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Mes élégances (Dieupart, Suites, Van Asperen – Aeolus)

 

Les amateurs de clavecin ont déjà entendu parler de François Dieupart (1676-1751), et chérissent l’enregistrement rare d’Huguette Gremy-Chauliac, d’une subtilité sophistiquée (Pierre Verany). Il faut désormais compter sur cet enregistrement du gaillard vétéran Bob van Asperen, qui reflète des années de recherches, à la fois sur la biographie de ce compositeur et sur son oeuvre. Ainsi, van Asperen découvre qu’il finit ses jours en France bien qu’il passa une partie de sa vie en Angleterre. On pensait jusqu’alors qu’il avait terminé son existence Outre-Manche dans la misère… En outre, cette intégrale recèle deux surprises : d’une part deux courtes suites inédites en ré majeur et mineur dénichées à Londres et Viennes sous formes manuscrites ; d’autre part, une édition entièrement révisée des six suites canoniques. Celles-ci furent publiées en 1701 sous 3 variantes, dont l’une clavecinistique pure, mais dont Bob van Asperen démontre qu’elle ne correspond pas à la version originale mais à une retranscription trop homophonique et simplifiée, arrangement de la version pour ensemble. Il a ainsi revu profondément la partition pour clavecin afin de lui rendre sa complexité et son caractère idiomatique, et il faut avouer qu’il y réussit pleinement et qu’à côté de cette lecture, celle par exemple de Marie van Rhijn (Château de Versailles Spectables) paraît plus limpide mais simplette.

Les 6 suites présentent une particularité : au modèle de suite française hérité de Louis Couperin et bientôt dynamité en la fin de siècle pour des structures bien plus libres et pour les “vignettes” ou “portraits” précédées ou non d’un prélude non mesuré, à ce moule traditionnel comportant la succession Allemande, Courante, Sarabande, Gigue, Dieupart adjoint un suffixe très opératique, une ouverture, pratique à laquelle Haendel ou Bach recoururent également. Etrange paradoxe que ce Français émigré, dont on se plaît à dire qu’il pratiqua les “goûts réunis [français et italiens]” et qui sonne pourtant si français ! Malgré la vivacité heureuse de certaines pièces trop prestement taxée d’italianisante, l’on pense immédiatement à Chambonnières, à Couperin le Grand, à D’Anglebert en entendant chanter ce clavecin si Grand siècle, dense, suprêmement orné, certes mélodique mais au contrepoint à la richesse complexe. Les Ouvertures sont dignes de transcriptions de tragédies lyriques : écoutons celle de 2ème suite en Ré majeur, avec ses rythmes pointés et sa majesté toute lullyste pour s’en convaincre. 
 
Bob van Asperen et sa copie d’un Taskin de 1764 parfois un peu trop pincé (on aurait parfois aimé un instrument plus brillant) déroule un jeu magnifiquement élégant, d’une tenue, d’une souplesse, d’une ductilité remarquables. Evitant toute raideur, mais soucieux d’éviter une démonstration trop extravertie, le claveciniste sculpte les lignes, apporte ampleur et respirations, marque les temps forts. Son contrepoint est d’une lisibilité extraordinaire malgré la compacité de l’écriture et les multiples ornements. Pour poursuivre notre analyse de la 2ème Suite, notre favorite, on reste sidéré de la profondeur et du caractère que l’artiste imprime en quelques mesures : une Allemande attendrie et souriante, très couperinienne dans sa mélancolie voilée mais esquissée, une Courante dansante et curiale sans arrière-pensées, une Sarabande généreuse et noble, un jeu de luth pour un Menuet espiègle. Autre illustration, la 4ème suite en mi mineur, au climat plus lancinant, plus rêveur. Là où la 2nde faisait miroiter les bassin de Versailles au soleil, celle-ci alterne hibernage enneigé (la section A de l’Ouverture), et hésitation douloureuse (Allemande), même si il faut bien se tenir dans un Gavotte et son double millimétrées. Et la science de Dieupart est telle qu’il n’y a nulle monotonie dans l’écoute de l’intégralité des six suites, dont les menuets, courante ou gigue sont autant de contreforts rassurants entre lesquels les Ouvertures, Allemandes et Sarabande offrent des espaces plus introspectifs . On sourie d’ailleurs à l’évocation du “Menuet sérieux” de la Suite VI, qu’on aurait préféré interprété sans les affèteries du jeu de luth (l’une des rares critique à cet enregistrement). 
 
Quant aux deux Suites inédites, quoique fort brèves – la Suite VII ne comporte que 4 mouvements, la VIII 3 et sans ouverture. Présentes dans des manuscrits contenant aussi les autres suites, “plus concises, intercalées entre des œuvres de Dieupart connues, [elles] sont indubitablement de sa main” confirme le claveciniste. Et l’on ne pourrait le contredire tant leur langage, leur qualité, sont similaires aux autres. On admire le sérieux fier de la Suite VII tandis que la 8ème débute étrangement par une Loure très stylisée et s’achève sur une Bourrée en rondeau entre Couperin et Rameau, moderne, directe et bondissante comme un jeune Néerlandais de 75 ans. Epatant.

 
Viet-Linh Nguyen
Technique : captation claire et précise, pas trop proche du clavecin (pas de bruits mécaniques).
Étiquettes : , Dernière modification: 24 mai 2023
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