Rédigé par 16 h 45 min CDs & DVDs, Critiques

De l’intérêt d’un retour aux sources

Instrument aujourd’hui encore confidentiel, le basson baroque, tel qu’on le connait dans sa forme en quatre parties, fut conçu en France au cours de la seconde moitié du XVIIème siècle. Les pays voisins s’en emparèrent bien vite, c’est ainsi que jusqu’à la fin du siècle suivant, le basson français cohabita avec ses prédécesseurs monoblocs issus de la Renaissance, appelés dulzian en Allemagne et fagotto en Italie.

Georg Philipp TELEMANN (1681-1767)

A fagotto solo

Quatuor en si bémol pour basson, deux flûtes à bec et basse continue
Sonate en fa mineur pour basson et basse continue
Trio en Fa Majeur pour violon, basson et basse continue
Trio en la mineur pour flûte à bec, hautbois et basse continue
Trio en Si bémol Majeur pour violon, basson et basse continue

Jan Dismas ZELENKA (1679-1745)
Trio en Si Majeur pour violon, hautbois, basson et basse continue 

Christoph SCHAFFRATH (1709-1763)
Duetto en sol mineur pour basson et clavecin obligé

Syntagma Amici
Elsa Frank (hautbois et flûte à bec), Ruth van Killegem (flûte à bec), Stéphanie de Failly (violon), Bernard Woltèche (violoncelle), Guy Penson (clavecin), Jérémie Papasergio (basson et direction)

73’00, Ricercar 314, 2011. 

[clear] »Les sons [du basson] sont forts et brusques. Un habile homme en sait néanmoins tirer des sons très doux, très gracieux, et très tendres. […] Il n’y a point d’accompagnement plus beaux, que ceux où un auteur sait mêler avec goût les sons d’un ou de plus plusieurs bassons à ceux des violons et des flûtes. » Jean Laurent de Béthisy – Exposition de la théorie (Paris, 1754), extrait des Méthodes et Traités, ed. Fuzeau.

Instrument aujourd’hui encore confidentiel, le basson baroque, tel qu’on le connait dans sa forme en quatre parties, fut conçu en France au cours de la seconde moitié du XVIIème  siècle. Les pays voisins s’en emparèrent bien vite, c’est ainsi que jusqu’à la fin du siècle suivant, le basson français cohabita avec ses prédécesseurs monoblocs issus de la Renaissance, appelés dulzian en Allemagne et fagotto en Italie. Utilisé à l’origine au sein du continuo, il prit rapidement son essor en tant que soliste, au même titre que le violoncelle ou que la viole de gambe dont les tessitures couvrent une étendue presque identique.

Comme pour justifier la phrase de Jean Laurent de Béthisy, l’ensemble Syntagma Amici a réuni pour nous quelques pages de la littérature germanique illustrant les qualités polyvalentes du basson. En véritable chantre des instruments à vent, Georg Philip Telemann consacra à ce dernier plusieurs sonates qui furent publiées dans ses principaux recueils (Der getreue Music-Meister, la Musique de Table, 1733), et dans lesquelles il tient le rôle de basse ou de soliste. Ainsi dans le Trio en Si bémol Majeur, écrit en forme d’arche, basson et violon dialoguent étroitement dans un style fugué incitant à l’écoute mutuelle et à l’imitation. Stéphanie de Failly et Jérémie Papasergio exhalent avec une mélancolie poignante les soupirs de la sicilienne centrale, et il est frappant d’entendre avec quelle délicatesse d’articulation le bassoniste murmure en écho la plainte du violon, et cela même dans les registres extrêmes de son instrument. Sa parfaite maîtrise de l’anche et la souplesse de celle-ci lui permettent de conserver une rondeur de son égale et d’enrober chaque note d’un petit halo moelleux. Douceur d’intonation qui n’exclut pas le jaillissement inattendu d’exclamations véhémentes, comme dans « l’Allegro assai » du virtuose Duetto en sol mineur de Schaffrath (éminent contrapuntiste, contemporain de CPE Bach), où basson et clavecin se renvoient avec obstination des motifs entêtants, sur fond d’une haletante basse chromatique descendante.

L’on apprend dans le livret du disque que Jérémie Papasergio a entrepris une importante démarche de recherche sur la nature du son que pouvaient avoir les instruments anciens, et donc sur la manière dont les anches étaient fabriquées à leurs origines. C’est en effet de cette mince parcelle de roseau (bien petite au regard du corps de l’instrument !) que dépendent essentiellement le timbre, ainsi que la palette de nuances et de couleurs dont dispose le musicien. C’est ici le premier enregistrement mondial qui donne à écouter l’incroyable diversité d’articulations et d’affects mis à disposition par des anches conçues selon les méthodes décrites dans des traités. Alliée à une profonde musicalité, cette technique confère au basson les inflexions et raffinements auxquels seule la voix humaine pouvait prétendre, comme en témoigne le « Triste » de la Sonate en fa mineur de Telemann. En peu de gestes, Guy Penson introduit ce même mouvement d’un très beau prélude qui annonce le caractère tourmenté de la sonate. La profondeur des graves du clavecin et la résonance des attaques participent à l’édification du sentiment de solitude que suggèrent les premières mesures.

Le hautbois d’Elsa Franck révèle dans le Trio en Si bémol Majeur de Zelenka un son clair et généreux, solaire dans « l’Allegro », tendrement plaintif dans « l’Adagio »  et plein d’espièglerie pour le dernier mouvement. L’archet de Stéphanie de Failly s’y montre heureusement moins lourd que dans le Trio en Fa Majeur et se défend même avec un beau mordant.

Les deux œuvres de Telemann avec flûtes à bec présentes sur l’enregistrement dénotent quelque peu du reste du programme. En dépit d’une volonté manifeste d’expressivité, les flûtes de Ruth van Killegem et d’Elsa Franck présentent une sonorité petite et bien pauvre au regard des autres instruments ; malgré toute la douceur et l’attention dont font preuve leurs compagnons, l’on regrette que leurs sons ne puissent accéder à un même degré d’épanouissement et évoluer avec la même liberté (notamment dans le « Largo » du Quatuor en ré mineur).

Souhaitons qu’après ce premier disque de musique baroque allemande, l’ensemble Syntagma Amici pousse les portes des répertoires de musique de chambre français et italien, afin de leur restituer tous leurs attraits. Avouons que cette première immersion dans la richesse sonore des anches « historiques » n’a pas manqué de nous toucher ; si les œuvres choisies sont parfois d’écriture facile, leur mise en relief n’en demeure pas moins convaincante car révélatrice d’une palette de couleurs et de sentiments infiniment variés, qui autorise des sons aussi bien « forts et brusques » que « très doux, très gracieux, et très tendres ».

Isaure d’Audeville

Technique : prise de son très agréable car respectueuse des intentions musicales et des sonorités de chacun.

Pour en apprendre davantage sur la famille du basson 

Étiquettes : , , , , , , , Dernière modification: 25 mars 2024
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