« Un Camino de Santiago »
La Musique au XVIIème siècle sur le Chemin de Saint-Jacques de Compostelle
La Fenice
Direction Jean Tubery
63’40, Ricercar / Outhere, 2011 (enregistré en 2007).[clear]
L’hagiographie nous apprend que la dépouille de Saint-Jacques – premier apôtre martyr – fut ensevelie dans les terres de Galice, après que ses compagnons fuyant la Palestine avaient été guidés par un ange jusqu’en ce « champ de l’étoile » (« campus stellae »). Compostelle devint au Moyen-âge l’un des trois principaux lieux de pèlerinage chrétiens et la forte affluence de croyants qu’elle attirait ne diminua qu’avec l’avènement des guerres de religion. L’ensemble La Fenice a pourtant choisi de moissonner sur les « chemins de Saint-Jacques » jusqu’au milieu du XVIIIème afin de présenter ici un florilège des chants qui s’élevaient des différentes routes quadrillant l’Europe. Glanés de l’Alsace à la Gascogne, en passant par l’Italie, ces airs résonnent en latin, français, langue d’Oc et castillan, et appartiennent au domaine du sacré ou du profane. Ils ont en commun d’être des chants devenus populaires ; ponctuant la longue marche jusqu’au sanctuaire, ils permettaient aux pèlerins de se divertir ou de se redonner courage.
L’enregistrement est conçu comme un voyage à travers le royaume de France ; au rythme de la marche et au son d’une cloche, l’on passe imperceptiblement d’une région à l’autre, chacune révélant à son tour une facette de son répertoire local.
L’antiphone « Procedens Jesus vidit Jacobum » marque un début plutôt austère, mais plus l’on approchera de Compostelle et plus la ferveur se teintera de gaité et d’un enthousiasme pressent. Si la bonne humeur et l’entrain persistent malgré les nombreuses embûches (de la route), c’est grâce à la voix lumineuse et délicatement miellée d’Ariana Savall, et au talent de ses compagnons qui, du cornet, du basson, du théorbe ou encore de la voix, colorent chaque air d’une façon nouvelle. La sobriété des sources manuscrites laissent à nos aventuriers une grande liberté d’interprétation dont ils usent judicieusement dans de riches diminutions et des instrumentations variées. Chaque musicien s’exprime au moyen de plusieurs instruments, comme s’ils s’adaptaient à ce que chaque étape de la route leur proposait. Le victorieux « Vilancico de nacions » leur donne un merveilleux terrain d’expression, chacun rivalisant d’éloquence pour figurer la foule des joyeux pèlerins foulant fraichement le sol de Compostelle. Le Noël occitan « De cor, de boux celebrats, cantats toutis » nous fait découvrir avec bonheur que la vocalité si sensuelle du basson de Mélanie Flahaut se retrouve dans sa voix suave et agréablement naturelle. L’accompagnement parfois réduit à la douceur de la harpe et d’un bourdon tenu à la viole, s’étoffe peu à peu des arpèges du clavecin, de l’entrain de la guitare et de l’aplomb de l’orgue, permettant au « chœur des pèlerins » de laisser rayonner la joie qu’il chante à pleine voix.
Une heureuse candeur perdure tout au long de l’enregistrement ; Jean Tubéry a su pour cela s’entourer de musiciens très habiles mais dont le jeu est resté simple et spontané. A l’issue de ce voyage musical, l’on éprouve la puissante envie de partir à notre tour sur les routes de Saint Jacques, pour goûter de plus près aux joies du cheminement vers l’inconnu.
Isaure d’Audeville
Technique : si la prise de son marie bien les différents timbres tout en les distinguant, l’on regrette que les voix graves instrumentales soient trop en retrait.