« Je suis un de ces êtes exceptionnels, oui, monsieur, et je crois que, jusqu’à ce jour, aucun homme ne s’est trouvé dans une position semblable à la mienne. Les royaumes des rois sont limités, soit par des montagnes, soit par des rivières, soit par un changement de mœurs, soit par une mutation de langage. Mon royaume, à moi, est grand comme le monde, car je ne suis ni italien, ni français, ni indou, ni américain, ni espagnol ; je suis cosmopolite. »
Il n’entre guère dans le champ de nos humbles pages de parler de cette énième adaptation, efficace mais sans élégance, lardée d’une musique de jeu vidéo, indigeste et vulgarisatrice à souhait, brutalisant l’esprit comme le texte de Dumas (Haydée et Albert de Morcerf en tourtereaux énamourés, « Benedetto » le sanguinaire scélérat en mièvre fils abandonné, Edmond Dantès en prolétaire pris de haut par un Fernand aristocrate plutôt qu’ami pécheur !), en dépit du talents de Patrick Mille ou Laurent Lafitte. Le fils aurait été bien de s’inspirer de la fidélité du Père au texte de Dumas, dans une version certes un peu plate et théâtrale mais tellement plus subtile du Comte avec un Jacques Weber glaçant, charismatique et d’une implacable résolution (1979). Mais nous voulions juste partager avec nos lecteurs quelques sympathiques lieux de tournage, plus ou moins familiers :
Pour recréer une lutte des classes absente du roman original, Mercedès comme Fernand Mondego deviennent des Morcerf aristocrates, et le père d’Edmond un domestique astiquant l’argenterie. Ce délire marxiste, qui ajoute un motif bolchévique de vengeance, nous permet toutefois d’admirer les proportions du Château de l’Engarran, à Laverune (Occitanie) folie occitane charmante du XVIIIème siècle actuellement tenue par Diane Losfelt, vigneronne inspirée qui propose un petit rosé bien sympathique… On doit cette architecture équilibrée à Jean Vassal, Trésorier-Conseiller à la cour des Aides et Finances de Montpellier qui firent bâtir la demeure vers 1730.
Quand on a l’âme trouble, on a le bureau vaste. Homme de pouvoir, le procureur du Roi de Villefort (qui n’était que substitut à l’époque dans le roman, et protégeait son bonapartiste de père et sa carrière plutôt qu’une prétendue nièce conspiratrice qui finira dans une maison close, décidément les scénaristes ont besoin de « méchants » fort binaires) se retrouve dans un immense réduit : belle stéréotomie, larges moulures, malgré la lampe bouillote, ça sent son XVIIIème me direz-vous. Et vous aurez raison ! Ce tribunal de Marseille n’est autre que la bibliothèque de l’Abbaye de Saint-Denis, actuelle maison de la Légion d’Honneur (quel impérial clin d’œil !). On doit cette noble quoique sobre réalisation à la campagne de réfection de l’Abbaye médiévale par Robert de Cotte (1656-1735), chargé de la reconstruction des bâtiments monastiques qui durera jusqu’au règne de Louis XVI avec une unité classique remarquable. On notera l’avant-corps de la façade occidentale (absent du film) dessiné par Gabriel (1698-1782).
Idem sans doute, même si les plans sont trop furtifs pour en être certain, mais les volumes ne seraient pas incompatibles avec les galeries du cloître de l’Abbaye de Saint-Denis…
Enfin, pour la route, et pour les mélomanes, après un petit discours dans le Foyer célébrant l’engagement politique du Comte de Morcerf, avec des drapeaux tricolores recouvrant prudemment les bustes situés de part et d’autre de la rotonde Marivaux, le Comte de Montecristo s’échappe avec panache de l’Opéra Comique, donc on aura immédiatement reconnu la belle ferronnerie de l’escalier. [V-L. N]
Étiquettes : Alexandre Dumas, cinéma, Opéra Comique Dernière modification: 25 juillet 2024