Rédigé par 7 h 21 min CDs & DVDs, Critiques

Mais, quel éclat nouveau sur nous vient se répandre ? (Stuck, Polydore, Purcell Choir, Orfeo Orchestra, Vashegyi – Glossa)

JEAN-BAPTISTE STUCK (1680-1755)
Polydore
tragédie en musique en un prologue et cinq actes sur un livret de Simon-Joseph Pellegrin (1663-1745), créée à l’Académie Royale de Musique le 15 février 1720

Hélène Guilmette : Illione
Judith Van Wanroij : Déidamie, Thétis
Tassis Christoyannis : Polydore
Thomas Dolié : Polymnestor
Chloé Briot : une matelote, Théano, Vénus
Cyrille Dubois : Triton, Stelenus, un Thrace, Timante, un Grec
David Witczak : Neptune, le Grand-Prêtre, l’Ombre de Déiphile

Purcell Choir
Orfeo Orchestra
Direction György Vashegyi

3 CDs Glossa GCD 92401, enr. en septembre 2022, 60:27 + 54:36 + 42:48. Coproduction CMBV | Orfeo Orchestra | Haydneum
Partition réalisée et éditée par le CMBV

György Vashegyi poursuit son exploration de tragédies lyriques rares telle l’Hypermnestre énergique de Gervais (Glossa),  pour notre plus grand plaisir. Disons-le d’emblée : la parution de ce Polydore constitue une révélation majeure, parmi les jalons post-lullistes et préramistes. De Stuck on ne connaissait que la sympathique cantate Héraclite et Démocrite enregistrée jadis par Marc Minkowski, et cette tragédie lyrique se révèle d’un tout autre calibre. Dernière œuvre lyrique de Stuck (qui en composa cinq, dont trois tragédies lyriques), elle fut créée sous la Régence en 1720, puis reprise en avril 1739 avec des “changements et des augmentations”. L’argument est centré sur Polydore, fils de Priam, tué par Polymnestor, roi de Thrace, pour s’emparer de ses trésors. On ne sait pas même si le livret est de l’Abbé Pellegrin, ou bien de Jean-Louis-Ignace de la Serre de l’Anglade. C’est un livret efficace et noble, assez racinien, au style un peu lourd par rapport aux badineries déliées d’un Quinault. Mais la musique lumineuse et souple du compositeur originaire de Toscane, né de parents autrichiens est de celle qui annonce de grandes choses.

Qui est-il ? Stuck fut choyé dans sa patrie d’adoption, il part s’installer à Paris vers 1705, est nommé musicien ordinaire du futur Régent dès 1707, publie de nombreuses cantates, donne sa première tragédie lyrique Méléagre dès 170,  deviendra ensuite ordinaire de la Chapelle du Roi vers 1722 (son protecteur prévoyant la fin de sa régence). Violoncelliste, compositeur aux vents favorables, mari comblé (il épousa une fille de Jean Bérain mais n’eut pas d’enfants), Stuck est-il un musicien aussi accompli que sa carrière le laisse entendre ? 

Il serait aisé de décrire Polydore comme une œuvre préramiste. Elle l’est par la finesse de l’orchestration, par les couleurs changeantes que l’Orfeo Orchestra brosse à grands traits, masses colorées et mouvantes. Si György Vashegyi soigne les récitatifs et la prosodie, d’une limpidité exemplaire (bien davantage d’ailleurs que dans son Hypermnestre), son orchestre à la précision nerveuse habituelle paraît plus lumineux et plus aéré que dans son Jephté de M0ntéclair (Glossa), avec un équilibre se déplaçant davantage dans le medium et les aigus. Cette direction souple et respirante, vive mais sans brutalité, reflète l’harmonie des goûts réunis, français et italiens, avec une expressivité admirable, sans renier la grâce mélodique française. L’Ouverture est un manifeste : l’on sursaute à l’écoute de ce langage moins majestueux, recherchant nos sempiternelles notes inégales dans ce vocabulaire à la fois respectueux mais moins noble et rigoureux que son modèle-type, et l’on se réjouit de la complexité de la pâte orchestrale, du soin apporté aux textures. De même, le premier acte s’ouvre directement sur un arioso protéiforme d’Ilione, plainte coulante accompagnée d’un très beau traverso, qui rappelle un peu Campra, là on l’on attendait des récitatifs de mise en situation, et Stuck structure un produit complexe et très équilibré mais un peu trop rempli : entre danses très bien insérées dans l’action, grands divertissements, scènes de bravoure dont un tremblement de terre, scènes de magiciens, tempête, on ne sait plus où donner de la tête. Ce qui le rapproche peut-être de Rameau, et l’éloigne du modèle lullyste, c’est le trop-plein d’idées, la cascade d’imagination, et la brièveté de leur développement. L’on aimerait souvent que Stuck approfondisse davantage son propos, qu’il effleure en brillant papillon.

