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L’épée et la pourpre (Musiques au temps de Richelieu, Simphonie du Marais, Hugo Reyne – Musiques à la Chabotterie)

Voici venir le quatrième volume de la collection Musique à la Chabotterie qui nous a jusqu’ici déjà offert deux premières mondiales (La Naissance d’Osiris de Rameau et le très bel Ulysse de Jean-Féry Rebel) et un touchant retour à la flûte à bec d’Hugo Reyne (Six concertos pour flûte à bec de Händel).

“Richelieu appuya son coude sur son manuscrit, et regarda un instant d’Artagnan” (Dumas, Les Trois Mousquetaires, chapitre 2)

Musiques au temps de Richelieu

Musiques sacrées :
Cantate Domino, Heu ! Suspiro, Ha ! Plange attribués à Guillaume Bouzignac
Guillaume Bouzignac : Ex ore infantium, Omnes gentes, O mors
Anonyme : Te Deum
Nicolas Formé : Messe Musica simplex
Annibal Gantez : Missa lætamini
Antoine Boesset : De profundis
Nicolas Formé : Domine salvum fac Regem

Musique profane :
Ballet de la Prospérité des armes de France

Catherine Padaut (dessus), Stéphane Lévy (haute-contre), Thomas van Essen (basse-taille), Sydney Fierr (basse, Hugo Reyne (récitant) 

Petit chœur : Catherine Padaut, dessus 1, Hélène Richer, dessus 2, Stéphane Lévy, haute-contre, Edmond Hurtrait, taille, Thomas van Essen, basse-taille, Sydney Fierro, basse

Grand chœur : Maîtrise de l’Institut Musical de Vendée & Chœur du Marais
La Simphonie du Marais 
Direction : Hugo Reyne

2 Cds, Musiques à la Chabotterie, 2008.

Voici venir le quatrième volume de la collection Musique à la Chabotterie qui nous a jusqu’ici déjà offert deux premières mondiales (La Naissance d’Osiris de Rameau et le très bel Ulysse de Jean-Féry Rebel) et un touchant retour à la flûte à bec d’Hugo Reyne (Six concertos pour flûte à bec de Händel). Cette fois, le programme n’est pas moins ambitieux et vient combler une lacune en nous faisant réentendre des musiques du premier XVIIème siècle, d’avant Lully.

Pour plus de commodité, nous distinguerons le disque sacré du disque profane.

Musiques sacrées

Le programme sacré choisi par Hugo Reyne n’est pas purement chronologique, mais fait une place non négligeable à l’un des évènements les plus illustres du « règne » de Richelieu : le siège et la prise de La Rochelle, vu tant de l’intérieur de la ville (Heu ! SuspiroHa ! Plange et O mors) que de l’extérieur (Omnes gentesEx ore infantium et Cantite Domino). Mieux : assiégeants et assiégés semblent se répondre, l’ordre des pistes faisant se succéder Cantate Domino et Heu ! Suspiro, puis à nouveau Cantate Domino résumé par une fanfare instrumentale et Ha ! Plange. Et l’on entend parfaitement d’un côté une jubilation, et de l’autre une souffrance exsangue. Le chœur, en fait composé de deux chœurs et de solistes, se révèle grandiose et parfaitement soutenu par La Simphonie du Marais, sachant se faire soupirant dans le Heu ! Suspiro, dépouillé dans O mors, ceci jusque dans l’articulation des paroles. Le tableau de la prise de La Rochelle est complété et achevé par un Te Deum, motet destiné à fêter les victoires royales.

C’est une dévotion plus calme qui succède à ces batailles et ces tourments, avec la messe en Musica simplex : elle était destinée à être chantée aperto libro, et c’est un art du contrepoint note contre note qui est ici développé, loin de la théâtralité des motets des treize premières plages. Là encore, l’articulation du texte est parfaite, ce qui donne à cette « musique simple » souvent lente des contours nets, alliant ainsi sérénité et expressivité. L’heure est à la dévotion. La Missa lætamini de Gantez évoque sans doute plus les fastes de la chapelle royale. Dès le début, à un « Kyrie » aux allures d’ouverture succède un « Christe » plus intimiste confié au petit chœur (solistes), annonçant d’emblée le caractère quasi concertant de la messe. Le verset « Et in terra pax » (« Gloria ») exprime une paix réjouie, comme d’ailleurs l’ensemble de la messe qui semble chanter le bonheur des « hommes de bonne volonté ». De même, le De profundis est bien éloigné de l’idée d’une mort horrible, mais semble ouvrir les portes du royaume des cieux, utilisant au début les seules voix aiguës, puis les voix d’homme à l’unisson. L’ensemble se termine par un Domine salvum Regem fervent.

