Rédigé par 21 h 59 min CDs & DVDs, Critiques

Que Viva Mexico ! (Vêpres de Saint-Jacques, Nouvelle-Espagne, Vox Cantoris, Caudau – Psalmus)

Vêpres de Saint-Jacques en Nouvelle-Espagne (XVIème– XVIIIème siècles).

Francisco Correa de Arauxo (1586-1654), Tiento II, Orgue.
Anonyme, Deus in adjutorium
Francisco Guerrero (1528-1599), Psaume 109, Dixit Dominum.
Psaume 110, Confiteor tibi Domine
Fray Jacinto, Psaume 111, Beatus vir,
Psaume 112 Laudate pueri Dominum.
Anonyme, Psaume 115, Laudate Dominum
Anonyme, Hymnus, Defensor almae Hispaniae
Cristobal de Morales (1500-1553), Magnificat sexti toni
Antonio de Cabezon (1510-1570), Versos del sexto tono
Anonymus, Benedicamus Domenico

Ensemble Vox Cantoris :
Héléna Bregar, Alice Duport-Percier, Iliena Ortiz, Marie Theoleyre, Clara Pertuy, Axelle Verner, Jean-Christophe Candau, Damien Rivière, Christophe Gautier, Jean-Marc Vié, Isaure Lavergne.
Anne-Marie Blondel, orgue historique de Buenafuente del Sistal (1768) miraculeusement sauvé, reinstallé à l’église de Fresnes et inauguré en 2015
Direction Jean-Cristophe Candau

1 CD digipack,  Psalmus, 2021, 64’30.

Trop rares sont les occasions dans la mélomanie baroque de s’offrir une escapade outre-Atlantique à la manière des voyages des Garrido et Malgoire ! Aussi ne boudons pas notre plaisir à l’écoute de ces Vêpres de Nouvelle-Espagne, issues d’un recueil provenant du couvent de l’Incarnation de Mexico. L’ensemble Vox Cantoris et son chef Jean-Christophe Candau proposent avec cet enregistrement un prolongement pour le moins naturel aux Trésors des Couvents en Nouvelle-Espagne, paru en 2018 et dévoilant pour la première fois au public six livres de polyphonies, retrouvés dans un étonnant état de conservation à la Newberry Library de Chicago. Le présent enregistrement constitue l’interprétation d’un septième volume de chants, dont le manuscrit provient du couvent du Carmen de Mexico, seul témoignage connu de plain-chant de ce côté de l’atlantique, à entendre comme dénué d’accompagnement musical, les œuvres présentées s’inscrivant indéniablement dans un style polyphonique plutôt sévère.

Terre de conquêtes coloniales, la Nouvelle-Espagne, dont les limites géographiques seront pour le moins fluctuantes entre le seizième et le dix-neuvième siècle, et qu’il serait trop réducteur de simplement rapprocher de l’actuel Mexique, ne fut pas une terre de rayonnement musical, peinant en ces contrées de marges à développer une vie culturelle totalement autonome. Pour autant, les conquêtes territoriales s’accompagnant de l’implantation du catholicisme, les couvents ne tardèrent pas à s’implanter, dans lesquels s’épanouit le chant religieux. Fondé au quinzième siècle, l’Ordre de l’Immaculée Conception ne tarde pas à trouver dans ces terres de Nouvelle-Espagne un territoire propice à l’expansion de l’Ordre et plusieurs couvents sont fondés à la suite de l’arrivée de Hernan Cortès, notamment à Veracruz et Mexico. Dès 1540 un premier couvent est fondé, et ce n’est pas moins de treize lieux qui abriteront les moniales au milieu du dix-septième siècle, chargés d’évangéliser et d’éduquer aussi bien les filles de colons espagnols que celles de ces terres nouvelles.

Selon un système pas si lointain des Ospedale vénitien, la jeune fille désireuse d’entrer dans les ordres devait s’acquitter d’une dot, mais bénéficiait d’une exemption  si elle savait jouer d’un instrument, cette connaissance musicologique pouvant s’avérer rémunératrice pour les activités du couvent. Le basson était particulièrement apprécié, par sa tonalité inexistante auprès des voix féminines. Il en était de même pour les jeunes filles dotées de qualités vocales sortant de l’ordinaire, qui pouvaient ainsi rehausser l’attrait des offices du couvent.

L’ensemble Vox Cantoris, fin connaisseur d’un répertoire auquel il rend fréquemment hommage s’empare de ces partitions à la fois avec majesté et maîtrise, y insufflant un rythme posé et précis, tout en nuances suaves et claires, jouant excellemment des jeux de repons et d’alliances entre voix féminines et timbres masculins, et c’est un parfait respect du caractère religieux et de la solennité de telles partitions qui tempère le hiératisme originel de ces œuvres. Car ce n’est pas la moindre réussite de cette captation fervente que d’arriver à nous rendre palpable la symbiose résultant de l’entremêlement de voix mixtes, une spécificité peu courante dans la musique liturgique de cette époque. La lisibilité du contrepoint, l’hypnotique naturel des articulations, la sobriété ferme de l’ensemble et la relative unité stylistique des œuvres – malgré la large période couverte – peuvent rendre une écoute intégrale ardue, mais toujours enrichissante, du fait de la qualité d’écriture et la finesse de l’interprétation, d’une sincérité intense.

Composées pour trois à onze voix, les œuvres présentées sont pour la plupart marquées du sceau de l’anonymat, d’où émergent toutefois quelques figures connues, à l’exemple du Magnificat de Cristobal de Morales (1500-1553). L’office des vêpres de Saint-Jacques (Santiago) exprime en lui-même la dévotion envers ce Saint-Patron de l’Espagne qui serait intervenu en faveur des troupes espagnoles contre les Maures à la bataille de Clavijo (844) et sera honoré en Nouvelle-Espagne comme symbole de la Chrétienté luttant contre le paganisme. D’où la multiplication des toponymes et des louanges liturgiques qui lui seront rendus.

Les mélomanes amoureux des chants liturgiques et autres curieux attirés par rivages peu explorés de la musique en Nouvelle-Espagne trouveront assurément avec cet enregistrement le moyen d’étancher leur soif, Jean-Christophe Candau et ses chœurs servant délicieusement un répertoire exigeant venu de lointains horizons.

 

                                                                       Pierre-Damien HOUVILLE

Technique : prise de son ample, assez réverbérée.

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 29 mars 2022
Fermer