Restons dans l’acte I : pourquoi ce bel Oracle dès le début, réminiscent des menaces de la Médée de Charpentier ? Soudain les couleurs s’assombrissent, mais sans prélude, sans préparation psychologique, et en pas même 40 secondes, puis en moins de 2 minutes, la Reine a confié son désespoir à sa confidente. Bam, boum, entrée des peuples. Imagine t-on Atys balancer son secret amour en trois coups de cuillère à pot avant que Cybèle ne descende ? Cela prend presque tout un acte, et ce sens du théâtre fait défaut à Stuck, ou plutôt à son librettiste pressé. Car Benoît Dratwicki s’enflamme un peu vite pour la qualité du livret qu’il attribue à Pellegrin, candidat le plus probable. Une bonne tragédie racinienne ne fait pas forcément un bon livret de tragédie mise en musique, et l’absence de merveilleux, de rivalités amoureuses, et même de profondeur dans les caractérisations des personnages se fait cruellement sentir. N’est pas Quinault qui veut, même si le savoir-faire de Stuck sublime le materiau dramatique, qui repose assez pesamment sur le fait que d’une substitution d’enfants. Polydore, fils de Pryam, croît être le fils du Roi de Thrace Polymnestor, un certain Deiphile, et finira abruptement tué par ledit monarque thracien qui doit le sacrifier pour sceller un pacte entre Thraces et Grecs. Tragédie, quand tu nous tiens ! 

Mais venons-en au plateau, superlatif malgré quelques contre-emplois apparents : dans le rôle-titre, Tassis Christoyannis à l’émission un peu large pour ce répertoire, et qu’on aurait davantage vu dans un personnage moins juvénile du fait de son grave timbre. Qu’importe, la musicalité est au rendez-vous. A l’inverse, Thomas Dolié se retrouve en très noble Polymnestor, personnage maudit et le plus touchant de la tragédie, parricide malgré lui et qui met fin à ses jours lors d’un superbe final abrupt et violent, si surprenant que des versions ultérieures verront l’ajout d’un chœur conclusif plus traditionnel. David Witczak impressionne par ses caverneux graves, et ce n’est pas un hasard s’il collectionne les figures d’autorité et au redoutable charisme : Neptune, le Grand-Prêtre, l’Ombre de Déiphile. Cyrille Dubois aligne pas moins de cinq rôles (voilà une distribution bien luxueuse pour des seconds rôles) scande les divertissement avec naturel et fluidité, et une belle égalité sur toute la tessiture. On distinguera la Deidamie de Judith van Wanroij puissamment dramatique, notamment dans le récit très racinien “La nuit d’un sombre voile”. Enfin le Purcell Choir nous a semblé moins précis qu’à l’ordinaire, mais plus spontané et très vivant, et il accompagne avec une verve variée et impliquée cette tragédie qui, si elle ne se hisse pas au niveau d’un Marais, d’un Campra et encore moins d’un Rameau, n’en traduit pas moins un compositeur trop peu joué, et à la pratique solide. Quel dommage que ce Polydore signe son retrait des tragédies lyriques, Stuck se recentrant ensuite sur sa carrière de violoncelliste. 

 

 

Viet-Linh NGUYEN

Technique : prise de son dense et globale mais un peu pâteuse, notamment le chœur qui manque de définition.

Étiquettes : , , , , , Dernière modification: 24 mai 2023
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