Rédigé par 16 h 58 min Concerts, Critiques

Demi-lune et boulets (Louis XIV, Turenne & d’Artagnan, Bozonnet, Baumont, Le Concert de la Loge, Invalides – 7 mars 2022)

“Alors elle se releva d’elle-même, jeta autour d’elle un de ces regard clairs qui semblaient jaillir d’un œil de flamme. Elle ne vit rien. Elle écouta et n’entendit rien. Elle n’avait autour d’elle que des ennemis. – Où vais-je mourir? dit-elle. – Sur l’autre rive, répondit le bourreau.” (Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires)

© Muse Baroque, 2022

“Louis XIV, Turenne & d’Artagnan”
Jean-Baptiste Lully : Marche du Régiment du Roy (1670)
Jan Peter Sweelinck, Pavana Lachrimae pour clavecin
Michel Corrette : Marche des Mousquetaires & 2 variations en ré majeur
Pablo Bruna : Batalla de 6. tono
M de Sainte-Colombe : Les Pleurs
Johann Heinrich Schmelzer, Sonate en trio en fa majeur
Jean-François Dandrieu : Les Caractères de la Guerre
Marin Marais : Chaconne en do majeur

Florilège de textes extraits des Mémoires de Saint-Simon, des Mémoires de Monsieur d’Artagnan de Courtilz de Sandras, du Véritable d’Aragnan de Charles Samaran, de L’Histoire de Turenne de Just-Jean-Étienne Roy, de la Galerie de l’ancienne cour, des Réflexions sur le métier de Roy de Louis XIV.

Marcel Bozonnet, récitant

Les Solistes du Concert de la Loge :
Tamy Troman, violon
Pierre-Eric Nimylowycz, violon
Louise Pierrard, basse de viole

Olivier Baumont, clavecin et conception du spectacle

Lundi 7 mars 2022, Salle Turenne, Hôtel des Invalides, Musée de l’Armée, à l’occasion du 350ème anniversaire de la guerre de Hollande.

C’est dans la salle Turenne, sous les peintures murales restaurées à la vivacité naïve et colorée représentant des épisodes de la Guerre de Hollande – loin de valoir celles de la Salle François Ier (ancien réfectoire peint à fresque par Joseph Parrocel) – que s’est regroupé le mince escadron sous la houlette d’Olivier Baumont et avec un trio de mousquetaires du Concert de la Loge pour un concert hommage. Hommage à qui et quoi ? Hélas l’on craint qu’Olivier Baumont ait trop embrassé et mal étreint : son ambitieuse rétrospective aurait dû durer bien plus longtemps, à la manière d’un beau livre-disque savallien pour couvrir à la fois “la guerre” en introduction, la tragique mort de D’Artagnan au siège de Maastricht en 1673, le non moins tragique boulet qui occis Turennes lors de l’escarmouche de Sinsheim, et enfin la Paix de Nimègue. La suite pour clavecin de Champion de Chambonnières annoncée au programme a été escamotée, de même que la participation de Julien Chauvin. Alors, en à peine une heure et quart, c’est à une chevauchée sauvage que nous convie le musicologue claveciniste, convoquant trop brefs interludes musicaux, et trop brèves lectures d’un ensemble hétéroclite de contemporains ou d’historiens. L’on regrette un peu ce qui finit par ressembler à une ébauche trop fragmentée, et qui s’avère souvent frustrante et peu contextualisée. La voix vibrante, grave, posée, superbement théâtrale de Marcel Bozonnet n’a pas le temps de s’épanouir pleinement dans des extraits à la fois succincts, et la plupart du temps assez secs d’opérations militaires. Et quitte à ne pas choisir seulement des passages de contemporains, l’on se dit qu’Alexandre Dumas aurait eu toute sa place (comme dans l’opus d’Hugo Reyne chez Calliope), et qu’on aurait également pu insérer davantage de médisances saint-simoniennes, et de cavalcades cyniques de Courtilz  de Sandras (quoique la réputation de séducteur sans vergogne de D’Artagnan aurait été dévastatrice).

Du côté de la musique, le florilège est un peu désordonné, en termes de genres, d’époque et de styles nationaux. Les 2 violons, basse de viole et clavecin sont bien maigrelets pour évoquer les fastes de la Grande Ecurie. La marche de Lully manque d’homogénéité et d’éclat, en dépit de la viole solaire de Louise Pierrard, qu’on retrouvera mise en exergue dans des Pleurs de Monsieur de Sainte Colombe appliquées et pudiques. Olivier Baumont fait montre d’un noble naturel dans la Pavana Lachrimae de Sweelinck sur le célèbre Lachrimae de Dowland, d’une sûreté dans les variations, d’une netteté dans les articulations qui rend d’autant plus dommage que le programme ne lui consacre pas un nombre de pièces de clavecin plus fourni. A l’inverse, le violon de Tamy Troman a accusé de sérieux problèmes d’intonations pendant tout le concert, souvent mal coordonné avec celui plus doux et souple de Pierre-Eric Nimylowycz. Il en résulte une marche des mousquetaires de Corrette qui manque singulièrement de relief, et un contrepoint stagnant dans la première partie de la très belle Batalla de 6e tono de Pablo Bruna (1611-1679). La sonate en trio de Schmelzer, plus vive et déliée, les Caractères de la Danse de Dandrieu rustiques et joyeusement braillards laissent augurer d’un élan nouveau mais la représentation se conclut déjà avec la chaconne en do majeur de Marais issue de ses Pièces en trio, et rappelant fortement Lully ; une chaconne trop pressée, déséquilibrée dans les aigus, raccourcie de ses innombrables couplets (il y a normalement 20 paires de couplets en majeur, 36 en mineur puis 26 majeur, mais cette diversité structurelle appelle des combinaisons de timbres pour en atténuer la longueur) ce qui la prive de son ampleur de somnambule. Les applaudissements fusent. A quand la version longue ?

 

 

Viet-Linh Nguyen

 

 

 

 

Étiquettes : , , , , , , , , Dernière modification: 10 avril 2022
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