Rédigé par 14 h 12 min Concerts, Critiques

Réponse du Berger (Boyce, Solomon, Tacchino, Pauchet, Opera Fuoco, Stern – Opéra de Massy, 29 novembre 2024)

Juliette Tacchino © Curtis Institute of Music

William BOYCE (1711-1779)
Solomon

Serenata pour deux voix solistes, chœur et orchestre (1742)

Juliette Tacchino, « Elle »
Lucas Pauchet, « Lui »

Chœur de l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Massy,
Orchestre Opera Fuoco
David Stern, direction

Version de concert, Opera de Massy, vendredi 29 novembre 2024

Nous sommes avant Lubitsch et peut-être cela explique-t-il que la sérénade ne soit qu’à deux et non à trois. Mais il y a cependant dans ce duo où les protagonistes sont si sobrement dénommés « Elle » et « Il » quelque chose du Leo Mc Carey de Elle et Lui, une simplicité, une fraîcheur, une évidence qui fait que nous suivrions leurs tribulations, sentimentales ou géographiques, jusqu’au bout du monde.

Quelle bonne idée ont David Stern et les musiciens de L’Opera Fuoco d’ainsi ressusciter cette œuvre, au final peu connue, surtout dans son intégralité, souvent réduite à quelques extraits charmants mais par essence partiels, pour programmes de récitals. Pourtant Roy Goodman en donna une délicieuse gravure avec un tendre Howard Crook (Hypérion, 1989). C’est sans doute que ce Solomon de William Boyce jouit en effet du privilège d’être une œuvre à l’originalité hybride, ni vraiment opéra, ni vraiment pastorale, ne traitant en rien de l’histoire du Roi Salomon contrairement à un titre que l’on pourrait penser limpide. Italienne par ses accents, notamment mais pas seulement, anglaise par sa langue, l’oeuvre déroute : les recherches de parentés musicales renverront tantôt à Haendel, souvent cité et pas à tort, tantôt à Purcell pour l’utilisation des chœurs, parfois même à Mozart pour la clarté des lignes mélodiques de nos deux protagonistes. Au final des références par trop multiples et foisonnantes pour ne pas faire de ce Solomon une œuvre inclassable, une curiosité prompte à piquer notre intérêt, une rareté à redécouvrir d’autant qu’elle s’avère peu montée.

C’est donc une vraie rareté, qu’Opera Fuoco exécute pour la première fois en France, après quelques représentations à l’étranger, offrant ainsi aux spectateurs de l’Opéra de Massy le privilège d’une quasi création d’une œuvre par bien des aspects représentative de la musique baroque anglaise du milieu du dix-huitième où les musiciens de l’ensemble, parmi lesquels nous retrouvons au clavecin Clément Geoffroy, dont le Bach sous les Tilleuls en collaboration avec Loris Barrucand nous avait séduit (L’Encelade), sont accompagnés du chœur de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Massy pour quelques interventions limitées, que Boyce place aux moments importants de son œuvre, notamment en introduction et en conclusion de ses trois parties.

L’œuvre est concise, resserrée, fugace, d’une heure et quart au total, qui brièvement dit beaucoup de l’élan amoureux, de la joie juvénile de la rencontre en un dialogue à la fois sensible et délicieux sur lequel on prendra un plaisir coupable et coquin à relever là les métaphores, là les allusions plus explicites, bien que jamais grivoises aux aspects les plus charnels de la passion, William Boyce et son librettiste, Edward Moore[2], n’oubliant pas que l’amour, courtois dans ses sentiments, s’avère aussi souvent physique dans ses déclinaisons.

La réponse du berger à la bergère aurait été un titre à la fois plus malicieux et plus exact pour l’œuvre de William Boyce, tant le compositeur se désintéresse de Solomon, et du Cantique des Cantiques dont l’œuvre est très librement inspirée, reprenant seulement l’idée du dialogue amoureux entre un homme et une femme. Une référence biblique qui n’est transparente que dans le chœur introductif de l’œuvre, comme le placement d’un contexte, avant que le compositeur ne s’en émancipe vite, préférant assez visiblement se concentrer sur l’universalité de ses personnages, délaissant toute référence biblique un peu poussée, et cela contrairement au Solomon de Haendel (1748), de quelques années postérieurs et ancrant plus fermement ses fondements dans la tradition biblique, dans ce qui reste par ailleurs l’une des nombreuses œuvres exaltantes du compositeur.

