentier n’était pas le plus évident. Il fallait l’audace et la maîtrise de Louis-Noël Bestion de Camboulas pour ainsi oser en dépouiller les premières mesures de leur martiale pompe et en offrir une interprétation brillante de légèreté et de relief, dans laquelle la trompette baroque (mais non naturelle) et les timbales (Manon Duchemann) accompagnent et soulignent les chœurs sans les couvrir. L’interprétation s’avère d’entrée souple et fluide, mêlant harmonieusement un chœur à la franche énergie et un orchestre nerveux et propice à l’expression de toutes les individualités.

Le texte du Te Deum, que nous devons dans sa dernière version liturgique à Nicétas de Rémésiana (mort vers 414), est pour Charpentier l’occasion d’un déploiement de variations pour chœur et solistes que l’orchestre appuie avec une souveraineté impressionnante et une noble fluidité lumineuse. Introduisant les airs pour solistes de sa voix de basse, Etienne Bazola semble un peu en retrait dans les premières mesures mais gagnera vite en ampleur et en profondeur, s’imposant avec une délicatesse chaude et bienvenue dans les quelques airs en duo que lui réserve ce programme. Charpentier dans ce Te Deum expose la palette de son talent, conjuguant airs pour solistes et en duo sans jamais s’affranchir d’une solennité certaine, comme un apanage de ses fonctions, composant cette œuvre au moment où Maître de musique à Louis le Grand puis à Saint-Louis des Jésuites (Paris 4ème), il gravissait les échelons d’un cursus honorum devant le mener quelques années plus tard aux fonctions similaires à la Sainte Chapelle du Palais. Un Te Deum magnifiquement exécuté donc, comme une redécouverte de sa grâce et de ses grandes qualités musicales, maître-étalon du genre.

C’est justement à la comparaison qu’invite la découverte du Te Deum de Desmarest, exécuté après une rapide transition par un autre air sacré du même compositeur, le Usquequo Domine, enregistré précédemment par les Arts Florissants (Erato), musicalement dispensable, mais permettant au passage à la soprane Eugénie Lefebvre de faire la démonstration de la fraicheur et de la précision de sa voix, remarquée mais pas tout à fait révélée chez Charpentier.

Henry Desmarest (1661-1741), parfois ramené au rang d’habile continuateur de Lully, dont il fut élève durant sa jeunesse, pâtit surtout d’une carrière entravée par son exil lorrain et une réhabilitation tardive, cet épisode l’empêchant de gravir plus surement les échelons vers les plus hautes fonctions. Veuf à trente-cinq ans de sa première épouse, Henry Desmarest jeta en effet son dévolu, réciproque, sur une jeune noble de dix-neuf ans, dont le père médecin personnel de Gaston d’Orléans (troisième fils de Henry IV) ne valida pas l’idylle, poursuivant en justice le compositeur, obligé de fuir et condamné par contumace à voir sa carrière réduite au rôle de métronome au bout d’une corde s’il revenait dans le royaume. Après un passage par le royaume d’Espagne, la carrière de Desmarest devait se poursuivre à la cour du Duc de Lorraine, Léopold 1er, avant une réhabilitation tardive, en 1720, soit après la mort de Louis XIV qui refusa à plusieurs reprises sa grâce.

Ne cherchez pas dans la carrière de Desmarest un quelconque épisode lyonnais durant lequel il aurait composé l’œuvre présentée ce soir, cette épiclèse ayant pour simple origine la bibliothèque où fut retrouvée la partition, nombre de ses compositions ayant suivit un parcours chaotique, reflet des pérégrinations du compositeur. Ce deuxième Te Deum du compositeur est indéniablement l’œuvre de la maturité sereine. Si Desmarest ne rechigne pas à utiliser trompette et timbales à l’exemple de Charpentier, il le fait sans ostentation, ni grandiloquence. Sa musique apaisée, presque entièrement dévolue à servir les voix, joue d’exquises juxtapositions et d’enchanteurs entremêlements que les Surprises dévoilent avec une finesse d’orfèvre. L’oeuvre nous semble finalement moins le miroir de celle de Charpentier qu’une lyrique et poétique envolée du talentueux disciple d’Henry Du Mont, alors que Desmarest était jeune page à la Chapelle Royale. Clément Debieuvre (déjà repéré lors de l’exécution du Requiem de Jean Gilles à la Chapelle Royale en décembre dernier), apporte sa présence assurée, à laquelle répond la tempérance limpide de Jehanne Amzal. Si ce Te Deum se caractérise par une place relativement importante laissée aux voix de basse stables et grainées (François Joron, Etienne Bazola et Jean-Christophe Lanièce), soulignons également la pureté mélodique dont fait preuve le compositeur, qui sublime souvent sa partition d’un simple trait de flûte ou de viole de gambe pour souligner la voix, insufflant une rythmique scandées par des chœurs aériens.

Cette mise en miroir des deux Te Deum s’avère donc une réelle réussite, révélant à la fois la proximité des ensembles et effectifs utilisés, tout en soulignant deux appropriations personnelles de l’œuvre, comme deux affirmations des styles respectifs de leurs compositeurs.

Louis-Noël Bestion de Camboulas et l’Ensemble Les Surprises ont gravé l’œuvre, qui devrait prochainement s’ajouter à une discographie déjà riche en redécouvertes. Notons également que le présent concert à bénéficié d’une captation et que sa diffusion est à guetter dans les prochaines semaines dans la programmation du Concert de 20h sur France Musique.

 

                                                                                              Pierre-Damien HOUVILLE

 

 

 

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