Luis de Briceno (ca. 1610 – ca. 1630)
El Fenix de Paris
[TG name= »Liste des morceaux »]
Villano: El cavallo del marqués – Al Villano se le dan
Pasacalle: Que tenga yo a mi mujer
Jácara: Para tener Nochebuena
Tono françes: Ay amor loco
Tono Humano: Lloren mis ojos
Españoleta
Romance: Ay ay ay, todos se burlan de mi
Villancico: No soy yo
Tono Humano: Ay, qué mal
Çaravanda: Andalo çaravanda
Pasacalle
Gaitas
Danza de la Hacha
Canario
Villancico: Venteçillo murmurador
Air espagnol: El baxel esta en la playa
Folia: Serrana si vuestros ojos 1
Folia: Serrana si vuestros ojos 2
Seguidilla: Dime que te quexas
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Claire Lefilliâtre – Soprano
Isabelle Druet – Mezzo – soprano
Mira Glodeanu – violon
Lucas Peres – Basse de viole
Massimo Moscardo – guitare baroque
Thor-Harald Johnsen – guitare baroque
Marie Bournisien – harpe espagnole
Joël Grare – percussions
Le Poème Harmonique
Direction & guitare baroque Vincent Dumestre.
71’08, Alpha, 2011.
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“Si yo tuviera un corazón, el corazón que di
Si yo pudiera como ayer, querer sin presentir.”
Dans toute culture s’exprime le pathos et l’extase. Les sentiments extrêmes qui inspirent souvent des nuances artistiques n’existent parfois que dans une seule langue, qui lui accorde ses spécificités et son charme. Contrairement à ce qu’il est d’usage de penser, la culture hispanique n’est pas uniquement solaire, fougueuse, et en liesse ; elle comporte aussi beaucoup de mélancolie, de tristesse et de regret. La nostalgie, la frustration et le dépit absolu font partie du corps sentimental de la latinité, ce qu’à l’époque baroque on définit souvent comme le “desengaño”, nuance de langage quasiment intraduisible qui se rapproche de la notion de Sehnsucht allemand.
A l’époque baroque, les émotions étaient vécues d’une manière plus sophistiquée qu’aujourd’hui, s’exprimant avec toute la complexité de leurs nuances. La culture latine a gardé certaines caractéristiques émotionnelles de cet état d’esprit. Par exemple, la politesse alambiquée et quasi protocolaire mexicaine, la multitude de langages et d’expressions de l’Argentine ou bien les figures colorées et poétiques péruviennes. Tout dans la latinité tend vers l’expression d’un sentiment, d’une passion, d’une émotion profonde. En faisant fi des poncifs et des fantasmes, la culture latine va de la Belgique au Cabo da Roca et de Haïffa à Comodoro Rivadavia en passant par Miami, Los Angeles et même Manila.
Au moment même où l’État Moderne posait ses bases en France après une longue période d’hésitation, de remise en question ponctuée de guerre civile, apparaissent “aux marches du palais” des représentants d’une culture espagnole encore redoutée mais fascinante. Il faut ajouter à cela que le XVIIème siècle est né encore sous la menace impériale des Habsbourg et la farouche résistance de la monarchie bourbonne. Mais la politique fera basculer le regard vers l’Espagne qui fleurit dans son Siglo de Oro, l’entrée dans l’histoire des reines espagnoles de France, et notamment d’Anne d’Autriche qui dominera avec un charisme particulier la cour de France durant plus de vingt ans. Quand Louis XIV prend le pouvoir personnellement en 1660, l’État en France est depuis l’étiquette palatiale jusqu’à la collecte des impôts empreint plus ou moins fortement d’inspiration ibérique. L’on sait que Louis XIII appréciait particulièrement la guitare, qu’Anne d’ Autriche la touchait aussi et que le jeune Louis XIV en prit des leçons approfondies. C’est en pleine mutation vers l’Absolutisme, fils de la monarchie impériale de Charles Quint et de Philippe II, que le guitariste Luis de Briceño apparaît à Paris.
Personnage confidentiel, Briceño a la curieuse particularité d’avoir vraiment renouvelé l’intérêt pour la guitare, à une époque où le luth était un instrument plus répandu. Son “Metodo” publié à Paris est un condensé vague des pièces populaires espagnoles.
