« Est-il seulement encore possible ici d’être passionné pour les sentiments les plus purs ? Y a t-il même encore des sentiments ? N’ont-ils pas tout tué avec leurs sarcasmes ? » (Jean Giono, Angelo)
« BAROQUE se dit aussi au figuré, pour Irrégulier, bizarre, inégal. » nous dit le Dictionnaire de 1762. 4ème édition. C’était avant qu’Aya Nakamura ne sorte de ses gonds, pardon des vantaux grands ouverts, à double battant, de l’Institut. Nous ne commenterons pas la cérémonie d’Ouverture des Jeux Olympiques de Paris, si ce n’est pour en louer ce cavalier digne de l’Apocalypse fendant la Seine, ou cette admirable montgolfière dorée nous transportant dans l’engouement des Lumières pour les ballons. Hélas ces moments de magie furent trop rares.
De ce salmigondis fragmenté, confus, d’une imperfection que la pluie seule ne saurait justifier, parfois digne d’une émission de variété plus que de la grandeur d’une nation hôte, nous ne retiendrons que quelques allusions à notre époque favorite, même si elles furent glissées de manière indigente, sarcastique, ou décalée. Sans même gloser sur l’allusion toute en subtilité de l’Autrichienne décapitée tenant sa tête sanguinolente en chantant « Ah ça ira » depuis la Conciergerie embrasée (enfants et âmes sensibles s’abstenir), outre les barges ornées de topiaires versaillais, sur fond de dallage de la Cour de Marbre (rappelons que le motif actuel n’est qu’une restitution fondée sur le vestibule de l’escalier de la Reine), la seule séquence baroque fut un bref air des Indes Galantes de Rameau, interprété par le contre-ténor polonais (et amateur de breakdance, mais Rameau et le hip-hop ne font-ils désormais pas bon ménage à l’Opéra Bastille ?) Jakub Józef Orliński, dans une version réduite au clavecin (tenu avec souplesse et naturel par Marie van Rhijn).
Le timbre du contre-ténor est beau et poétique, la diction mâchonnée mais aérienne, l’expressivité peu nuancée. Surtout, un contre-ténor chez Rameau et dans cet air s’avère un contre-sens complet, là où il fallait bien entendu une voix de dessus, ce type de voix étant tout à fait étranger à la musique française, mais collant fort mieux à l’ambiance woke du spectacle. Et l’on regrette l’absence cruelle – dans cet air de Phani si fameux, extrait de la Deuxième Entrée « Les Incas du Pérou » pour ceux qui ne l’aurait pas reconnu – des flûtes diaphanes qui apportent une couleur indispensable. Mais sans doute auraient-elles pu rivaliser en transparence avec la prestation du contre-ténor, qui plus est affublé d’un costume ridicule, croisement entre un Henri III mal fagoté chaussé de baskets, et un personnage de la commedia dell’arte échappé d’un Fragonard de Prisunic.
Enfin, le scandale a tout de même du bon : pour se défendre d’avoir moqué le christianisme sur cette passerelle catwalk / catwoke, lors du tableau « Festivité », d’un mauvais goût kitschissime assumé, avec un Philippe Katerine grimé en Bacchus, et ,derrière lui, sis à une longue table sur un seul côté, plusieurs drag queens et la DJ Barbara Butch coiffée d’une tiare à rayons (mais non, ceci n’a rien, absolument rien à voir avec une représentation de la Cène, absolument rien, toute ressemblance avec des personnages, etc.), Thomas Joly a renvoyé à une autre source d’inspiration plus olympienne. Le Musée Magnin de Dijon et les internautes ont alors exhumé le Festin des Dieux ou le Mariage de Thétis & Pélée (vers 1635), toile brillante et d’un tout autre calibre allégorique du Hollandais Jan Harmensz van Bijlert (c.1597/1598–1671) où il y a également un Bacchus nu au premier plan.
Mais le thème du festin de dieux était populaire en Hollande, et le Musée Magnin lui-même précise que le Mariage de Psyché et Amour d’Hendrick Goltzius déclencha une abondante production d’œuvres illustrant ce sujet. On peut même compter les innombrables représentations des amours de Cupidon et de Psyché depuis la Renaissance. Dommage que Thomas Jolly n’est pas aussi exhumé parmi ses références les Fêtes de l’Amour & de Bacchus de Lully, qu’il aurait pu déconstruire à foison en restant dans le thème.
Viet-Linh Nguyen
P.S. : En parlant d’olympisme, de générosité, de partage, de communion parmi les peuples, de don et de dépassement de soi, rappelons que le Le Comité national olympique et sportif français, représentant en France le Comité international olympique, propriétaire du symbole olympique et des termes « jeux olympiques » et « olympiade » a refusé au Concert de la Loge Olympique, la formation dirigée par Julien Chauvin, de continuer à utiliser cette appellation historique à compter du 11 février 2016, ayant fait valoir un droit d’opposition à l’enregistrement par l’INPI du nom de l’orchestre. On aurait sans doute pu trop aisément confondre à ses yeux la recréation du Baron de Coubertin et cette fameuse société de concerts parisienne, active entre 1783 et 1789, créée par le Chevalier de Saint-Georges, dont des musiciens étaient liés à des loges maçonniques, à l’instar de celle de l’Olympique de la Parfaite Estime, commanditaire des « symphonies parisiennes » de Haydn…