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Le travail de la jeunesse (Salon Mozart, Perbost, Mauillon, Les Surprises, Bestion de Camboulas – Cité de la Musique, 5 octobre 2022)

“Le travail de la jeunesse fait le bonheur de la vieillesse”
(proverbe grec antique)

Marie Perbost © Pauline Darley

“Salon Mozart”

Wolfgang Amadeus Mozart 
Kirchenlieder “O Gottes lamm”
Ariettes “Was frag’ ich” et “Komm liebe Zither”
Solfeggio
Sonate d’église
Ariettes “Oiseaux, si tous les ans” et “Dans un bois solitaire”

Joseph Haydn
Flötenuhrstücke Hob. XIX (extraits)

Carl Philipp Emanuel Bach
Fantaisie “Hamlet”

Marie Perbost (Soprano)
Marc Mauillon (Baryton)

Ensemble les Surprises :
Marie Rouquié (Violon)
Gabriel Grosbard (Violon)
Julien Hainsworth (Violoncelle)
Marie-Amélie Clément (Contrebasse)
Louis-Noël Bestion de Camboulas (Piano, Orgue et Clavecin)

Amphithéâtre de la Cité de la Musique, concert du mercredi 5 octobre 2022.

L’amphithéâtre de la Cité de la Musique, avec son orgue baroque de Jean-François Dupont (1994) sert ce soir de cadre chaleureux à l’interprétation de quelques pages peu connues de Mozart par Les Surprises. Le programme de ce soir offre l’occasion d’entendre dans un choix sobrement intitulé Salon Mozart une quinzaine de courtes pièces du Divin, agrémentées de quelques incursions chez ses contemporains, notamment Carl Philipp Emanuel Bach pour une très agréable fantaisie sur le thème de Hamlet justement dénommée Sein, oder Nichtsein (Être ou ne pas être).

On le sait, Mozart fut très jeune un esprit hautement perméable à son environnement musical, absorbant pour mieux les intégrer et les retransposer les styles, techniques et méthodes des plus illustres de ses contemporains, répondant ensuite autant par nécessité que par goût de l’apprentissage aux multiples sollicitations qui lui sont faites, dans les domaines les plus variés de la composition. Ce sont donc principalement de courtes œuvres de jeunesse qui nous sont présentées ce soir, dont nombre de sonates d’église composées surtout dans la seconde moitié des années 1770, alors que le jeune compositeur est attaché à la cour de l’Archevêque-électeur de Salzbourg. La majorité de ces sonates adopte la forme de sonates en trio, pour deux parties de violon et basse, le soutien harmonique à l’orgue venant étoffer dans les églises abritant leur exécution la texture harmonique de l’ensemble.

Les Surprises, dans une formation à cinq musiciens, ont fait l’impasse sur les parties cuivrées (trompettes et timbales notamment) qui secondent dans la partition originale la sonate K 278 (composée en 1777). D’où peut être cette impression que les musiciens peinent un peu en ce début de concert à contrebalancer la puissance de l’orgue actionné vigoureusement par Louis Noël Bestion de Camboulas, qui a tendance à profiter de la belle acoustique de la salle et à envahir l’espace sonore, au détriment des solistes. Il n’empêche que nous y découvrons un Mozart se jouant déjà de certaines conventions, ne réexploitant le motif principal de la composition que lors de la conclusion de la pièce.

La K 328 réveille quelque peu le public de l’amphithéâtre : on goûte ce beau récital de cordes débordantes, pleines d’euphorie. Gabriel Grosbard et Marie Rouquié y font preuve d’une belle dextérité, les attaques nerveuses et appuyées (un peu trop ?) et un élan contrasté laissent entrevoir un équilibre propice à l’expression à venir de la complexité mozartienne.

Mais plus que dans ces sonates, le talent émergeant mais déjà assuré du jeune Mozart transparait dans les courtes pièces vocales. L’air Oiseaux si tous les ans (K 307), composé à l’intention de la jeune soprano Elisabeth Augusta Wendling, alors que Mozart séjourne à Mannheim, permet à Marie Perbost d’exprimer toute l’étendue de sa voix, timbre clair et scansion posée, et la chanteuse se glissant dans le velours de cette partition intimiste, parvient pour notre plus grand plaisir à faire de ce court air une véritable petite aventure amoureuse. Un équilibre parfaitement maîtrisé que l’on retrouvera en fin de programme dans l’air Dans un bois solitaire et sombre (K 308). Et c’est dans le Solfeggio (K 393), qu’elle finira de nous éblouir. Mozart compose cet air comme un exercice pour son épouse Constance Weber en 1782, y cumulant les difficultés, trilles, changements brusques de registre et longues lignes liées. Une trame que Mozart reprendra sans pratiquement y toucher dans le Christe eleison de sa grande messe en Ut mineur (K 427), sans aucun doute le moment fort de ce concert.

Le baryton Marc Mauillon, dans les quelques airs qui lui sont dévolus, fait preuve d’une justesse naturelle, d’une simplissime proximité, jouant d’une voix protéiforme et singulière lui permettant de servir des œuvres mettant tout à fait en valeur les qualités vocales dont il fait preuve depuis maintenant plusieurs années.

Ajoutons enfin qu’en digne maître de cérémonie Louis-Noël Bestion de Camboulas excelle à présenter les œuvres jouées, de même que les instruments présents sur le plateau et issus des collections du musée, à l’exemple de ce rarissime piano à queue des Frères Gräbner (Dresde, 1791) au son léger mais bien présent, ou encore de cet exceptionnel clavecin Hemsch (Paris, 1761) à la décoration exceptionnelle, peinture noire et bande dorées, pourtours des claviers et table d’harmonie en rouge, motifs rocailles de faune et flore. Voilà un concert pour connaisseurs, agréable de bout en bout et riche des jolies découvertes d’un grand compositeur encore petit mais décidément charmant.

Une partie des œuvres présentées lors du concert sont à retrouver dans un disque intitulé “Unexpected Mozart” à paraître prochainement chez Harmonia Mundi.

 

                                                           Pierre-Damien HOUVILLE

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 16 octobre 2022
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