Briceño a gravité parmi le premier cercle des courtisans, et sa mystérieuse dédicace à la “Señora de Chalés” peut intriguer. Si l’on se rapporte à la date, à la toponymie et à l’orthographe fantaisiste de l’époque, nous pouvons identifier cette mystérieuse dame comme Charlotte de Castille. Cette dame épouse en secondes noces en 1623, Henri de Talleyrand comte de Chalais, exécuté le 19 août 1626 à Nantes pour avoir trempé dans ce qu’on appela “la conspiration de Chalais” qui visait à assassiner Richelieu et la destitution de Louis XIII au profit de Gaston d’Orléans. Charlotte de Castille sera désormais connue jusqu’à sa mort en 1659 comme “Dame de Chalais ou Chalez” selon l’orthographe de l’époque. Il est possible d’avancer qu’elle fut un grand mécène par la dédicace en frontispice d’Antoine Humbert dans son Histoire de la Cour, sous les noms de Cléomédonte et d’Hermilinde, en 1629 :”À Madame Charlotte de Castille, Dame de Chaléz”. Par ailleurs, la date de publication du recueil de Briceño coïncide avec l’exécution du comte de Chalais, ce qui nous pousse à nous interroger sur la position du guitariste à la cour, peut-être que son deuxième recueil n’a pas été publié à cause de sa proximité avec la veuve du conspirateur.
Par ailleurs ce qui est aussi assez mystérieux est l’aridité de la notation dans le manuscrit, comme l’évoque Vincent Dumestre. Le “Metódo” est à la fois un recueil qui aide pour “chanter et sonner” la guitare, mais aussi “un metodo para aprender a templar la Guitarra” ce qui littéralement veut dire “une méthode pour apprendre à “tempérer” la guitare, c’est à dire, en espagnol baroque, à accorder la guitare. En plus d’être un recueil de menues danses et mélodies, Briceño donne ainsi les clefs pour jouer ces pièces aux bons accords, fixe une tradition quasi orale et donne une notation à chaque accord espagnol, offrant à ses lecteurs les accords de séguidilla, de villano ou de villancico.
Après avoir rencontré Vincent Dumestre, lors d’un happening baroque le 23 novembre dans l’élégante et baroque boutique l’Autre Monde de la rue Crébillon à Paris, nous sommes convaincus que chacun de ses projets allie remarquablement l’esprit de la découverte et une remarquable profondeur dans la compréhension musicale, stylistique et contextuelle. Dans ce disque Vincent Dumestre ne fait pas simplement une exploration de l’œuvre du mystérieux Briceño, il arrive à toucher avec sa direction raffinée et sensible, le cœur de la sensibilité hispanique, ce “desengaño” dont nous parlions plus haut. Cet accomplissement qui émeut la corde la plus profonde du sentiment latin est la plus précieuse qualité de cet enregistrement.
Nous saluons aussi les voix toujours claires, nuancées, profondes et sensibles de Claire Lefilliâtre et d’Isabelle Druet. Dans des registres très différents, elles réussissent à passer outre les barrières de l’espagnol du XVIIème siècle et rendent le texte avec aisance et la musique avec toutes les couleurs nécessaires à l’émotion et à la danse.
En outre, on louera la finesse et l’enthousiasme des instrumentistes du Poème Harmonique, qui retrouvent à la fois le cadre intimiste de cette musique, mais aussi son caractère festif ou passionné.
Le soir du 23 novembre, le ciel de Paris reflet de ses millions de lampions nocturnes de ses avenues affairées se pare des meilleurs diamants du firmament. Et à l’extérieur de cette charmante tanière baroque qu’est l’Autre Monde, nous sentions monter entre l’Odéon et Saint-Germain la douceur d’une nuit d’Espagne et la senteur magique d’un bouquet de tulipes qui faisait croire qu’en hiver, sous les fenêtres du roi, une guitare sonna les accords pathétiques de la lointaine Espagne.
Pedro-Octavio Diaz
Technique : prise de son fidèle et dynamique.
Le Site officiel du Poème Harmonique
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