Dans l’ensemble du programme, les mouvements, peu longs, se succèdent sans s’appesantir sur un même texte, permettant ainsi au chœur et à l’orchestre des contrastes et des couleurs toujours ravivées.

Musique profane

On avait déjà pu entendre des extraits de ballet du premier XVIIème siècle dans certains disques du Poème Harmonique (par exemple celui consacré à Antoine Boësset), on avait pu entendre un Concert donné à la Saint-Louis à Louis XIII dans le disque l’Orchestre de Louis XIII dirigé par Jordi Savall (Astrée), mais un ballet entier, jamais. Enfin, pour mieux dire, presque entier, car la fin du Ballet de la Prospérité des armes de France est perdue. Il faut dire aussi que dans les recueil de Philidor qui contiennent les entrées instrumentales des ballets faits sous les règnes antérieur à celui de Louis XIV, seule les parties extrêmes, dessus et basse, sont données, ce qui signifie qu’il faut réécrire ce les parties intermédiaires, qu’une équipe de spécialistes, sous la direction de Gérard Geay (à qui l’on devait déjà les parties intermédiaires de la Sémélé de Marais chez Glossa), a restituées avec succès.

Voici donc un ballet en cinq actes, avec à chaque acte une ouverture et un récit, puis les entrées dansées. Au total, 27 entrées instrumentales (il manque une partie de celles de l’acte IV et toutes celles de l’acte V), quatre ouvertures (la cinquième est perdue) et cinq récits pour nous donner une idée de ce spectacle magnifique que représentait un ballet de cour.

Les récits ne manquent guère d’imagination, tant sur le plan du texte que sur celui de la musique. N’est-ce pas comme un prologue que ces Récit des Muses (piste 31) ? Ne croit-on pas voir la sage Harmonie (piste 2) comme on verrait la Musica au début d’un Orfeo ? L’Italie (piste 11) ne semble-t-elle pas s’affaiblir et s’épuiser à mesure qu’elle essaie d’appeler ? Ne sont-ce pas telles sirènes (piste 31) qu’entendit autrefois le rusé Ulysse ? Les voix sont toujours belles et surtout se marient parfaitement, ce qui est indispensable dans ces ensembles quasi madrigalesques.

La musique de ballet est loin d’être négligeable, et ne constitue pas que l’accompagnement d’un spectacle. Voilà une musique qui peut s’écouter comme “musique instrumentale pure” diraient certains, et mieux encore si l’on a un peu d’imagination. On verra alors ici des Démons espiègles (piste 3), des Parques affairées (piste 5), des Furies imposantes (piste 6), des Fleuves au cour calme (piste 12), des Esclaves enchaînés les uns aux autres (piste 29), des Espagnols fiers (piste 14), Flamands joyeux drilles (piste 16), et même des Américains presque aussi sautillants que les Démons (piste 25). Il serait hélas fastidieux de tout détailler.

Hugo Reyne manie avec talent la palette sonore à sa disposition, séparant ou mélangeant bande de hautbois et bande de violons, choisissant avec intelligence les luths en lieu des clavecins pour la basse continue, faisant de ce ballet un voyage au cours duquel il nous guide, drapé dans sa tunique de récitant souvent souriant.

Au final, ce coffret fait prendre conscience que, si la musique française du premier XVIIème siècle n’eut n’a pas son Monteverdi, elle n’en existe pas moins dans sa belle beauté.

Loïc Chahine

Technique : Bon enregistrement. Aucune remarque particulière.

Étiquettes : , , , , , Dernière modification: 24 avril 2023
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