Point de complication chez William Boyce. Elle, c’est Juliette Tacchino, bergère à la scène, soprane à la ville, qui porte son personnage avec une fraicheur et une gracilité vocale qui ravissent, voix claire et souple, révélant une attendrissante fragilité des sentiments sur ses premiers aria (Tell me, lovely shepherd notamment), posée dans ses accents, fluide dans sa diction et aux aigus n’ayant aucun mal à rappeler la beauté des amours ancillaires. Confessons toutefois qu’il n’aurait pas été désagréable à notre goût que la jeune soprane joue un peu plus de rodomontades, s’empare davantage d’une préciosité mutine et coquine suggérée par la partition. Une légère timidité vocale et scénique qui ne demande sans doute qu’à s’estomper, Juliette Tacchino ayant fait ses classes dans un répertoire plus contemporain et moins prompte à l’expressivité des sentiments au second degrés, ou dans des rôles baroques, mais plus marqués par le tragique ou l’intériorité religieuse. Une légère réserve qui s’envole au fur et à mesure du déploiement de l’œuvre, Juliette Tacchino s’affirmant vocalement par une belle présence notamment dans l’aria I adjure you,by the fawns (fin de la Partie II) ou encore dans le touchant On this face the vernal rose (partie III).

Lucas Pauchet © Lina Pauchet

Il, c’est Lucas Pauchet, berger à la scène, jeune ténor tout juste sorti du Conservatoire National Supérieur de Paris à la ville, qui endosse le rôle masculin de cette sérénade lui aussi avec la pudeur des sentiments qui sied à l’expression chancelante des amours naissantes. Passant un peu à côté de ses premiers airs par un récitatif un peu scolaire (Fairest of the virgin throng, trop timide dans la Partie I), son expressivité se déploie et sa voix se réchauffe en suite de programme, montrant par la suite une belle expressivité, notamment sur le Balmy sweetness, ever flowing (Partie I) ou sur le Fair and comely is my love (final de la Partie I), touchant, sensible, convainquant en jeune amoureux transi.

Car ce qui intéresse William Boyce, ce n’est pas la pompe musicale, le déploiement grandiose d’effets grandiloquents comme purent le faire nombre de ses contemporains. Si son écriture peut évoquer Haendel, c’est moins pour la puissance sonore de la partition, que pour l’expressivité des sentiments, de leur intensité de la part des chanteurs, et les articulations souples qui leur impose, même si avouons-le, la postérité de Haendel n’est pas supérieure à cette de William Boyce sans raisons objectives. Chez William Boyce, le dialogue amoureux, l’expression sensible des sentiments n’est le plus souvent soutenue que par une ligne mélodique épurée, gracieuse, dans laquelle nous soulignerons une appétence pour le clavecin, utilisé bien plus richement que pour le rôle de continuum de basse auquel il est souvent confiné, et pour le basson, largement mis en avant, notamment dans l’aria avec chœur du personnage masculin, Softly rise, O southern breeze ! conclusif de la deuxième partie.

Opera Fuoco sait laisser parler cette partition qui exalte l’expression des sentiments amoureux individuels avec un tact constant et un sens de l’humour qui nous l’avons dit aurait pu être un peu plus exploité par les interprètes, mais qui réserve aussi quelques beaux duo, même si nous sentons au caractère un peu plus classique, convenu de ces derniers, que ce n’est finalement pas eux qui intéressent le plus William Boyce, ce dernier les composant avec un talent certain, mais un entrain un peu moindre, comme des passages quelques peu obligés. Ce qui n’empêche quelques beaux airs en duo, comme ce Together let us range the fields (Partie II) aux accents champêtres assez caractéristiques de la musique anglaise de cette période, où l’attendu mais très réussi duo avec chœur final Thou soft invader of the soul, sur lequel la symbiose entre Juliette Tacchino et Lucas Pauchet est palpable, comme un accomplissement amoureux.

Au-delà de la musique, c’est bien une sensualité universelle qui traverse cette sérénade de William Boyce, dont la première représentation se déroula à l’Apollo Academy en 1743 et qui, peut-être du fait de son évidente simplicité, connu un grand succès jusqu’à la fin du XVIIIème siècle. Car il y a indubitablement dans ces échanges amoureux la simplicité du raffinement, une partition exaltant le bonheur de l’instant, la liberté des sentiments amoureux et une couleur orchestrale qui souligne le texte plus qu’elle ne se substitue aux sentiments des personnages. Une pureté formelle s’en dégage également, William Boyce s’éloignant dans sa composition de l’aria da capo alors en vogue pour adopter une forme plus libre, moins structurée mais plus permissive, comme une ode profane à l’expression du sentiment amoureux. Avec cette redécouverte que David Stern et l’Opera Fuoco emporteront dans leur programme de représentations de ces prochains moins, ils viennent souligner que dans leur simplicité, les Elle et Il de William Boyce, tendres et hésitants, c’est un peu nous !

 

                                                                                   Pierre-Damien HOUVILLE

[1] A notre connaissance un seul enregistrement intégral, label Hyperion, 1990, The Parley of Instruments sous la direction de Roy Goodman, avec Bronwen Mills (She) et Howard Crook (He).

[2] Edward Moore (1712-1757) librettiste à ses heures, surtout connu comme auteur de théâtre (un Gil Blas en 1751), connaissant le succès notamment avec The Gamester (1753), dont l’aura intéressé Diderot au point qu’il en offrit une traduction en 1760.

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