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Etre ou ne pas être harmonique

L’Estro armonico… Une énigme et un mythe. Pourquoi le bien établi éditeur Estienne Roger d’Amsterdam accepta t-il d’éditer à sa charge des concertos pour violon d’un jeune compositeur italien inconnu, 200 pages de superbe musique gravée, en 1711, répartie en 12 concertos, au nombre de solistes décroissant de 4 à un seul…

Antonio VIVALDI (1678-1741)

L’Estro Armonico – Libro Secondo

Pablo Valetti, premier violon & Konzertmeister
David Plantier, Mauro Lopes Ferreira, Nicholas Robinson, violons
Petr Skalka, violoncelle solo

Café Zimmermann

75’30, Outhere, 2013.[clear]

L’Estro armonico… Une énigme et un mythe. Pourquoi le bien établi éditeur Estienne Roger d’Amsterdam accepta t-il d’éditer à sa charge des concertos pour violon d’un jeune compositeur italien inconnu, 200 pages de superbe musique gravée, en 1711, répartie en 12 concertos, au nombre de solistes décroissant de 4 à un seul, à la structure tantôt encore respectueuse des anciens concertos grossos et tantôt novatrice ? Un mythe car dès sa parution le recueil fut très remarqué et connut une diffusion rapide en Europe. Bach ne s’y trompa pas, et Forkel dit de ce dernier dans sa biographie que ces “admirables compositions (…) avaient été pour lui le guide nécessaire”. Sans aller jusque là, on relèvera simplement que le maître ne dédaigna pas de transcrire et d’adapter les concertos 3, 8, 11 et 12 pour clavier. Est-ce pour cela que Café Zimmermann, après avoir achevé leur intégrale des œuvres orchestrales du Cantor, lorgne désormais du côté de la lagune ? Quoiqu’il en soit, il fallait être intrépide pour affronter un monument discographique : l’intégrale de référence d’Europa Galante et de Fabio Biondi parue chez Virgin en 1998, d’une virtuosité solaire, multipliant les contrastes et les couleurs, ébouriffant l’auditeur dans un kaléidoscope d’un lyrisme poignant, d’une italianité à fleur de peau, d’une énergie et d’une excentricité sans pareilles. D’aucuns ont d’ailleurs été choqués par les libertés de l’artiste, par l’accumulation d’accélérations et de coups d’arrêt, la dynamique surjouée.

Justement, comparée à ses illustres devanciers la lecture de Café Zimmermann se révèle plus intériorisée dans son contrepoint, plus équilibrée dans ses tempi, d’une élégance et d’une vivacité remarquables, alliance entre les Anciens et le temps d’un Vivaldi plus classicisant digne d’un Hogwood ou d’un Pinnock, et les Modernes déchaînements de nos confrères transalpins. Le violon de Pablo Valetti, lumineux et assertif, très racé, le violoncelle boulimique de Pietr Skalka redoutable et sensible se détachent avec clarté, les départs s’avèrent d’une précision d’horlogers. Ecoutons ce premier Allegro joueur et riant du concerto n°7, où les quatre violons se répondent avec complicité, laissant les tutti de l’orchestre derrière eux. Oublions le temps dans le flottement nacré du Larghetto du concerto n°9 ou du Largo du n°12, où Pablo Valetti se perd dans les brumes d’une pensée rêveuse à laquelle il accroche quelques ornements perlés délicatement sentis. Et que dire du mouvement initial si célèbre du 10ème concerto pour quatre violons, incisif et fourmillant, ou de la balance bien ajustée entre soli et tutti ? Rien car la messe est dite.

On ne pourra pas passer sous silence deux intrus qui se sont glissés parmi l’Estro. Le premier est le concerto pour violoncelle RV 414, à l’Allegro survitaminé et carré, qui permet à Pietr Skalka de faire montre de son coup d’archet décidé, et de son art de gérer les harmoniques et les textures. Le second est un rare concerto pour violon et violoncelle RV 544 où les deux membres de la famille s’affrontent en une amicale et virtuose joute à archets mouchetés. Et l’on avouera au fil des repons que notre préférence ira au violoncelle plus chaleureux que son aîné, plus varié dans ses intonations également.

On déplorera cependant dans l’ensemble quelques passages un peu moins convaincants dans les mouvements vifs, où les doubles croches s’empilent parfois avec une régularité trop lisse, comme autant de mesures obligées où le souffle de la conviction vient soudain à manquer souvent au niveau des attaques moins brutales que chez les italiens (dernier Allegro du concerto n°10, alors que l’Allegro initial du n°20 suivant est à l’inverse fier et robuste). Il y a également cette basse parfois trop peu présente (la faute à la captation qui ne favorise pas la contrebasse de Ludek Brany ou le clavecin trop discret de Céline Frisch ?), qui n’ancre pas assez les envols violonistiques. Mais ces baisses de régimes sont rares, et ce premier volume en appelle un second, avec le Libro Primo. A enregistrer au plus vite.

Sébastien Holzbauer

Technique : prise de son chaleureuse, très beaux timbres pour les solistes, basse continue en retrait.

Étiquettes : , , , , , Dernière modification: 25 novembre 2020
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